Qu'est-ce qui conduit des médecins à écarter la responsabilité de causes médicales avérées dans des diagnostics abusifs de maltraitance ?
Une maladie rarissime reconnue par la justice, mais non par la médecine
Hugo, le fils de Virginie, est atteint d'une maladie génétique rarissime, l'hypofibrinogénémie. C'est un trouble héréditaire de la coagulation qui peut favoriser des saignements. Hugo a présenté des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes, les signes cardinaux du syndrome du bébé secoué. Ce diagnostic de maltraitance a donc été posé par les médecins au moment du signalement.
Plus tard, lors des expertises judiciaires, et après que la maladie soit avérée par une analyse ADN, les trois experts judiciaires mandatés ont tous formellement écarté la responsabilité de la maladie dans l'apparition des symptômes.
Virginie et son compagnon ont pourtant toujours clamé leur innocence, et ils ont finalement été innocentés par la justice, que ce soit au niveau de la procédure d'assistance éducative ou de la procédure pénale. La justice a estimé que la médecine se trompait lorsqu'elle considérait que cette maladie rare méconnue ne pouvait en aucun cas expliquer les symptômes.
Inédit donc impossible ?
L'argumentation des médecins pour éliminer la maladie est simple : il n'y a pas de précédent publié dans la littérature médicale. Autrement dit, le cas de figure de Hugo ne s'est encore jamais présenté dans une publication médicale. Pour les experts, cela signifie donc que ce cas inconnu ne peut pas exister, et c'est cela qui a justifié leur conclusion catégorique qu'il s'agissait d'une maltraitance.
Ce raisonnement est aussi surprenant qu'inquiétant venant d'experts judiciaires assermentés, spécialistes internationalement reconnus du syndrome du bébé secoué, qui sont censés suivre une démarche scientifique pour parvenir à leur conclusion.
D'abord, peut-on vraiment croire que tout ce qui n'a pas été publié n'existe pas ? Cela revient à penser que la médecine sait déjà tout et qu'il n'y a plus aucune découverte à faire. En fait, une publication de recherche qui ne ferait que rapporter des choses déjà connues ne serait jamais acceptée dans une revue digne de ce nom : le propre d'une publication est de rapporter une découverte jusque là inconnue ! Si tous les médecins suivaient cette logique, il n'y aurait plus aucune publication, plus aucune recherche en médecine : la médecine ne serait plus une science mais une religion...
Imaginerait-on les institutions déclarer qu'un accident nucléaire est impossible car il ne s'en est jamais produit en France jusqu'à présent ? Ou affirmer qu'une catastrophe, si elle a lieu, est forcément le résultat d'une conspiration, puisqu'il n'y a jamais eu d'accident dans le passé ?
Le même raisonnement absurde peut d'ailleurs être conduit pour le diagnostic de secouement. Aucun cas d'enfant à la fois atteint d'hypofibrinogénémie et victime d'un secouement n'a jamais été rapporté dans la littérature médicale. Est-ce donc impossible... ?
Les troubles de la coagulation, des diagnostics différentiels pourtant reconnus
Ensuite, le consensus international est que les troubles de la coagulation forment une classe majeure de diagnostics différentiels du syndrome du bébé secoué [1, 2]. Pourquoi la France ne suit-elle pas ce consensus ?
Pire, dans un autre cas similaire (Luqman, atteint d'une carence majeure en vitamine K, un grave trouble de la coagulation), des experts ont rejeté toutes les publications médicales démontrant qu'un tel déficit pouvait bien provoquer les signes du « bébé secoué » [3]. Ils ont tout simplement affirmé ne pas être d'accord avec ces publications. Pour eux, tous les bébés malades rapportés dans ces publications avaient en fait été secoués. Il n'y avait pourtant aucun élément scientifique permettant de soutenir ces accusations gratuites.
Une erreur jamais corrigée
Enfin, et c'est le plus important : la justice a reconnu l'erreur d'appréciation des experts dans le cas de Virginie. Pour la justice, l'hypofibrinogénémie de Hugo a pu expliquer les symptômes, et il n'y avait donc aucun argument en faveur d'une quelconque maltraitance. Malheureusement, cette décision de justice n'est pas acceptée par la médecine. Aucune publication médicale ne rapportera sans doute jamais ce cas.
Qu'arrivera-t-il donc au prochain Hugo, au prochain bébé atteint de cette maladie et des mêmes symptômes ? Les experts persisteront à appliquer le même raisonnement invalide, ignorant au passage la décision de justice pour Virginie. Tous ces bébés seront donc diagnostiqués à tort.
En fait, Hugo n'était peut-être même pas le premier bébé à présenter ce cas de figure. Peut-être y a-t-il parmi les milliers de « bébés secoués » passés d'autres bébés atteints d'hypofibrinogénémie qui ont été diagnostiqués à tort ? Il n'y a aucun moyen de le savoir et on ne peut pas l'exclure..
Imaginons un instant que ce soit le cas. Il pourrait même y avoir une publication portant sur plusieurs bébés atteints d'hypofibrinogénémie et diagnostiqués (à tort) « bébés secoués ». Les médecins diraient alors (à tort) que cela prouve bien que cette maladie ne provoque jamais les signes du bébé secoué. La publication ne dirait rien sur le fait que ces bébés n'aient pas été secoués, ou même que les parents aient été innocentés. La même erreur médicale continuerait donc à être reproduite à l'infini dans une sorte de cercle vicieux dramatique.
Le sophisme du raisonnement circulaire
Ce raisonnement aberrant n'a rien d'abstrait. Il est omniprésent dans la littérature sur le syndrome du bébé secoué, et il porte même un nom : c'est le « raisonnement circulaire » [4, 5]. Cette grave erreur de raisonnement logique consiste à présupposer ce que l'on veut démontrer.
Les médecins décident qu'une maladie, ou une chute de faible hauteur, ne provoque pas le syndrome du bébé secoué, et c'est ce qui les conduit à diagnostiquer ce syndrome chez tous les bébés dans cette situation. Ils écrivent alors des publications selon lesquelles 100% des bébés dans cette situation ont été secoués. En fait, rien ne dit que ces bébés ont vraiment été secoués, mais les médecins ont fait l'hypothèse que c'était le cas...
C'est ainsi qu'il y a des publications montrant que 100% des enfants présentant des hématomes sous-duraux, ou 100% des enfants présentant des hémorragies rétiniennes sévères, ont été secoués. Mais, en réalité, ce chiffre de 100% ne fait que refléter les croyances des médecins sur l'origine de ces lésions, et il n'apporte donc évidemment pas le moindre début de preuve scientifique [6]...
C'est précisément cela qui a été dénoncé par le rapport suédois qui a conclu que la quasi-totalité de la littérature spécialisée souffrait de cette grave erreur méthodologique et qu'il n'y avait donc que « des preuves scientifiques très limitées » du critère diagnostique basé sur la seule triade [7].
Le premier ennemi de la connaissance n'est pas l'ignorance, c'est l'illusion de la connaissance. — Stephen Hawking
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