Nous proposons la traduction d'un reportage d'une chaîne de télévision locale en Illinois, États-Unis, à propos des familles accusées à tort de maltraitance sur leurs enfants atteints de maladies rares.
Des familles disent être des « dommages collatéraux » du combat contre la maltraitance infantile
1er novembre 2018, 25 News. Dans la première partie du reportage, nous avons parlé du cas de la famille Crady, qui affirme avoir passé 693 jours à prouver leur innocence après avoir été accusés de maltraitance. Nous partageons maintenant deux autres histoires que nous avons découvert, toutes impliquant le même médecin local. L'une de ces familles concerne une mère de Peoria qui, suite aux accusations qu'elle a subies, se consacre désormais à aider les autres familles.
Accusée à tort à cause d'un scanner mal fait
« Notre derniers fils est né avec de nombreux problèmes médicaux reliés à une maladie génétique rare non diagnostiquée », dit la mère de Peoria Michelle Weidner.
Weidner dit que des médecins du Centre Médical de Saint Francis (OSF) ont fait un scanner cérébral sur leur enfant alors âgé de 5 semaines, dont elle nous a demandé de ne pas donner le nom. Mais le résultat de ce scanner a laissé Weidner et son mari dans la plus grande incompréhension.
« Lorsqu'ils ont fait le scanner, il a bougé dans la machine, ce qui a résulté en une ligne floue, et cette ligne floue a été interprétée comme une fracture du crâne », dit Weidner.
Malheureusement, les Weidners n’apprendront que bien plus tard qu'il y avait un problème avec le scanner. Au lieu de cela, à ce moment-là, ils se sont retrouvés accusés de maltraitance.
« Le pédiatre spécialiste de maltraitance a dit aux enquêteurs qu'il n'y avait aucune autre explication qu'un traumatisme violent à la tête », ajoute Weidner.
Ce pédiatre spécialiste de maltraitance était le Dr Channing Petrak, directrice du Centre de Ressources Pédiatriques, et le même médecin impliqué dans le cas des Cradys (couvert dans la première partie de notre reportage spécial).
Les Weidner disent qu'après le diagnostic de Petrak, ils n'ont pas pu être seuls avec leur nouveau-né ou leurs deux enfants plus grands pendant deux semaines. Durant ce temps, ils ont cherché un deuxième avis à l'Hôpital pour Enfants de Cincinnati.
« Ils ont pu affirmer à 100% qu'il n'y avait aucune fracture du crâne », dit Weidner.
Néanmoins, il a encore fallu trois mois aux services sociaux pour clore l'investigation, indiquant à la famille que le signalement pour maltraitance était « infondé ».
Aujourd'hui, leur dernier né a huit ans et il va bien. Il grandit aux côtés de ses deux frères plus grands. S'il ne se rappelle pas de ces moments difficiles, ses parents s'en rappellent très bien.
C'est cependant ce qui a conduit Weidner à se battre pour les autres familles qui sont accusées à tort de maltraitance. Elle est désormais présidente du nouveau Centre de Ressources pour une Justice Familiale (FJRC).
Création d'une association de familles
« Parfois, les médecins se trompent, et quand ils se trompent, il n'y a pas de recours pour les parents et les familles. Et le FJRC vise à être l'endroit vers qui on peut se tourner quand l'État se trompe », dit Weidner.
Également au comité du FJRC, Diane Redleaf, une avocate en dehors de Chicago avec près de 40 ans d'expérience. Elle vient de publier un livre sur le sujet, présentant six familles : « Les enfants nous ont été enlevés cette nuit ! Comment le système de protection de l'enfance met les familles en danger ».
« Ces histoires sont celles de familles pour lesquelles le système de protection de l'enfance est venu et a littéralement pris les enfants une nuit », explique Redleaf.
Redleaf estime qu'elle a travaillé sur 70 à 100 dossiers impliquant des familles dont les enfants avaient apparemment des maladies qui ont été prises à tort pour de la maltraitance.
« Je pense que chaque famille peut vivre cela, et les gens doivent réaliser que cela arrive », dit-elle énergiquement.
Pour l'instant, le FJRC s'occupe de 11 cas à travers l'Illinois, mais l'association précise qu'il est difficile de savoir combien il y a de fausses accusations de maltraitance, notamment parce que personne n'enregistre ces informations. Selon Redleaf et Weidner, de nombreux parents acceptent une négociation de plaidoyer, ou disent qu'on leur a soutiré des aveux.
Le drame des faux aveux
Un père de Springfield, Richard Britts, affirme que c'est justement ce qui lui est arrivé.
Il se souvient qu'il regardait la télévision une nuit de 2010, lorsqu'il a entendu sa fille de trois mois, Saniya, qui a commencé à s'étouffer dans son berceau.
« Je ne savais pas quoi faire, elle était inconsciente, s'étouffant, respirant vraiment bizarrement. J'ai appelé sa mère et j'ai appelé les secours, et ils m'ont aidé à faire un massage cardiaque, ce qui était la chose la plus effrayante que je n'ai jamais faite dans toute ma vie », se souvient Britts.
La petite fille a été emmenée à l'hôpital local avant d'être transportée à l'OSF à Peoria, où les médecins ont déterminé qu'elle avait une hémorragie cérébrale. Britts dit que cela a conduit le Dr Petrak à conclure que Saniya a été soit secouée, soit battue.
Britts dit qu'il a protesté, et il a dit au personnel qu'il y avait des crises d'épilepsie dans sa famille. Cependant, il a été arrêté et emmené à la prison du Comté de Sangamon où il dit qu'on lui a soutiré des aveux alors qu'il n'y avait pas d'avocat.
« Je ne comprenais pas ce qu'il se passait. J'avais 19 ans et ils me disaient que je mentais. Je ne pouvais pas leur répondre », dit Britts, ajoutant qu'à la fin il s'est senti déchiré par les interrogatoires. Il dit que, pour tenter de mettre un terme à son cauchemar, il a finalement admis que s'ils pensaient qu'il avait fait quelque chose, alors cela avait dû se passer, même s'il ne savait pas de quoi il s'agissait, sans réaliser totalement que cela serait interprété comme un aveu.
Britts a passé plus de deux ans en prison en attendant son procès, où il a finalement été déclaré non coupable après qu'un expert médical en dehors de l'État a témoigné que Saniya avait effectivement souffert d'une crise d'épilepsie. Depuis, il dit qu'il a reconstruit sa vie. Il aime passer du temps avec Saniya, qui a totalement récupéré, et ses trois sœurs.
Néanmoins, il dit que rien ne pourra remplacer le temps qui lui a été pris.
« C'est deux ans et demi que je ne récupérerai jamais. J'ai dû établir de nouvelles relations avec mes enfants. J'ai perdu beaucoup. J'ai perdu ma maison, mes deux boulots, j'ai perdu mon mariage, mon père est mort quand j'étais emprisonné », se lamente-t-il.
Des experts pour rechercher le vrai diagnostic
Espérant épargner ce destin à d'autres familles, le FJRC dit vouloir aider à mettre les parents en lien avec des experts médicaux qui connaissent les maladies qui ressemblent à la maltraitance.
Nous avons demandé à l'un de ces experts qui est impliqué avec le FJRC, un radiologue en dehors de Springfield, de nous dire comment il pense que tout cela est possible.
« Je pense que lorsque vous regardez la spécialité de la pédiatrie concernée par la maltraitance, vous êtes formés à protéger les enfants coûte que coûte. Donc c'est la première chose que vous voyez, en d'autres termes, si vous avez un marteau, tout ressemble à un clou, et vice versa. Et il y a un biais de spécialité que nous avons tous », explique le Dr David Ayoub.
Dr Ayoub dit qu'il a beaucoup étudié les maladies osseuses, le rachitisme, et le déficit en vitamine D, et il pense que ces conditions peuvent souvent ressembler à de la maltraitance. Par conséquent, il témoigne dans des cas dans tout le pays.
Comme nous l'avons déjà dit, nous avons essayé d'interviewer le Dr Petrak puisqu'elle est la pédiatre spécialisée en maltraitance en Illinois central, mais son employeur, le Collège de Médecine de l'Université de l'Illinois, dit qu'ils ne peuvent pas « commenter ou fournir des informations sur les patients », citant le secret médical.
Mais, un autre pédiatre spécialiste de maltraitance en dehors du Minnesota, qui n'est pas affilié avec les cas que nous avons couverts, a accepté de nous parler.
« Beaucoup des théories qui sont proposées comme des explications alternatives pour les lésions ne sont acceptées par aucune organisation médicale », dit le Dr Mark Hudson.
Néanmoins, des membres du FJRC disent que cela fait partie du problème, affirmant que de nombreux pédiatres spécialistes de maltraitance éliminent trop vite d'autres hypothèses, et que ce sont eux qui ont le dernier mot pour dire si les lésions sont effectivement dues à une maltraitance.
Le Dr Hudson a reconnu que ce sont les pédiatres spécialistes de maltraitance qui font le diagnostic au final, mais il dit qu'ils consultent d'abord d'autres spécialistes. Néanmoins, il a admis que les médecins pouvaient parfois se tromper.
« Bien sûr que dans tout diagnostic médical, il peut y avoir des erreurs diagnostiques, mais le plus souvent, nous constatons que c'est la maltraitance qui n'a pas été découverte à temps », dit Hudson.
C'est un sentiment partagé par le directeur médical du département d'urgences pédiatriques à l'OSF.
Dr Teresa Riech dit que les professionnels de santé sont légalement obligés de signaler toute suspicion de maltraitance. Elle dit que ne pas le faire peut conduire à des conséquences fatales dans certains cas.
« Parmi les enfants qui décèdent de la maltraitance, 80% meurent d'un traumatisme crânien intentionnel, et ils se présentent souvent à de plusieurs occasions aux professionnels de santé avant que la maltraitance ne soit identifiée », déclare Riech.
C'est pourquoi Riech dit qu'il est si important d'identifier les signaux rapidement et de consulter un pédiatre spécialiste de maltraitance, les services sociaux, et la police. Néanmoins, elle admet que ces cas ne sont pas toujours très clairs.
« Parfois, les lésions peuvent ressembler à de la maltraitance, et il y a de nombreuses conditions médicales qui peuvent y ressembler, donc c'est très délicat », explique-t-elle.
Mais Weidner et le FJRC disent que c'est pour cela qu'ils travaillent pour augmenter la précision des enquêtes pour maltraitance et pour s'assurer que les parents suivent une procédure établie.
Dommages collatéraux
« Les fausses accusations sont souvent considérées comme des dommages collatéraux dans le combat contre la maltraitance infantile. Et souvent on ne prend pas en compte l'impact que les fausses accusations ont sur les familles, » Weidner explique.
Nous avons demandé ce que pouvaient faire des parents s'ils pensent qu'ils sont accusés à tort. Le FJRC dit qu'il faut immédiatement prendre un avocat et demander le dossier médical le plus rapidement possible.
Nous avons aussi demandé à un représentant des services sociaux de l'Illinois s'il y avait un problème avec des familles étant accusées à tort, et si oui, ce qu'ils faisaient pour cela.
Neil Skene, l'assistant spécial au directeur des services sociaux de l'Illinois nous a envoyé le communiqué suivant :
« Notre première responsabilité au DCFS est de protéger les enfants de la maltraitance et de la négligence. Nous sommes sérieux dans nos enquêtes, et nous devons étudier des informations provenant d'une grande variété de sources, et parfois pointant à des conclusions différentes. Dans les cas de violences physiques, l'information provient souvent du personnel médical. Il y a toujours la possibilité d'une erreur, mais nous faisons tout ce que nous pouvons pour obtenir le plus d'informations que nous pouvons avant de prendre un jugement. Le bon travail social est à la fois un art et une science. C'est une décision basée sur toute l'information que nous récoltons.
Dans les deux tiers des 77 000 cas que nous avons suivi durant l'année fiscale 2018, même lorsque l'appel téléphonique était suffisamment suspicieux pour conduire à une investigation, notre investigation a trouvé qu'il y avait des preuves insuffiantes de maltraitance ou de négligence. Même lorsque les allégations sont avérées, nous cherchons un moyen d'intervenir et de garder les familles ensemble quand cela est possible. Actuellement, 2200 familles sont ensemble et reçoivent nos services pour rendre leurs familles plus fortes. Quelque 2000 enfants ont retrouvé leurs parents l'année dernière après avoir été retirés temporairement pour leur sécurité. Plus de la moitié des enfants en foyer sont placés avec des proches. »
Sources :