Le 10 mars 2023, le Ministère de la Santé et de la Prévention a annoncé le lancement d'Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant :
Face à la crise que connaît le secteur de la pédiatrie et de la santé de l’enfant, le ministre de la santé et de la prévention, M. François Braun, a pris l’engagement de porter un plan d’actions ambitieux pour la pédiatrie et la santé des enfants dans notre pays, avec le lancement d’Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfants fin 2022.
Ces Assises de la Pédiatrie et de la Santé de l’enfant, doivent conduire à identifier, avant l’été 2023, des réponses de moyen et long terme pour faire évoluer et renforcer la pédiatrie mais aussi investir durablement sur le champ de la santé des enfants et des adolescents dans notre pays.
Il s’agit d’une réflexion transversale et globale sur la santé des enfants associant l’ensemble des acteurs concernés, qui donnera lieu à un grand rendez-vous national, au printemps prochain, au cours duquel sera adoptée une feuille de route pluriannuelle au bénéfice de la santé des enfants.
L’objectif majeur de cette démarche est de répondre aux préoccupations très concrètes des pédiatres et professionnels de la santé, d’améliorer la prise en charge globale des enfants et d’agir sur les inégalités de santé qui frappent dès le plus jeune âge.
Le comité d'orientation a été confié à :
- Christèle Gras Le Guen, Professeure des Universités en pédiatrie, cheffe du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques au CHU de Nantes, présidente de la Société française de Pédiatrie.
- Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles.
Les acteurs concernés étaient appelé à communiquer leur contribution écrite formulant « des propositions concrètes, susceptibles d’améliorer durablement la santé des enfants d’aujourd’hui et des enfants à naitre, afin de définir concrètement un plan d’actions le plus opérationnel possible. »
Dans ce cadre, l'Association Adikia a communiqué au comité d'orientation un certain nombre de propositions qui sont précisées ci-dessous.
Propositions d'Adikia pour les Assises de la Pédiatrie 2023
Résumé
La filière pédiatrique hospitalière distingue insuffisamment les nourrissons maltraités de ceux souffrant de maladies ou accidents causant les mêmes lésions (hématomes, fractures…), avec des conséquences dramatiques (retard au diagnostic, séquelles, décès, placement injustifié…). La garantie des droits de l'enfant impose de protéger les enfants maltraités et de soigner les enfants malades. Nos recommandations se fondent sur l'expérience de 700+ familles accusées à tort ainsi que des professionnels.
Introduction
Notre association recense 700+ familles, victimes d’accusations erronées de maltraitance sur des nourrissons. Ces derniers souffrent de maladies causant des hématomes, hémorragies et/ou fractures. Mal soignés car mal diagnostiqués, ces nourrissons sont également séparés injustement de leur famille pendant des mois voire des années. Les conséquences sur leur développement psychique et affectif sont dévastatrices.
Depuis sept ans, nous cherchons avec des médecins et scientifiques des protocoles pour mieux distinguer les maladies des actes de maltraitances, et ainsi garantir le droit de tout enfant aux soins. Le principe fondamental de la protection de l’enfance ne se discute pas: ce sont les modalités du diagnostic de maltraitance, du signalement, et des suites judiciaires qui doivent être améliorées.
Nos recommandations se focalisent ici sur le syndrome du bébé secoué (SBS) qui concentre de nombreuses erreurs diagnostiques.
1. Protocole standard à l'hôpital
Le signalement pour suspicion de SBS est généralement effectué dans les 24-72h suivant l’admission à l’hôpital, alors que les conséquences sur l’enfant et sa famille dureront des années. Dès que la maltraitance figure parmi les étiologies envisagées, les recherches médicales s’attachent à la corroborer plutôt qu’explorer des hypothèses alternatives souvent complexes. Le récit des familles ainsi que les pathologies et/ou symptômes préexistants sont insuffisamment/incorrectement pris en compte/noté.
Nos recommandations :
- Établir un protocole national standardisé, systématique, rigoureux, réservant un temps pour la collecte de tous les éléments (médicaux, sociaux) pendant que l’enfant est protégé à l’hôpital. Ces enquêtes pluridisciplinaires déboucheraient sur des suites en premier lieu médicales. Durant l’hospitalisation, l’enfant doit pouvoir garder un contact rapproché et constant avec sa famille.
- Privilégier dans ce protocole une approche clinique (histoire médicale, antécédents génétiques, prématurité, macrocéphalie, déroulement de l’accouchement, chutes/traumatismes accidentels mineurs) et un dialogue interdisciplinaire, sans limiter l’analyse à la lecture d’images radiologiques ou l’application d’un processus diagnostique simpliste.
- Recommander de n’effectuer un signalement qu’après exhaustion de l’ensemble des hypothèses étiologiques, et en connaissance de cause des conséquences judiciaires dévastatrices. Dans le cas où un signalement est effectué, il doit être nuancé et mesuré, sans présupposer la cause des symptômes, afin que les suites judiciaires prennent en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et le maintien d’un lien continu avec sa famille non maltraitante.
2. Démarche diagnostique rigoureuse et prise en compte exhaustive des diagnostics différentiels
Le diagnostic de maltraitance est posé par défaut, lorsqu’une autre cause médicale n’a pu être trouvée rapidement par l’hôpital. De nombreux diagnostics différentiels sont écartés trop hâtivement. Cette démarche dangereuse fait courir le risque de passer à côté d’une autre cause que la maltraitance. NB : Il existe 7000+ maladies rares (notamment génétiques), de nouvelles sont découvertes chaque semaine.
Nos recommandations :
- Formaliser dans le protocole l’exhaustivité des recherches biologiques, génétiques, etc. pour rechercher toutes les causes alternatives connues, au-delà de la liste restrictive des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le SBS, en prenant notamment en compte des causes reconnues scientifiquement : hydrocéphalie externe, macrocéphalie, troubles de la coagulation, accidents vasculaires cérébraux, infections, syndrome d’Ehlers-Danlos, ostéogenèse imparfaite, facteurs de risques comme: accouchements traumatiques, prématurité, chutes de faible hauteur…
- Prévoir dans le protocole une concertation avec les spécialistes concernés (neuropédiatres, généticiens, hématologues…) et les Centres Référents experts des diagnostics rares.
3. Transparence des explorations étiologiques
Les parents ont énormément de difficultés à récupérer le dossier médical de leur enfant, rendant quasiment impossible la recherche d’un deuxième avis. Très peu d’informations sont communiquées sur l’état de santé de leur enfant et sur les recherches médicales conduites ou non. En pratique, alors que la loi prévoit un accès au dossier dans les 15 jours de la demande, cette obligation n’est très souvent pas respectée, même en l’absence de saisie judiciaire. Le suivi médical ultérieur à une suspicion de maltraitance, même non avérée, est rendu extrêmement difficile. Il s’agit d’une véritable perte de chance, certains enfants en décèdent.
Nos recommandations :
- Imposer l’accès sans restriction au dossier médical intégral à la famille dans les 15 jours pour que les recherches médicales aient lieu en toute transparence.
- Prévoir des procédures de recours rapide en cas de refus d’accès au dossier afin de permettre que des soins adaptés soient rapidement prodigués à l’enfant sur la base de son état médical avéré.
4. Consolidation/évaluation des pratiques
Les professionnels de santé, acteurs sociaux et de justice sont peu informés des conséquences judiciaires des signalements et des diagnostics infondés de maltraitance, rendant difficiles toute réflexion critique et amélioration des pratiques.
Nos recommandations :
- Communiquer, à la fin de chaque procédure, l’issue aux intervenants médicaux, sociaux, et judiciaires. Les cas de signalements infondés/erronés devraient être étudiés rétrospectivement pour améliorer les procédures, et conduire à une mise à jour du dossier médical avec le diagnostic finalement retenu et le résultat des procédures judiciaires.
- Établir une base de données anonymisée nationale sur tous les signalements, pour permettre le partage des connaissances sur les signalements infondés.
- Retirer les enfants atteints de pathologies (et facteurs de risques) pris à tort pour le SBS des statistiques nationales de maltraitance.
- Former les professionnels à la réalité des erreurs diagnostiques et aux conséquences des signalements sur les enfants et leur famille (placement, absence de soins, rupture brutale du lien d’attachement entre l’enfant et sa famille, sevrage forcé, souffrance psychologique de l’enfant et de l’entourage, risques psychosociaux) pour les encourager à prendre toutes les mesures pour éviter les erreurs. La nécessité d’une approche objective et critique face aux « certitudes » médicales devrait faire partie de la formation de tous les professionnels (médecine, justice, protection de l’enfance).
5. Formation aux erreurs diagnostiques et prévention
Les pédiatres sont peu sensibilisés aux diagnostics différentiels tels que l’hydrocéphalie externe, la macrocrânie, et au risque accru d’hémorragies/lésions intracrâniennes chez ces enfants. Nous constatons que la courbe du périmètre crânien (PC) est rarement/incorrectement tracée dans le carnet de santé.
Nos recommandations :
- Rappeler aux pédiatres l’absolue nécessité de tracer la courbe du PC à chaque visite (et taille /poids), et de repérer tout changement de couloir pour envisager un suivi rapproché.
- Recommander une échographie transfontanellaire en première intention chez les enfants dont la courbe de PC serait atypique/anormale pour repérer les enfants souffrant d’hydrocéphalie externe/collections péricérébrales. Cette technique d’imagerie est peu onéreuse, non-invasive, et plus simple que le scanner et l’IRM,qui peuvent ensuite prendre le relais si besoin.
- Rappeler aux professionnels concernés l’impact des manœuvres obstétricales dangereuses pour le cerveau de l’enfant, les dangers de la dystocie par disproportion fœto-pelvienne.
- Former les médecins, notamment pédiatres, à la notion d’incertitude médicale, aux fondements épistémologiques de la démarche scientifique, et aux dangers des certitudes hâtives.
- Faire de la neuropédiatrie une spécialité médicale indépendante (programme d’enseignement académique, certification, contrôle continu, recommandations de bonnes pratiques).