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Les prénoms ont été modifiés.
Je m'appelle Audrey, je suis mariée depuis plus de 10 ans.
Nous avons deux enfants. Je suis tombée enceinte de mon fils Benjamin il y a bientôt 10 ans, grossesse désirée.
Grossesse normale, si ce n'est beaucoup de vomissements les trois premiers mois, mais rien de particulier (à noter, une injection de Rophylac).
Benjamin est né avec une semaine d'avance, accouchement par voie basse sous péridurale. Au moment de l'expulsion, la sage femme nous dit un peu paniquée "je vais chercher l'obstétricienne".
Le médecin revient en nous disant que mon mari ne pourrait pas couper le cordon car il est autour du cou (4 tours serrés).
On nous prend Benjamin quasiment de suite en nous disant que son cœur s'est ralenti et qu'on doit le mettre sous oxygène pendant quelques heures.
On nous le ramène finalement 5/10 minutes après.
J'allaite mon fils difficilement car j'ai des crevasses qui me font très mal.
Au bout de trois semaines et sous conseil du pédiatre de la PMI, je le passe au biberon.
Il avait un ictère qu'il a gardé au moins 3 semaines.
A partir du lundi, Benjamin a des vomissements, parfois en jet.
Je l'amène chez le pédiatre le mardi, car il a une petite tâche rouge dans l'œil, lui demandant si ça va partir, elle me répond qu'il a du se griffer.
Le mercredi, j'amène mon fils chez l'ostéopathe, comme je l'avait fait pour sa grande soeur au même âge, qui effectue une manœuvre, où elle le pend par les pieds en le déroulant, les gestes sont doux.
Sur la fin de semaine, il continue de vomir.
Le lundi matin, il me rend son biberon, tel quel, en jet.
Je l'amène donc chez mon médecin généraliste et suis reçue par son remplaçant.
Il m'explique que c'est certainement une sténose du pylore, rien de grave, et m'envoie vers l'hôpital des enfants vers 14h.
Ils lui font une radio de l'abdomen (où l'on voit beaucoup de selles), quelques tests basiques faits dans le box des urgences (test sous le pied, lui faire tenir les doigts, le faire marcher...), et ils en concluent que c'est une histoire de lait, qu'il faut juste lui donner un lait anti reflux.
Nous repartons donc le soir vers 22h30 avec des biberons donnés par l'hôpital (90 mL chacun).
Je n'ai pas eu de compte-rendu des tests et examens faits ce jour-là.
La nuit se passe sans problème particulier, il se réveille toutes les trois heures, prend ses biberons correctement, le dernier à 7h, il râle même car il n'y en a pas assez, mais il se rendort sans soucis.
Vers 10h je vais au magasin pour lui acheter le lait recommandé.
Je reviens vers 11h, et mon mari me dit que Benjamin a un peu râlé vers 10h, il avait l'air de se réveiller, il a donc préparé son biberon et quand il est revenu pour le lui donner, il s'était rendormi, et il l'a laissé dormir dans son lit.
Je lui dis qu'il faut le réveiller car nous devons partir.
Il le prend, le pose sur le canapé, Benjamin ne bouge pas, il gémit, et quand on lui soulève les bras, il a les bras ballants, sans réaction.
Je lui prends la température, car je le trouve froid, il a 35.8.
Il décide donc de lui donner un bain pour le réchauffer et comme Benjamin n'aime pas trop ça, on se dit que ça va le stimuler un peu. Nous le couvrons ensuite avec plusieurs couvertures et essayons de nous relayer auprès de lui pour le réchauffer.
Mon mari n'est pas quelqu'un d'inquiet, contrairement a moi, mais là, il juge l'urgence et me dit d'appeler tout de suite le SAMU pour que quelqu'un prenne de suite Benjamin en charge, car il pense que si on l'amène aux urgences nous mêmes, ça ne sera pas assez rapide.
J'appelle les urgences à 12h, on me passe un pédiatre qui nous demande de le stimuler, claquement de doigts, pincements...
Pas de réaction...
Le médecin me répond "Ben, ou il dort, ou il est dans le coma... Appelez votre médecin traitant pour avoir un RDV."
Je raccroche et explique à mon mari, qui me répond, "Non, tu rappelles et tu leur dis de venir le chercher tout de suite".
Ce que je fais, de là, on me balade en m'expliquant que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, qu'on envoie pas un SAMU comme ça... Face à mon insistance, ils finissent enfin par me dire qu'il m'envoie quelqu'un.
Au bout d'1h15 je m'aperçois que beaucoup de temps est passé (je suis quelqu'un d'inquiète et je m'étais mise à faire des choses pour m'occuper à ne pas réfléchir).
Je rappelle les urgences qui me disent, "Ah ben, on avait perdu votre dossier..."
Et ils m'assurent qu'ils envoient quelqu'un.
Au bout d'une demi heure (soit 1h45 après), deux ambulanciers arrivent, sans pédiatre,... pas de SAMU pédiatrique.
Ils ont du mal a lui prendre la tension, sont assez maladroits avec lui, et finissent par dire: "Ben, mis a part qu'il n'ouvre pas les yeux, il a l'air bien".
Nous partons vers l'hôpital, je monte avec mon fils et mon mari nous suit en voiture.
Arrivés là-bas, il est pris en charge quasiment de suite, mis dans un box, le claquement abdominal est toujours présent. On lui appuie sur la poitrine et il se met à hurler, de là, ils essayent de le perfuser mais ils n'y arrivent pas. Ils nous font sortir car nous sommes très inquiets.
Quand nous revenons, on entend les médecins parler de réanimation, et on nous explique qu'on le met là-bas, car son cœur est très fatigué.
Après une longue attente, la médecin de garde et le neurologue nous expliquent que le scanner crânien n'est pas bon et que notre fils a peu de chance de vivre et, s'il vit, qu'il aura des séquelles irréversibles.
On nous emmène voir Benjamin en réanimation et on nous explique qu'il sera, s'il vit, en état végétatif.
Nous sommes dans un état de choc indescriptible.
Le lendemain, nous sommes convoqués par le neurologue, qui nous dit qu'il y a sur son ventre un bleu. Nous lui expliquons que ce n'est pas un bleu mais deux petites griffures que nous avions remarquées (mais qui ne nous avait pas affolés). Il a également des griffures sur le nez, et il a des pommettes saillantes qui font que suivant les jours on peut penser qu'il a des marques (encore aujourd'hui cela se produit)
Il insiste sur le fait que c'est un bleu, que Benjamin présente un hématome sous-dural et une hémorragie rétinienne, et que par conséquent il faisait un signalement car il avait tous les signes d'un bébé secoué.
Pour nous c'est un énorme choc de plus, et une grande incompréhension, car nous savons très bien qu'aucun de nous ni personne d'autre n'a jamais secoué Benjamin.
Benjamin reste 10 jours en réanimation, et on nous fait clairement comprendre qu'il ne va pas vivre. Mais il passe le cap du respirateur. Benjamin monte en service neuro.
Le médecin légiste passe et ne constate rien sur son ventre, vu qu'il passe 15 jours après. Il en conclut que c'est bien un bébé secoué et un placement est décidé.
En parallèle nous sommes placés en garde à vue pendant 10h30, où l'on va nous assommer de questions.
Benjamin part en pouponnière médicalisée, le temps du placement, et pour pouvoir continuer a bénéficier de soins adaptés, il a donc de la kiné car il est en hypotonie sur l'axe et hypertonie sur les membres.
Nous sommes convoqués quelques semaines plus tard pour le jugement et la juge lève le placement.
Benjamin rentre a la maison.
Benjamin est pris en charge par le CAMPS où nous parlons de sa prise en charge médicale au vu de son futur handicap (que nous ne mesurons absolument pas à l'époque). Il sera vu par des kinés et médecins.
Un jour, Benjamin pleure beaucoup quand nous le prenons dans les bras. Je l'amène donc aux urgences où on me dit que son humérus gauche est cassé. Le médecin me demande ce qu'a Benjamin et je lui dis qu'il a eu une œdème cérébral.
Le lendemain, le médecin de l'hôpital me rappelle pour que je vienne faire des radios complémentaires.
De là, il m'explique que la veille, il a vu un cal osseux sur l'avant bras mais qu'il ne m'a rien dit, et qu'il a eu le neurologue de l'autre hôpital et qu'il refaisait un signalement.
Benjamin est donc placé d'urgence en famille d'accueil et part sous mes yeux, ceux de ma fille et de ma mère, avec les services sociaux.
La juge nous convoque donc pour le placement, et nous explique qu'elle lance une expertise médicale. Nous voyons Benjamin une heure par semaine en présence des services sociaux.
Les experts examineront Benjamin, et je suis là à chaque RDV.
Ils demanderont un délai supplémentaire pour faire intervenir d'autres experts.
Ils rendent leur expertise quelques mois plus tard et, le jour de l'audience où l'on pense récupérer Benjamin au vu d'une expertise qui exclut la maltraitance, nous apprenons que le parquet a ouvert une enquête et dépose une plainte contre X pour violence sur mineur de moins de 15 ans entraînant un ITT de plus de 15 jours.
Le juge ne nous rend donc pas Benjamin mais nous conseille vivement de faire appel, ce que nous faisons.
Nous gagnons l'appel, et Benjamin fera un retour progressif, et rentrera finalement à la maison.
L'arrivée d'un enfant que l'on ne connaît pas et handicapé va être difficile. Nous mettons plusieurs mois a nous connaître, je demande de l'aide à la PMI de secteur et les choses se mettent en place.
Je mène un combat pour lui trouver une prise en charge adaptée, il est pris en charge par le CAMPS.
Il a de gros troubles du sommeil et je cherche un relais, quasi impossible a trouver.
Petit à petit, l'IEM m'annonce que Benjamin peut rentrer à temps partiel et progressivement.
C'est un petit garçon de 6 ans, qui aujourd'hui a une IMC, il ne parle pas, ne marche pas, ne tient pas assis, il faut l'assister dans tout les gestes du quotidien. C'est une prise en charge lourde, mais l'IEM fait le relais, et la vie a trouvé un équilibre.
Coté procédure, nous sommes entendus mon mari et moi par la juge d'instruction quelques années plus tard. Elle procédera à notre mise en examen.
Elle a mandaté deux expertes parisiennes, spécialistes du bébé secoué, pour re-expertiser l'expertise initiale.
Elles rendront une expertise démontrant notre culpabilité évidente.
Nous serons envoyés vers le tribunal correctionnel.
Nous verrons pour la première fois l'administratrice ad hoc, représentant Benjamin, qui n'a pas pris la peine de nous contacter avant l'audience , et a fait sa défense sur dossier. Ce jour-là nous apprenons qu'elle demande un préjudice de 90 000 euros.
A l'audience, son avocate expliquera qu'elle est en désaccord avec sa cliente, car pour elle dans le dossier il n'y a rien contre nous, mais que, à la demande de sa cliente, elle demande le préjudice.
Le procureur lui, s'en remet au juge.
Le juge avait pour moi déjà son avis.
Il nous a bien fait comprendre qu'il n'avait aucun doute sur le fait que nous étions une famille sans soucis, que d'ailleurs notre profil ne correspondait pas à notre "condamnation", nous, famille sans histoire.
Il a beaucoup insisté sur le fait que nous étions stressés et angoissés pendant que nous attendions le SAMU.
Mon avocate a plaidé le doute, car faute de preuves on ne peut pas condamner les gens.
Pendant le délibéré, l'administratrice ad hoc est venu me voir, limite en pleurant, pour me dire qu'elle avait fait son travail, que nous serions relaxés, et qu'elle n'avait rien contre nous.
Le juge m'a relaxée et a condamné mon mari a 18 mois de prison avec sursis pour motif qu'il avait effectué des manœuvres volontaires et fait des séquelles involontaires.
De plus, il a ordonné un procès civil qui devra faire état de la dette engendrée par la CPAM pour Benjamin...
Nous avons fait appel, donc le procès civil est annulé. Mais tout est remis en jeu à l'appel.
À aucun moment, le juge n'a pris en compte la première expertise qui est en notre faveur. Il retient seulement que Benjamin allait bien à sa sortie d'hôpital et qu'il ne peut que s'être passé quelque chose entre ce moment et le lendemain. Il n'y avait que nous, donc pour lui, les seuls coupables sont les parents, du moins un des deux parents.
Finalement, à l'appel, mon mari a été relaxé et toutes les charges contre nous ont été abandonnées.
Nous ne savons toujours pas exactement, et nous pensons que nous ne saurons jamais pourquoi notre fils est aujourd'hui handicapé.
Les mois qui ont suivi la relaxe ont été compliqués.
L’annonce aura eu deux effets. D'abord, un effet de soulagement, mais finalement un soulagement non visible car rien ne change dans notre vie.
Et ce non visible sera difficile à vivre. Nous sommes relaxés de quelque chose que nous n'avons jamais fait. Cela n’a pas de sens. Au debut, on avait envie de fêter cela, mais comment fêter la relaxe d’une fausse accusation ? Nous reprendrons donc le cours de notre vie en sachant que tout est fini, mais nous sommes toujours dans la peur.
Cela aura aussi un effet contraire et les mois suivant seront difficiles. Nous nous sommes renfermés sur nous, particulièrement mon mari qui s’est beaucoup isolé. J'ai même soupçonné une depression, mais l’amour de notre famille l’aideront à sortir de ce gouffre.
Ces huit ans nous reviennent en pleine tête et nous devons apprendre à ne plus vivre dans la peur, peur d’ouvrir la boite aux lettres, peur quand le téléphone sonne, peur qu’on nous retire notre enfant, peur de partir en prison, peur de tout...
Ces huit années nous auront détruit psychologiquement, et nous auront marqués au fer rouge.
À tout jamais, nos émotions, nos réactions, seront influencés par ces huit années.
Nous nous relevons de cela, car notre force reste notre famille, qui par chance reste entière et encore plus soudés. Nous avons la chance d’être avec mon mari encore plus unis qu’avant. Cette épreuve aura eu au moins cet impact sur notre couple.
Nous avons l’immense chance d'être entourés de nos familles et amis qui, même s’ils ne s’en rendent pas compte, nous ont apporté la force qu’il nous manquait par moments et pour cela je les remercie de tout mon cœur.
Le temps fait son travail, et au fil des mois la douleur et la peur sont moins présentes... On laisse notre memoire faire du tri dans les souvenirs et on garde les informations les plus importantes.
On oublie les détails répétés pendant huit ans, au cours d’auditions, procès... Des heures, des dates, on n'a plus du tout envie de savoir en detail ce qui s’est passé le 4 novembre 2008 à l'heure près.
On se sent malgré tout libérés de ce poids de huit ans, où on a été considérés comme des coupables alors que nous nous savions innocents. On reprend confiance en nous. Ils ont réussi a nous faire croire que l'on était de mauvais parents.
On peut désormais se consacrer à l'essentiel, notre famille, l’avenir de nos enfants, et surtout la prise en charge de notre fils, car le handicap est là et il a besoin de toute notre force. Cette force qui pendant des années a été perdue a cause d'un signalement trop rapide qui a fait basculer à jamais notre vie en cauchemar.
Nous resterons marqués a jamais et le chemin sera long pour retrouver une vie à peu près normale, mais notre plus belle victoire c’est d’être encore ensemble et d’avoir gagné.