De plus en plus de pays évoluent sur le diagnostic controversé du bébé secoué. Ces pays incluent le Canada, la Suède, le Royaume-Uni, le Japon et, désormais, la France.
Les évolutions de la justice dans le monde
Canada
Au Canada, un rapport d'un comité d'experts au procureur général de l'Ontario reconnaissait en 2011 des évolutions scientifiques sur le sujet, et des doutes sérieux sur la validité du diagnostic tel qu'il était souvent posé. Ce rapport écrivait ainsi : « Le diagnostic de SBS fait l’objet d’une controverse et de vifs débats. »
Suède
Il y a des preuves scientifiques insuffisantes pour établir la validité diagnostique de la triade dans l'identification du secouement traumatique (preuves de très mauvaise qualité). Il a aussi été démontré qu'il n'y avait que des preuves limitées que la triade et ses composantes puissent être associées au secouement traumatique (preuves de mauvaise qualité).
Parallèlement, les deux Cours Suprêmes du pays rendaient, en 2014 et en 2018, dans deux affaires différentes, des décisions jurisprudentielles réfutant le diagnostic de bébé secoué tel qu'il avait été posé.
Royaume-Uni
Dans un cas où un enfant meurt (...) il est rare qu'une accusation d'homicide (...) puisse être portée lorsque le seul élément de preuve disponible est la triade de lésions. De telles preuves sont rarement concluantes d'un traumatisme crânien infligé et les procureurs devraient rechercher d'autres preuves à l'appui.
Japon
Au Japon, la condamnation d'une personne accusée a été annulée il y a quelques semaines. La Cour a reconnu que les controverses scientifiques sur le diagnostic permettaient de douter sérieusement de sa culpabilité.
États-Unis
Il y a de nombreux acquittements et exonérations aux États-Unis. De plus, en 2016, le comité scientifique conseillant le Président des États-Unis s'inquiétait du manque de preuves scientifiques de plusieurs techniques utilisées en médecine légale et en police scientifique. Dans ce rapport, les auteurs s'inquiétaient également du diagnostic de bébé secoué.
Les évolutions de la justice en France
Après ces pays, c'est donc désormais au tour de la justice française de commencer à montrer quelques signes d'évolution sur le diagnostic du bébé secoué.
De plus en plus de familles de notre association constatent, au cours des audiences, que certains magistrats déplorent les excès de ce diagnostic posé par les médecins de manière trop rapide, trop systématique, et avec trop peu de réflexion médicale. Une longue enquête publiée par le journal Le Monde en janvier 2019, la première sur le sujet en France, semble ainsi avoir eu un écho assez important dans la magistrature.
Cette prise de conscience s'accompagne de décisions de justice ou de réquisitions du ministère public qui ont un impact très concret sur les familles, qu'il s'agisse de non-lieux, de relaxes, d'acquittements, ou de remises en liberté conditionnelle de personnes placées en détention provisoire.
C'est la validité du diagnostic même qui est questionnée
Fait nouveau : même si toutes ces décisions ont lieu dans des affaires distinctes, elles partagent un point commun. Celui de remettre en cause le diagnostic lui-même.
Auparavant, la justice pouvait prononcer de telles décisions quand elle estimait les charges insuffisantes, ou quand elle ne parvenait pas à identifier l'auteur des violences. Par exemple, lorsque deux parents sont présents avec leur enfant au moment où les symptômes apparaissent, tous deux sont soupçonnés d'avoir commis des violences. Quand le diagnostic est erroné et que les deux parents clament leur innocence, il arrive qu'ils finissent, après des années de procédure, à être mis hors de cause tous les deux parce que les violences ne peuvent être attribuées ni à l'un, ni à l'autre.
Le phénomène que nous constatons aujourd'hui dans de plus en plus de dossiers est différent. La justice abandonne les charges parce qu'elle doute du diagnostic de secouement lui-même. Cela survient en particulier lorsque d'autres médecins considèrent qu'un autre diagnostic, médical plutôt que traumatique, est responsable des symptômes d'un enfant.
Parfois, les magistrats estiment que les expertises judiciaires sont trop catégoriques et ne prennent pas en compte les particularités du dossier médical. Ce sont en effet souvent les mêmes critères simplistes qui sont appliqués de manière trop systématique.
Exemples de décisions de justice
Même si les procédures judiciaires sont longues, les décisions de justice exonérant les parents et les assistantes maternelles de l'association sont de plus en plus fréquentes. Nous revenons ici sur quelques exemples.
Hylann (hydrocéphalie externe)
Vanessa, la présidente de l'association, a été relaxée en mars 2019 par le Tribunal Correctionnel de Rennes. Le diagnostic de bébé secoué avait été porté sur son fils alors qu'il avait une hydrocéphalie externe. Deux médecins avaient rédigé une expertise privée en ce sens, et l'un d'eux a témoigné au procès. Au vu de l'absence totale d'élément en faveur d'une quelconque maltraitance, les juges ont reconnu l'invalidité du diagnostic de secouement dans ce cas.
Hugo (hydrocéphalie externe)
Sandrine, l'une des premières mamans de l'association, a obtenu récemment un non-lieu après cinq années de procédure. Son fils avait lui aussi une hydrocéphalie externe, qui avait causé des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes diffuses. Quatre experts avaient attribué à tort ces éléments à des secouements, en se basant exclusivement sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé qu'ils avaient eux-mêmes rédigées. Le juge d'instruction a pourtant écrit dans sa décision :
Le « syndrome du bébé secoué » constitue dans la littérature médicale un thème largement discuté et débattu et [il] appartient à l’institution judiciaire de ne pas intégrer sous ce vocable des diagnostics médicaux trouvant leurs origines dans des causes non-traumatiques.
Hugo (trouble congénital de la coagulation)
Virginie, la fondatrice du groupe à l'origine de l'association a aussi obtenu un non-lieu en 2017. Son fils Hugo souffre comme elle d'une anomalie génétique de la coagulation (hypofibrinogénémie). Alors qu'il est reconnu que les troubles de la coagulation forment un diagnostic différentiel du syndrome du bébé secoué, et que l'anomalie génétique avait été prouvée par une analyse ADN, les experts, incluant le Dr Raul et le Dr Rambaud, affirmaient pourtant la certitude du secouement. Le juge d'instruction leur a donné tort :
En l’état actuel des connaissances scientifiques et alors même qu’il est indiqué par un médecin suisse que la pathologie d’Hugo est extrêmement rare, il est impossible d’exclure de manière certaine que les saignements intracrâniens présentés par le nourrisson ne soient pas survenus de manière spontanée en raison de son hypofibrinogénémie, et ce d’autant plus qu’il est établi que l’enfant a présenté de nouveaux saignements intracrâniens […] alors même qu’il était encore hospitalisé. […]
Ainsi les seules conclusions des experts ne sauraient prévaloir alors même que les autres éléments de l’information n’ont permis d’apporter aucun élément en faveur de la culpabilité des parents ou de l’un d’eux. Dès lors, dans ces conditions, les charges de culpabilité n’apparaissent pas suffisantes à l’encontre [de Virginie et son compagnon] alors même qu’un doute important subsiste quant au fait même qu’Hugo ait pu être secoué. Un non-lieu sera dès lors ordonné.
Luqman (maladie génétique métabolique rare)
Ismaël et sa compagne, parents du petit Luqman, ont aussi été mis hors de cause après deux ans de procédure. Leur enfant a été placé injustement pendant un an et demi. Il souffrait d'une maladie génétique rare, l'abétalipoprotéinémie, qui a causé un déficit sévère en vitamine K et un trouble majeur de la coagulation (sang incoagulable avec INR > 10) Les hématomes sous-duraux et les hémorragies rétiniennes qu'il a présentés ont conduit le médecin légiste, le Dr Raul, à un diagnostic erroné de bébé secoué, alors même que le trouble de la coagulation d'origine génétique était connu. Des experts ont fini par reconnaître que le diagnostic de secouement était incohérent, ce qui a conduit à un abandon des poursuites.
Acquittements
Cette année, deux pères ont été acquittés par des Cours d'Assises qui ont remis en question le diagnostic de secouement dans leurs cas. Ils étaient défendus par Me Grégoire Etrillard qui a fait appel à des médecins ayant trouvé un autre diagnostic que celui posé par les experts judiciaires.
Ce printemps à Rouen, un père a été acquitté en appel suite à la chute fatale de son bébé. Le diagnostic de secouement avait été posé des années plus tard, lorsque des expertises judiciaires avaient conclu qu'une chute de faible hauteur ne pouvait jamais provoquer le décès d'un nourrisson. Le père avait été condamné à 8 ans de prison en première instance. En appel, son avocat a fait appel à des médecins qui ont donné des arguments scientifiques remettant en cause le diagnostic de secouement dans ce cas. Il a finalement été acquitté.
Cet automne à Paris, un autre père a été acquitté. Son fils était décédé en 2013 après avoir été atteint par une méningite bactérienne causant une thrombophlébite cérébrale et une septicémie. Plusieurs experts judiciaires avaient conclu à un secouement. Au procès, un débat médical contradictoire a eu lieu, et les experts judiciaires ont admis être passés à côté de certains éléments du dossier médical. Ces éléments étaient en faveur d'une infection et remettaient donc en doute le diagnostic de secouement. Ce père a été acquitté, mais un nouveau procès aura lieu suite à l'appel décidé par le ministère public.
Des évolutions inexorables
Ces évolutions de la justice française accompagnent celle des autres pays mentionnés plus haut. Elles accompagnent aussi l'évolution des connaissances médicales et scientifiques dans la littérature spécialisée, mais aussi la perception qu'a le public du syndrome du bébé secoué par l'intermédiaire des enquêtes d'investigation (Le Monde, le Washington Post, The Guardian, le New York Times, NBC, et bien d'autres...), des articles de presse, et des œuvres de fiction (Proven Innocent, Good Doctor...).
D'un diagnostic initialement « trop facile à poser » (la seule présence d'hématomes sous-duraux et d'hémorragies rétiniennes suffisait à conclure avec certitude au secouement), la justice reconnaît aujourd'hui de plus en plus que le diagnostic médical de maltraitance est en réalité extrêmement complexe. Il y a de très nombreux facteurs médicaux, comme des mutations génétiques, des pathologies plus ou moins rares, ou certaines caractéristiques physiologiques qui peuvent causer les mêmes signes. Il y a aussi une reconnaissance du fait qu'il faut absolument considérer les éléments non-médicaux du dossier : environnement social et familial, antécédents judiciaires, contexte des faits présumés, etc. Le diagnostic de maltraitance ne peut en aucun cas être posé de manière aveugle et automatique comme il l'est actuellement.
L'existence de toutes ces décisions de justice, de ces évolutions dans plusieurs pays est un fait indiscutable. Ceux qui sont justement censés être à la pointe de la connaissance et de la jurisprudence sur ce sujet devraient naturellement reconnaître ces évolutions et les intégrer dans leurs recommandations, leurs formations, et leurs propres pratiques. Ainsi, si l'autorité de santé suédoise estime que le diagnostic ne peut plus se poser aussi facilement qu'avant, il serait normal qu'en France, la Haute Autorité de Santé aboutisse à la même conclusion.
On pourrait logiquement attendre des experts du bébé secoué, qui agissent justement au niveau de la Haute Autorité de Santé et qui forment les médecins et la magistrature sur le sujet, qu'ils œuvrent pour améliorer la précision de la démarche diagnostique, pour améliorer la connaissance des pathologies causant les hématomes sous-duraux et les hémorragies rétiniennes du nourrisson. Cela causerait moins de diagnostics injustifiés, moins d'enfants malades retirés abusivement à leurs familles, cela détruirait inutilement moins de parents et moins d'enfants, cela éviterait des procédures judiciaires inutiles et coûteuses, cela diminuerait la charge de travail des magistrats et des services sociaux qui sont plus que débordés par les enfants réellement en danger. Les enfants maltraités ne pourraient que bénéficier de signalements effectués de manière plus raisonnable.
Malheureusement, force est de constater que la stratégie choisie est toute autre, comme le montre par exemple le nom d'un colloque organisé cette semaine par les spécialistes français du bébé secoué à l'Ecole Nationale de la Magistrature : « Y a-t-il une controverse médicale et judiciaire ? ». L'objet de ce colloque semble en effet être de nier l'existence même des controverses médicales, scientifiques, et judiciaires, en France et dans le monde, sur ce diagnostic. Cette attitude incompréhensible ne fait que ralentir des évolutions inexorables, et elle est dommageable avant tout pour toutes les familles touchées (on estime qu'il y en a une de plus chaque jour en France).