En Suède, la Cour administrative suprême, la plus haute juridiction en matière administrative, a récemment rendu une décision notable. Un enfant avait été placé suite à la découverte de la « triade » de lésions caractéristiques du syndrome du bébé secoué. Les parents avaient fait appel de la décision, appel qui avait été rejeté. Finalement, la Cour administrative suprême s'est basée en partie sur le rapport de l'agence de santé suédoise pour conclure que la seule présence de la triade ne saurait constituer une base suffisante pour décider du placement d'un enfant, en l'absence d'autres éléments de danger relevés par les enquêtes sociales. L'enfant a finalement été rendu à ses parents. Nous proposons une traduction en Français de cette décision de justice.
Décision de la Cour administrative d'appel
S'il y a un risque substantiel pour la santé et le développement d'un enfant, que ce soit à cause de violences physiques ou de négligences, et s'il peut être considéré que les parents s'opposent à l'administration de soins appropriés pour l'enfant, alors l'enfant peut être placé selon des dispositions adaptées.
CC, alors qu'il n'avait pas tout à fait sept mois, a été emmené à un hôpital pour enfants avec des lésions cérébrales sévères. Son pronostic vital était engagé, et il fut mis sous respirateur artificiel pendant six jours. L'hôpital a fait un signalement aux services sociaux, déclarant que les lésions auraient pu être causées par des violences infligées à la tête. Cette évaluation a été faite sur la base d'une combinaison de lésions, un hématome sous-dural (saignements sous la dure-mère), des lésions cérébrales, et des saignements rétiniens (dans les yeux), ce que l'on appelle parfois la triade, et qui a été considérée comme étant hautement spécifique de violences intentionnelles (blessures à la tête infligées dans le cadre de maltraitances). Les médecins n'ont pas pu établir d'explication médicale alternative pour l'état de santé de l'enfant.
CC a été immédiatement placé, et la prolongation du placement a été ensuite demandée par les services sociaux. Cette demande a été acceptée par la Cour administrative régionale. Bien que la manière dont les lésions avaient été infligées ne pouvait pas être déterminée, et que la réalité des violences parentales ne pouvait pas être assurée, la Cour a estimé qu'il était clair que l'enfant avait été blessé lorsqu'il était gardé par ses parents, et qu'ils avaient donc failli à leur devoir de protection de leur enfant. Du fait de ces négligences de la part des parents, il existait un risque évident pour la santé et le développement de CC. Il a été considéré que s'ils récupéraient leur enfant de manière consentie et volontaire, CC n'aurait pas pu être protégé de maltraitances ultérieures, et le placement a donc dû être prolongé.
Les parents ont fait appel auprès de la Cour administrative d'appel, qui a rejeté leur appel. La Cour administrative d'appel a estimé qu'il était clair que CC avait présenté des symptômes communément appelés la « triade », et ils ont noté qu'il y avait des opinions différentes de la part de médecins estimant que ces conclusions ne pouvaient pas être déduites de la seule présence de la triade.
Selon la Cour administrative d'appel, il y avait de bonnes raisons de considérer comme significative l'opinion de l'un des médecins, qui avait traité CC, et qui s'était concerté avec d'autres médecins ayant soigné CC. Son témoignage était clair sur le fait que les conclusions du personnel médical, estimant que les lésions de CC avaient été infligées par des violences extrêmes, étaient bien en accord avec les données scientifiques disponibles à ce moment-là.
La Cour administrative d'appel a estimé que les lésions de CC avaient probablement été causées par des violences extrêmes alors qu'il était gardé par ses parents. Les soins parentaux étaient donc inadéquats, CC courait ainsi un risque substantiel de lésions ultérieures s'il était toujours gardé par ses parents. En évaluant ce risque, la Cour administrative d'appel a considéré que le grand frère de CC, à l'âge de trois mois, avait présenté des fractures qui auraient pu être causées par des violences. La garde de l'enfant ne leur avait pas été retirée.
Requêtes
La défense a demandé à ce que les parents récupèrent la garde de leur enfant. Selon eux, les preuves avancées ne permettent pas de dire qu'il est probable que CC a été victime de maltraitance.
Les service sociaux déclarent que la décision de la Cour d'appel devrait rester inchangée. L'administrateur ad hoc se déclare aussi opposé à un changement de la décision de la Cour administrative d'appel. Selon lui, si les lésions sont d'origine intentionnelle, alors l'enfant doit être protégé. Il ne peut pas être exclu que les lésions de CC aient été causées par l'un des parents. C'est pour cela que le besoin de protection de CC devrait être le principal critère pour décider de la poursuite du placement.
La Cour administrative suprême a obtenu une déclaration du conseil juridique des autorités de santé. En résumé, le conseil déclare qu'il y a insuffisamment de preuves scientifiques pour établir que les signes et symptômes présentés par CC ont été causés par un traumatisme non-accidentel, tandis qu'il existe des explications hypothétiques non-traumatiques qui ne peuvent être ni établies ni écartées. Il n'y a pas d'éléments médicaux qui permettent d'aboutir à la conclusion que les lésions ont été causées indirectement ou indirectement par des violences. Il ne peut être ni écarté ni établi que des lésions reliées à un événement traumatique antérieur auraient pu ou non déclencher un processus conduisant à la présentation aiguë des symptômes.
Raison pour la décision
La question est de savoir si les investigations permettent bien d'établir la conclusion selon laquelle un jeune enfant a été physiquement maltraité, ou si les soins de l'enfant on été insuffisants. (...)
Une décision de placement est une intervention avec des conséquences extrêmes, à la fois pour l'enfant et sa famille. L'intervention ne doit être considérée que s'il y a des bonnes raisons de la faire. Une évaluation incorrecte de l'existence de maltraitances, ou de l'existence d'autres éléments de danger dans le foyer, peuvent résulter en une séparation abusive de l'enfant. Il faut donc s'assurer que ces éléments de danger soient au moins probables.
D'un autre côté, le système de protection infantile doit toujours agir pour le bien de l'enfant. Lorsque des enquêtes ont lieu pour déterminer si des éléments de danger existent dans le foyer, il faut considérer qu'un jugement incorrect peut conduire un enfant à ne pas être correctement protégé de maltraitances ultérieures. Lorsqu'il s'agit d'accusations très graves de violences physiques, la charge de la preuve ne doit donc pas être plus haute que ce qui a été précédemment décrit.
Pour déterminer si des éléments de danger existent, une double évaluation doit être faite. Cette évaluation ne peut pas être faite de la même manière pour juger si un événement unique de maltraitance a eu lieu, ou juger de manière plus générale la situation de l'enfant dans son foyer. S'il s'agit d'un seul événement de maltraitance, l'enquête doit présenter des éléments très forts soutenant que les violences ont bien eu lieu. S'il y a une enquête plus générale sur la situation du foyer, cela peut satisfaire aux besoin de preuve même s'il y a des raisons de questionner des événements uniques.
Est-ce que l'enfant a été victime de violences ?
Lorsqu'il y a une suspicion de violences physiques sur un enfant, et que l'évaluation est basée uniquement sur la présence de certains symptômes, un prérequis est qu'il doit y avoir une base scientifique solide pour la causalité entre les lésions médicales et les violences présumées. Il ne doit y avoir aucun doute sur les fait que les lésions détectées ont bien été causées par des violences. De plus, tous les symptômes nécessaires pour arriver à cette conclusion doivent être présents dans le cas en question. Par conséquent, si un soutien scientifique clair pour cette causalité manque, l'absence d'explications plausibles pour les lésions n'indique pas que la maltraitance devrait être jugée comme plausible.
Il est clair que CC a souffert de lésions cérébrales permanentes alors qu'il était gardé par ses parents. Les médecins ont jugé que les lésions ont été causées par des violences à la tête. Après que l'hôpital a fait un signalement, les services sociaux ont soupçonné des maltraitances et ont placé l'enfant.
La description par les parents de la cascade d'événement ayant précédé la maladie de CC ne permet pas d'expliquer les lésions de CC. Les médecins traitant CC à l'hôpital ont conclu que les symptômes de CC, la triade, en l'absence d'autres facteurs pouvant constituer une cause pour les symptômes, était le résultat de violences volontaires. Le diagnostic des médecins a intégré à la fois le syndrome du bébé secoué et d'autres types de violences à la tête.
La question initiale est donc de savoir s'il est probable que les lésions ont été causées par un secouement.
L'autorité de santé suédoise (SBU) a effectué une évaluation systématique des études scientifique sur le syndrome du bébé secoué. Le but était de déterminer la fiabilité de la triade et de ses composants pour établir l'existence d'un secouement traumatique chez des enfants de moins d'un an. Le rapport a mis en avant deux conclusions : il y a des preuves scientifiques limitées que la triade et donc ses composants puissent être associés au secouement traumatique, et il y a des preuves scientifiques insuffisantes pour établir la fiabilité diagnostique de la triade pour l'identification du secouement traumatique.
D'après le rapport de la SBU, qui était disponible à la Cour administrative d'appel, il est clair que l'hypothèse que la présence de la triade signifie qu'un secouement violent a eu lieu, a des bases scientifiques faibles. Dans le cas présent, d'autres éléments de preuve, comme des lésions aux tissus mous du cou, sont absentes. De plus, il n'y a aucun témoignage, aucune preuve circonstantielle, pour les événements précédant le malaise de l'enfant. Dans cette situation, la Cour administrative suprême estime qu'il n'a pas été établi avec un degré suffisant de certitude si CC a bien été victime de secouements violents.
La question suivante est de savoir si les lésions ont pu être causées par d'autres mécanismes de violences à la tête.
De même ici, la suspicion de maltraitance est basée exclusivement sur la seule présence des lésions de la triade. Il n'y a aucun autre élément comme des bleus, des ecchymoses, ou des fractures, qui pourraient indiquer que des violences ont été infligées à la tête. Les médecins n'ont pas expliqué quel type de violence avait pu causer les symptômes de CC, ni la manière dont les symptômes et les violences présumées pouvaient être reliées. Aucun autre médecin n'a soutenu dans ce cas l'opinion selon laquelle les lésions ont été le résultat de violences. La Cour administrative suprême estime que les investigations médicales ne permettent pas d'apporter assez d'éléments pour affirmer que CC a été victime d'autres types de violences à la tête.
En résumé, ce qui précède montre que les preuves dans ce cas n'atteignent pas le niveau requis pour conclure qu'il est probable que CC a été victime de violences.
Est-ce que les soins quotidiens de CC étaient insuffisants ?
Si un enfant ou ses frêres et soeurs sont victimes de blessures sévères qui ne peuvent pas être reliées à des violences, ces lésions pourraient, sous certaines circonstances, être interprétées comme une incapacité des parents à apporter suffisamment de soins à leurs enfants. C'est le cas des lésions qui peuvent être reliées à une faible évaluation du risque de danger par les parents, ou d'autres types d'ignorance parentale.
Il est clair que CC et ses frères ont subi des lésions sévères durant leur enfance. Il n'est pas possible cependant, d'après les enquêtes, d'en tirer la moindre conclusion sur ce qui a pu causer ces lésions. Il y a des hypothèses concernant des causes intentionnelles ou accidentelles, ou des causes médicales, au vu de la maladie de CC. Aucune de ces hypothèses ne peut être établie ou écartée. On ne peut donc pas déterminer s'il y a eu des situations dans lesquelles les parents auraient dû intervenir pour protéger CC.
Dans les enquêtes, la demande de placement est basée sur deux événements au sujet des compétences parentales. Les parents ont supposément laissé CC sans supervision dans des circonstances qui pourraient impliquer un manque d'estimation du risque de danger. Les services sociaux n'ont cependant pas spécifiquement mis en avant un manque de compétences parentales.
Il n'y a rien dans le dossier qui soutienne l'hypothèse que, au moment du procès d'appel, il y avait des lacunes parentales si importantes qu'il y avait un risque substantiel pour la santé et le développement de CC.
Conclusion
En résumé, la Cour administrative suprême établit que la décision de placement est sans fondement. La Cour d'appel aurait dû accepter l'appel des parents. Le comité d'évaluation sociale a décidé que le placement devait cesser. Toutes les charges contre les parents doivent donc être abandonnées.