Si la fiabilité de la démarche diagnostique du syndrome du bébé secoué est contestée, l'existence de ce syndrome ne l'est pas. Présenter la controverse comme la question de l'existence ou non de ce syndrome est trompeur, comme nous le montrons ici.
Le secouement existe
Pour le profane, le syndrome du bébé secoué est le phénomène selon lequel des parents excédés par les pleurs d'un nourrisson le prennent sous les bras et le secouent d'avant en arrière dans un geste de colère. Le ballottement de la tête peut provoquer des lésions graves ou fatales. Les travaux de prévention admettent que cela peut arriver à n'importe qui de « craquer » devant les pleurs ingérables d'un bébé (qui pleure de manière normale plusieurs heures par jour). S'il arrive d'avoir de telles « pulsions » dangereuses, il faut quitter la pièce pour se calmer et laisser pleurer l'enfant tout seul dans son lit.
Il est évident que ce phénomène existe. Comme nous le mentionnions dans un article l'année dernière, des études indépendantes ont permis de quantifier le nombre de bébés réellement secoués dans plusieurs pays :
Aux États-Unis, un sondage réalisé en 1995 par Gallup a montré que 4,4% des parents « secouaient » leur enfant de moins de deux ans, mais la force du geste est inconnue. En 2002, un sondage anonyme par téléphone réalisé en Caroline du Nord et Caroline du Sud montrait qu'environ 2,5% des bébés et des enfants étaient secoués.
Au Japon, une étude de 2014 a montré que 3,4% des bébés de 4 mois avaient été secoués durant le mois précédent. Le même pourcentage de bébés néerlandais de 6 mois avaient déjà été secoués au cours de leur vie.
Une étude internationale s'est intéressée à l'incidence du secouement reconnu sur les enfants de moins de 3 ans dans différents pays. Les chiffres varient de 6,6% aux Philippines à 42% dans les bidonvilles d'Inde, en passant par 19% en Égypte.
D'après une étude de l'UNICEF (MICS3), entre 18% et 36% des parents de différents pays d'Europe de l'Est, d'Asie centrale, et d'Afrique de l'Ouest, avaient secoué leur enfant de plus de deux ans au cours du mois précédent.
D'après une étude de l'ISPCAN, le secouement concernerait 10% des enfants colombiens, 50% des enfants égyptiens, et 70% des enfants indiens.
Ces chiffres concernent bel et bien les secouements tels que reconnus par les parents et les gardes d'enfants, et non pas les diagnostics du syndrome du bébé secoué effectués par les médecins.
Il est donc absurde et faux de nier l'existence des gestes de secouement infligés aux bébés, gestes évidemment dangereux et à proscrire.
Les enfants diagnostiqués avec le SBS existent
Le diagnostic de SBS est posé par les médecins en présence de certains signes et symptômes inexpliqués chez un nourrisson. Ce diagnostic concerne au minimum 200, plus vraisemblablement 400 enfants chaque année en France (il n'y a pas de statistiques officielles). Aux États-Unis, on estime que le diagnostic est posé sur 1500 bébés chaque année.
Ces enfants existent bel et bien (que le diagnostic ait été posé à tort ou à raison) et il est donc absurde de nier leur existence.
Les enfants victimes d'un traumatisme crânien intentionnel existent
Les enfants victimes d'un secouement violent ou d'un autre type de traumatisme crânien infligé, qui présentent des lésions neurologiques permanentes ou fatales existent malheureusement bel et bien. Des rapports de cas avec aveux détaillés et cohérents avec les observations médicales, et où les maltraitances sont certaines, sont publiés dans les revues médicales [1, 2].
Il est donc indéniable que des diagnostics de SBS sont valides, tandis que d'autres ne le sont pas (lorsque ce sont des causes médicales ou accidentelles et non des violences qui sont en cause).
L'hypothèse du bébé secoué existe
Enfin, le syndrome du bébé secoué se réfère aussi à une hypothèse qui peut être formulée ainsi :
Lorsqu'un nourrisson présente des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes inexpliqués, on peut conclure avec quasi-certitude qu'il a été violemment secoué.
Cette hypothèse, considérée comme un fait irréfutable en France, et cependant contestée dans d'autres pays :
- Les autorités médicales et juridiques suédoises ont déterminé en 2016 que cette hypothèse n'avait pas de preuves scientifiques suffisamment solides pour être utilisée dans les tribunaux.
- Les procureurs du Royaume-Uni sont incités depuis 2011 à ne pas exercer de poursuites sur la seule base de cette hypothèse, lorsqu'il n'y a pas d'autres éléments à charge.
- Un rapport officiel canadien de 2011 reconnaît que cette hypothèse est remise en question.
- Un rapport scientifique de 2016 demandé par la Présidence des États-Unis recommande de vérifier de manière urgente la validité de cette hypothèse.
- Les autorités américaines affirment aujourd'hui ne jamais se reposer sur cette seule hypothèse pour poser un diagnostic de maltraitance.
Contestée ou non, valide ou non, cette hypothèse existe bel et bien. Une hypothèse existe toujours. Il est encore une fois absurde de contester son existence-même.
Se méfier des discours extrêmes
La réalité scientifique est toujours extrêmement complexe et ne saurait se résumer à des « slogans » catégoriques ou des affirmations péremptoires. Il faut toujours se méfier des discours extrêmes. C'est une réalité que des bébés sont secoués, maltraités, tués, des diagnostics de maltraitance sont posés à raison, et des personnes coupables de violences sont poursuivies et condamnées.
En revanche, nous ne pouvons que constater que de nombreux diagnostics sont posés abusivement, que les diagnostics différentiels sont mal exclus lors des signalements et des expertises judiciaires, que des personnes innocentes sont poursuivies sur la base d'éléments médicaux très contestables, voire franchement faux. Des personnes sont innocentées lorsque les expertises (très souvent à charge) sont désavouées par la justice, que ce soit à la fin de l'instruction ou au procès.
Malheureusement, les débats sont souvent rendus impossibles par une certaine rhétorique extrémiste du « tout ou rien », selon laquelle les diagnostics seraient soit toujours corrects, soit toujours faux, sans juste milieu possible. Certains diagnostics sont valides, d'autres non. Loin de ces outrances stériles, il faut au contraire œuvrer pour améliorer la distinction entre les authentiques maltraitances et les causes médicales et accidentelles des lésions des nourrissons. C'est une question de vérité et de justice.
[Bibtex]
[Bibtex]