Le magazine bimensuel Society a publié dans son numéro 198 (première quinzaine de février 2023) un compte-rendu d'un procès d'assises ayant eu lieu en décembre 2022 au tribunal judiciaire de Nanterre.
Une assistante maternelle accusée d'avoir mortellement secoué un bébé
Une assistante maternelle était accusée d'avoir mortellement secoué un enfant âgé de 10 mois, en 2015. Elle encourrait 30 ans de prison.
Entre Noura B. et ses anciens employeurs, il y a la mort d’un enfant de 10 mois. Augustin a fait un malaise un jour de novembre 2015, alors qu’il était chez sa nourrice. Il s’est mis à convulser, a cessé de respirer. Noura B. a tenté un massage cardiaque, appelé les secours. Arrivé à l’hôpital Necker, l’enfant a passé une IRM qui a révélé qu’il avait du sang dans le cerveau et derrière les yeux. Pour les médecins, ces lésions ne laissent pas de doute: Augustin a été victime du syndrome du bébé secoué. Celui-ci survient lorsqu’un adulte, excédé par les pleurs d’un tout-petit, le saisit sous les aisselles et le secoue violemment, faisant balloter sa tête d’avant en arrière. Un geste qui suffit à handicaper ou tuer un enfant. Noura B. est mise en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Dix-sept jours après son malaise, Augustin mourait au service de réanimation de l’hôpital Necker, un des établissements de référence de la pédiatrie en France.
Le jour du drame, les parents d'Augustin l'emmènent chez son assistante maternelle. Cette dernière dit l'avoir trouvé très fatigué à son arrivée, mais elle accepte néanmoins de le garder ce jour-là. Elle ne reconnaitra jamais avoir secoué l'enfant. « Elle a été interrogée à de multiples reprises par la police, puis par les trois juges d’instruction qui se sont relayés sur cette affaire. Elle a toujours nié avec constance avoir commis le moindre acte de violence à l’égard de l’enfant. »
Le mari de l'assistante maternelle était aussi mis en cause, mais il est décédé durant l'instruction.
Lors du dernier jour qu’Augustin a passé chez elle, Noura B. n’était pas seule à son domicile. Son dernier fils, Yassine, 14 ans, est rentré du collège pour déjeuner, et son mari, Mouldi, était présent toute la matinée. C’est ce dernier qui, d’abord, fait l’objet de soupçons. En garde à vue, les parents d’Augustin répètent spontanément que “ce ne peut pas être Noura”. Ils pensent alors qu’elle essaie de “protéger son mari”. Mais lorsque Mouldi meurt d’un cancer en 2019, sa femme devient l’unique mise en cause. Les parents d’Augustin sont désormais convaincus de sa culpabilité.
La tâche de la cour est difficile, car il n'y a pas d'aveux, pas de témoins. Plusieurs autres parents ayant confié leur enfant à l'assistante maternelle témoignent unanimement en sa faveur. Aucun accident de parcours n'est relevé pendant 20 ans de garde d'enfants.
Du côté des parents, la reconstruction de leur famille après le décès de leur bébé est difficile.
Chaque jour, les parents prennent place sur le banc des parties civiles, vêtus de noir, les yeux gonflés. Sept ans après la mort brutale d’Augustin, ils portent comme au premier jour le deuil de leur enfant, dont ils installent systématiquement une grande photo à côté d’eux, sur le banc des parties civiles. Une bouille de bébé, les yeux noirs et grands ouverts qui semblent plonger dans ceux des témoins qui se relaient à la barre. Les mots manquent à ces parents pour dire le choc de laisser leur fils un matin chez sa nourrice et le retrouver l’après-midi couvert de pansements et de tuyaux sur un lit d’hôpital. Alors, Franck emprunte ceux de Léopold. Quand Augustin est mort, son grand frère a voulu devenir pilote d’avion pour aller le chercher dans le ciel. Quand il a compris que cela ne suffirait pas, il s’est passionné pour les fusées.
Le procès d'un diagnostic ?
L'article aborde alors le fondement de l'accusation : un diagnostic médical posé par plusieurs médecins.
Comme souvent dans les dossiers de bébés secoués, la cour a la tâche délicate de juger une affaire sans preuves ni aveux. Mais si Noura B. est jugée, c’est que plusieurs avis médicaux l’accusent. Huit médecins se sont penchés sur le dossier d’Augustin S.. Tous ont conclu au syndrome du bébé secoué et ont estimé que les symptômes avaient dû apparaître peu après le secouement. Le neurochirurgien de l’hôpital Necker est le premier à évoquer ce diagnostic. Il appelle la brigade de protection des familles des Hauts-de- Seine et indique que “l’examen est compatible avec un secouement”. À l’audience, deux enquêteurs se remémorent le jour où ils ont reçu le coup de fil, puis le certificat médical émanant du grand hôpital pédiatrique français. “Vous orientez-vous de manière définitive sur un SBS (syndrome du bébé secoué, ndlr) ou avez-vous en tête d’autres causes possibles?” les interroge le président. “Si le certificat médical évoque le SBS, on n’a pas trop le choix”, répond l’enquêteur. Dans cette affaire, ils expliquent avoir travaillé sur les deux environnements, celui de la famille et celui de la nounou. Dans aucun des deux, admettent-ils, ils n’ont trouvé d’indice de maltraitance.
L'enquête se penche alors sur l'historique du syndrome du bébé secoué.
Le diagnostic de syndrome du bébé secoué existe dans la littérature médicale depuis les années 1970. Il apparaît d’abord dans les pays anglo-saxons, puis arrive en France dans les années 1980. En 2011, pour aider les médecins à le poser, la Haute autorité de santé (HAS) publie des recommandations de bonne pratique. Elles indiquent qu’en cas d’hématome sous-dural et d’hémorragie rétinienne, deux lésions présentées par le petit Augustin, le diagnostic de SBS est “hautement probable”. En 2017, la HAS préconise aux médecins d’être plus catégoriques encore: en présence de ces deux lésions et en l’absence de pathologie connue, le diagnostic n’est d’après elle plus seulement “probable”, mais “certain”. Chaque année en France, 500 cas de bébés secoués sont signalés à la justice. Ce diagnostic, pourtant, fait l’objet d’une controverse mondiale. En Suède, la SBU, équivalent de la HAS française, a par exemple estimé qu’il reposait sur des bases scientifiques fragiles. Aux États-Unis, des adultes condamnés dans des affaires de SBS sont régulièrement rejugés. En France aussi, le débat s’invite dans les tribunaux. Le pénaliste Grégoire Etrillard, spécialisé dans les affaires de bébés secoués, est le premier à avoir questionné la parole des experts sur ce sujet. “Les mis en cause risquent de lourdes peines, particulièrement les nounous, les plus difficiles à défendre, qui prennent souvent dix ans de prison. On est obligés d’entrer dans le débat médical.”
Des avocats de la défense contestant les certitudes médicales
Lors du procès, l'assistante maternelle est défendue par deux avocats pénalistes.
Depuis sa première garde à vue, il y a sept ans, Noura B. est défendue par une jeune pénaliste du barreau de Paris, Noémie Saidi-Cottier. “Les dossiers de bébés secoués sont les seuls où l’on considère que quelqu’un de remarquable peut se transformer sans prévenir en criminel, pose l’avocate. Quand j’ai rencontré Noura B., elle était persuadée d’avoir sauvé l’enfant. Elle attendait avec confiance les expertises médicales, persuadée que ces dernières donneraient des explications à ce qui était arrivé à Augustin.” Mais quand les expertises arrivent, elles chargent Noura B. et sidèrent Noémie Saidi-Cottier. Malgré cela, l’avocate croit fermement en l’innocence de sa cliente. Elle comprend vite que la plaider revient à remettre en cause ce que huit experts présentent comme indiscutable. Pour ce dossier délicat, elle demande donc à Christian Saint-Palais, avocat de 59 ans apprécié des magistrats pour sa diplomatie, d’être à ses côtés en défense. Elle connaît le dossier par cœur, il a 30 ans d’expérience aux assises. Ils ne seront pas trop de deux.
Les avocats de la défense évoquent le doute sur la datation, et sur la certitude du diagnostic.
Noémie Saidi-Cottier et Christian Saint-Palais connaissent bien cette controverse qui, depuis quelques années, s’invite de plus en plus dans les tribunaux français. Pourtant, ils hésitent. Peuvent-ils décemment l’amener au milieu d’une cour d’assises devant des parents endeuillés? Mais comment faire autrement quand leur cliente, qu’ils croient innocente, risque la prison? Ils avancent à pas feutrés, avec deux lignes de défense. La première porte sur la datation des faits: si secouement il y a eu, est-il vraiment possible de dire quand celui-ci a eu lieu? La seconde va encore plus loin et questionne les limites de la médecine. Des médecins peuvent-ils, sur la base d’une imagerie cérébrale, affirmer avec certitude qu’un enfant a été secoué? Un diagnostic médical peut-il suffire à étayer une accusation criminelle? Ces questions, évoquées de manière plus ou moins frontale selon les jours, sous-tendent tout le procès.
Ces questions scientifiques cristallisent les tensions dans un procès d'assises où des familles attendent vérité et justice après la mort d'un enfant :
À l’évidence, le procès dépasse largement Noura B. et les parents d’Augustin S.. Chaque jour, la foule de l’audience grossit. Il se joue aussi sur les réseaux sociaux, où certains appellent à une lourde condamnation pour celle qu’ils nomment “la meurtrière d’Augustin”. Une partie de la salle attend une peine exemplaire. Une autre espère faire entendre la controverse sur le diagnostic et dédouaner l’accusée. La rangée du milieu reste vide, comme si la neutralité et la distance étaient, sur ce sujet, impossible.
Débats d'experts
L'article évoque alors les avis parfois contradictoires des différents experts médicaux appelés à la barre.
Le professeur Michel Roussey, pédiatre au CHU de Rennes, reconnaît: “Peut-être a-t-on été trop catégoriques en écrivant que cela avait eu lieu chez la nounou. Mais à quelques heures près, cela ne change pas grand-chose. Mon sentiment personnel est que les parents comme l’assistante maternelle sont nickel. Seulement, après 50 ans de pratique, je peux dire que le syndrome du bébé secoué se voit dans toutes les classes. Des parents médecins, avocats ou gendarmes ont secoué leur enfant.”
D'autres sont plus mesurés sur la certitude du diagnostic.
Lentement mais sûrement, le procès devient celui des certitudes médicales. En France, une petite poignée de médecins s’oppose ouvertement aux recommandations de la Haute autorité de santé. Ils estiment que le diagnostic de syndrome du bébé secoué est posé de manière trop catégorique, faisant fi d’explications alternatives. (...)
L’un d’entre eux, le docteur Jean-Claude Mselati, pédiatre à l’hôpital d’Orsay, ancien chef du service de réanimation pédiatrique de l’hôpital Necker, est bien connu des cours de justice. Expert judiciaire, il fait partie des rares médecins dont les écrits permettent régulièrement de dédouaner les mis en cause dans les affaires de bébés secoués. Il arrive à la barre mal à l’aise: dans l’affaire de Noura B., sa seule mission a été d’analyser l’appel passé au Samu. Il ne connaît pas le dossier médical d’Augustin. Le président, néanmoins, entend profiter de sa présence pour en savoir plus sur la controverse portant sur le syndrome du bébé secoué. Le pédiatre s’excuse auprès des parents, mais s’exécute, estimant que la cour doit avoir connaissance du débat médical.
Il dit à peu près l’inverse de ce que les jurés ont entendu jusqu’alors. Il assure qu’il a souvent vu, dans sa carrière, des hématomes sous-duraux spontanés. Par ailleurs, la combinaison d’hémorragie rétinienne et d’hématome sous-dural ne suffit pas, d’après lui, à poser un diagnostic certain. L’avocat général et celui des parties civiles lui font remarquer qu’il s’écarte du “consensus scientifique”. “Je n’aime pas le terme scientifique quand on parle de médecine, rétorque-t-il. La médecine clinique s’appuie sur la science, mais n’est pas une science.” Le président s’étonne qu’il soit le seul, parmi les médecins passés à la barre, à tenir ce discours. Lui non. “Les experts raisonnent presque tous par rapport à des recommandations de la Haute autorité de santé sur lesquelles on est en droit d’émettre des réserves. Ils peuvent être 10 000, nous sommes face à une pensée unique et erronée. En gros, c’est souvent la dernière personne qui a vu l’enfant qui l’a secoué. Souvent, ce n’est vraiment pas le cas.” Sa déposition provoque un tollé parmi ses confrères experts restés écouter l’audience. Certains lui courent après pour l’invectiver dans la salle des pas perdus, alors qu’il quitte le tribunal.
La cour acquitte l'assistante maternelle
Au final, les jurés retiendront que les doutes évoqués ne permettent pas de condamner l'assistante maternelle :
Noura B. encourt 30 ans de prison. Pourtant, l’avocat général ne requiert contre elle que cinq ans, et précise qu’il se contentera d’une peine de sursis. Tout ce qui compte, explique-t-il, est que “sa responsabilité soit reconnue”. Les avocats de Noura, “accusée du pire des crimes”, plaident, eux, l’acquittement. Noémie Saidi-Cottier se place sur le terrain de la philosophie, fait un éloge du doute et de l’esprit critique: “Je la crois innocente, mais je ne vous demande pas de me croire sur parole. Vous devez questionner toutes les paroles, y compris celle des experts.” Christian Saint-Palais la relaie pour rappeler que l’on ne peut pas “condamner pour apaiser la douleur des parties civiles”. A contrario, il estime que “le respect de l’état de droit est le plus bel hommage à leur rendre”. Sept heures plus tard, le président annonce que “la cour n’a pas été convaincue de la culpabilité de Noura B.” et lit la motivation de la décision. Les jurés ont retenu que les médecins s’accordaient globalement sur le fait que le bébé avait été secoué, mais “que la datation ne pouvait être fixée de manière certaine”. La salle fond en larmes. Les cinq enfants de Noura se pressent à la barre pour former une ronde autour de leur mère acquittée. Les familles venues soutenir les parents d’Augustin pleurent aussi. Noura B. quitte la salle d’audience les jambes coupées, portée par deux de ses filles. Une semaine plus tard, le parquet général fait appel. Noura B. sera rejugée et encourra à nouveau 30 ans de prison.
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