Qu'est-ce que le syndrome du bébé secoué ?
Une réponse apparemment évidente
N'importe qui répondrait probablement la même chose : c'est un bébé qui est secoué par un adulte en colère et qui subit des lésions graves.
Cette réponse pourrait même être donnée par quelqu'un qui n'a jamais entendu parler de ce syndrome. Le terme de « bébé secoué » parle de lui-même, tandis que le terme de « syndrome » sous-entend un aspect médical. Logiquement, on peut en déduire aisément que le geste de secouement peut avoir des répercussions médicales.
Mais une définition médicale qui n'a rien à voir !
Cependant, la définition médicale n'a rien à voir. Il ne s'agit pas d'un bébé qui a été secoué et qui a subi des lésions, mais d'un bébé qui présente des signes médicaux très spécifiques.
Ainsi, la thèse de médecine du neurochirurgien Étienne Mireau datant de 2005 donne la définition suivante :
Le syndrome du bébé secoué est défini par la présence d’un hématome sous-dural chez un nourrisson pour lequel l’interrogatoire de l’entourage ne retrouve pas de traumatisme crânien ou retrouve un traumatisme minime probablement incompatible avec les lésions constatées.
Dans un article de 2011, des médecins français donnent la définition suivante :
L’association d’un hématome sous-dural aigu et d’hémorragies rétiniennes au fond d’œil chez un nourrisson pour lequel aucun traumatisme compatible n’est retrouvé définit le traumatisme crânien non accidentel.
Autrement dit, le « syndrome du bébé secoué » se définit par un bébé qui présente du sang autour du cerveau et/ou au fond des yeux en l'absence de tout traumatisme reconnu.
Un seul terme pour désigner deux entités
Cette double définition est dangereuse, car au final, le syndrome du bébé secoué désigne deux choses de natures très différentes :
- Un bébé qui est secoué
- Un bébé qui présente des signes médicaux spécifiques
L'utilisation du même terme pour désigner à la fois une entité clinique et un geste spécifique ne fait qu'entretenir la confusion.
Ce n'est pas parce que certains bébés présentant ces signes ont été maltraités, que tous l'ont été. Cela revient à faire un amalgame.
Comment désigne-t-on alors un bébé atteint d'une maladie génétique rare provoquant ces mêmes signes de manière spontanément, mais qui n'aurait jamais été secoué ? Si l'on en croit la définition médicale, le diagnostic qui doit être posé est celui du « syndrome du bébé secoué ». Or, ce bébé n'aurait pas été secoué ! Comment peut-on raisonnablement parler d'un « bébé secoué » pour un bébé qui n'a pas été secoué ?
C'est ainsi que Hugo, le fils de Virginie, pour ne prendre qu'un seul exemple, a toujours été qualifié de « bébé secoué » par tous les médecins, y compris les experts judiciaires, alors même que Virginie et son compagnon ont été définitivement innocentés par la justice. Il souffrait d'hématomes sous-duraux et d'hémorragies rétiniennes dues à une maladie génétique rarissime (trouble de la coagulation).
Hugo sera peut-être inclus malgré lui dans une étude future sur les « bébés secoués », vu qu'il a été diagnostiqué comme tel, même s'il n'a jamais été secoué ! Les études sur les bébés secoués mélangent allègrement les bébés qui ont été secoués et ceux qui ne l'ont pas été, mais qui ont été diagnostiqués à tort. C'est tout le problème de la littérature médicale sur le sujet.
Une définition contestée par les pères du syndrome du bébé secoué
Plusieurs auteurs et magistrats ont critiqué l'utilisation d'un terme mélangeant une cause possible et des signes médicaux. Ainsi, pour une cour américaine :
Même les noms des diagnostics, à savoir « traumatisme crânien intentionnel » et « syndrome du bébé secoué », ont été critiqués car il s'agit essentiellement de prophéties auto-réalisatrices. Plutôt que de noter les lésions objectivées séparément de la recherche de la cause, ces « diagnostics » confondent les deux concepts distincts en un seul.
Les pères du syndrome du bébé secoué eux-mêmes, le neurochirurgien pédiatrique britannique Norman Guthkelch et le radiologue américain John Caffey, ont critiqué cette confusion sémantique.
Guthkelch a ainsi écrit en 2011 [1] :
Il y a une difficulté épistémologique sérieuse ici, qui ne semble pas avoir été clairement reconnue. Parmi les centaines de syndromes qui existent dans la littérature médicale, presque tous sont nommés d'après leur découvreur (par exemple, le syndrome d'Adie) ou pour une caractéristique importante (par exemple, le syndrome de l'homme raide). Au contraire, l'appellation « syndrome du bébé secoué » affirme une unique étiologie (le secouement). Il implique également l'intention puisqu'il est difficile de secouer un bébé « accidentellement ». Un terme plus récent, le traumatisme crânien intentionnel, implique à la fois un mécanisme (traumatisme) et une intention (maltraitance).
Puisque les hémorragies sous-durales et rétiniennes (avec ou sans œdème cérébral) peuvent aussi être observées dans des situations naturelles ou accidentelles, je suggère que les éléments de la triade classique (...) seraient mieux définis en terme de leurs caractéristiques médicales. Puisque les hémorragies sous-durales chez les nourrissons proviennent de la dure-mère, peut-être que « hémorragie rétino-durale du nourrisson » serait un nom acceptable pour les signes principaux. (...) Cela nous permettrait d'enquêter sur la cause sans donner l'impression que l'on connaît déjà la réponse.
Caffey a écrit en 1972, à propos d'un syndrome similaire (celui des « enfants battus » ) [2] :
Le terme de « syndrome de l'enfant battu » tend à attiser la haine de celui qui l'entend, et occasionne un biais prématuré à l'encontre des parents accusés avant même que les enquêtes médicales et légales n'aient pu être faites. Le terme d'« enfant battu » pourrait bien être terriblement injuste lorsqu'il est utilisé avant que la culpabilité des parents n'ait été légalement établie.
Ces mots prémonitoires s'appliquent évidemment aussi bien au syndrome du bébé secoué, que Caffey a créé la même année dans un autre article.
Des messages de prévention qui entretiennent la confusion
Toutes les communications faites sur le syndrome du bébé secoué, notamment les messages de prévention, entretiennent même involontairement cette confusion en ne considérant que la première de ces deux définitions. Personne n'explique que ce terme est aussi utilisé par les médecins pour désigner des bébés qui n'ont jamais été secoués, mais qui ont eu le malheur de présenter ces signes pour d'autres causes.
Tous les intervenants, police, justice, services sociaux, confondent naturellement les deux définitions, et considèrent que les bébés diagnostiqués à tort par les médecins ont été secoués. Il est très difficile de leur expliquer une telle confusion. Le langage est un préalable à tout raisonnement. Lorsque le langage fait défaut, il devient impossible de raisonner correctement !
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