Suite à la parution de notre tribune dans Le Monde, un médecin nous a écrit un message. Il nous a autorisés à le publier de manière anonyme :
Bonjour. Je viens de lire La Tribune du Monde. Bravo et félicitations pour votre mouvement, car faire entendre la voix de ces cas spécifiques devra un jour, je l’espère, obliger les pouvoirs publics à changer leur angle de vue dans le dépistage des maladies rares et orphelines pour l’élargir. Ce sont eux qui pourront, plus que les médecins eux-mêmes, corriger le tir.
Je suis médecin moi-même et j’ai exercé pendant plusieurs années dans un grand hôpital pédiatrique parisien.
Nous sommes pour l’immense majorité d’entre nous cependant - je parle de la médecine (en) général(e) - formés à une médecine pratique (en dehors des grands centres hospitaliers) qui fonctionne sur le mode et l’apprentissage suivants : les maladies rares sont exceptionnelles, et les enfants battus fréquents.
Toute la difficulté réside dans le fait qu’un médecin souhaitera avant tout protéger l’enfant - et se protéger lui-même de la Une de journaux comme celui dans lequel vous faites tribune pour avoir laissé passer votre voix - de potentiels sévices : c’est la double hantise de l’urgentiste moyen.
Le fait que vous amplifiez le « buzz » sur les maladies rares doit augmenter le niveau de vigilance des médecins qui ne pourront plus dormir sur leurs fausses certitudes et ne plus se poser la question suivante « oui, je suspecte un mauvais traitement, mais si je me trompais ? ». Il existe toujours un niveau supplémentaire caché dans ce métier c’est ce qui en fait la difficulté (et le charme).
Le Doute, base de la réflexion en médecine comme en philosophie et ailleurs...
« Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude »
Nietzsche
Nous remercions ce médecin de nous faire part de son point de vue que nous partageons tout à fait.
Les médecins se doivent de protéger les enfants en danger. La maltraitance est malheureusement très répandue puisqu'elle toucherait de l'ordre de 10% de tous les enfants. Un pédiatre hospitalier doit donc s'attendre à voir passer des enfants maltraités tous les jours.
Au contraire, les maladies rares (touchant moins d'une personne sur 2000) sont... rares. Par exemple, l'hypofibrinogénémie d'Hugo ou l'abétalipoprotéinémie de Luqman touchent chacune de l'ordre d'un enfant sur un million, ce qui représente moins d'un nourrisson par an dans la France entière. Peu de médecins seront confrontés à ces maladies spécifiques au cours de leurs carrières.
Cependant, même si chaque maladie rare ne touche que quelques bébés, il y a énormément de maladies rares différentes, de l'ordre de 8000. En France, 3 millions de personnes vivraient avec une maladie rare, soit 4.5% de la population. Ces maladies touchent des jeunes enfants dans la moitié des cas. On découvre de nouvelles maladies rares chaque semaine. Comme l'explique Wikipédia :
Bien que chacune ne touche que peu d'individus, leur grande variété fait que le nombre de personnes concernées dépasse, en France, le nombre de malades atteints de cancer.
En ce qui concerne le syndrome du bébé secoué, les maladies connues pour causer les mêmes signes (ce que l'on appelle les diagnostics différentiels) sont nombreuses. Nous en présentons une liste non-exhaustive sur notre site.
Les maladies rares sont rares, mais le syndrome du bébé secoué est rare également. Ce syndrome toucherait de l'ordre de 200 nourrissons chaque année, soit un nourrisson sur 4000. Nous ne savons pas combien de bébés sont concernés par les maladies rares causant les mêmes signes que le syndrome du bébé secoué, mais il est possible que ce nombre ne soit pas négligeable devant le nombre de bébés réellement maltraités. Devant une suspicion de bébé secoué, le médecin se trouve donc par définition même dans un cas rare. Les maladies rares doivent donc bien être gardées en tête. Il faut rappeler qu'un enfant maltraité est en danger dans sa famille, mais qu'un enfant malade est en danger s'il est mal soigné et enlevé à ses parents.
C'est pour cette raison que tous les examens nécessaires devraient être réalisés avant de suspecter une maltraitance. Par exemple, l'acidurie glutarique de type 1 est une maladie rare touchant environ une naissance sur 30 000, soit 25 nourrissons chaque année. Il est reconnu qu'il s'agit d'un diagnostic différentiel du syndrome du bébé secoué. Devant une suspicion de bébé secoué, les médecins devraient effectuer des examens biologiques, notamment un bilan métabolique, pour éliminer cette maladie. Une étude au CHU de Nancy a pourtant montré que cet examen n'était pas réalisé dans 90% des cas. Pour l'auteur de l'étude :
Nous pouvons critiquer le fait que le bilan métabolique soit peu réalisé dans nos pratiques (9,8 %).
Nous savons la difficulté de déceler ces maladies rares, mais les dégâts causés sur toute la famille par un placement de longue durée et des poursuites pénales infondées sont irréversibles.
Sources :