Nous proposons une traduction d'un article paru le 18 novembre 2022 sur NBC 15, une chaîne TV américaine locale du Wisconsin. Cet article revient sur l'histoire d'Audrey Edmunds, une assistante maternelle américaine accusée à tort d'avoir mortellement secoué un bébé en 1996. Alors âgée de 34 ans, elle avait été condamnée à 18 ans de prison. En 2008, le médecin légiste a reconnu qu'il y avait eu des évolutions scientifiques autour du diagnostic du syndrome du bébé secoué, et il a changé d'avis sur les causes de la mort de l'enfant. La condamnation d'Audrey Edmunds a été annulée après qu'elle ait passé 11 ans en prison. Le professeur de droit américain Keith Findley, qui a permis cette exonération, consacre depuis sa carrière au problème des diagnostics erronés du syndrome du bébé secoué.
L'affaire Audrey Edmunds, un tournant dans la controverse autour du diagnostic du syndrome du bébé secoué
C'est cette affaire qui a conduit Keith Findley à consacrer sa carrière au sujet. Audrey Edmunds a passé 11 ans en prison après avoir été accusée d'avoir mortellement secoué un bébé, jusqu'à ce que sa condamnation ne soit annulée.
Par Elizabeth Wadas
Publié le 18 nov. 2022
NBC15 Wisconsin
MADISON, Wis (WMTV) - En ce matin d'octobre à Waunakee, une mère dépose sa fille de sept mois chez sa nounou. Malheureusement, l'enfant ne passera pas la journée. Une enquête de police se met en place. La nounou est arrêtée et elle est reconnue coupable d'avoir mortellement secoué le bébé. Elle est incarcérée.
Cette vieille affaire datant d'il y a plusieurs dizaines d'années a été l'occasion de faire le procès de la médecine légale. Un professeur de droit de l'université du Wisconsin-Madison espère que ses recherches sur le sujet permettront de disculper les personnes condamnées dans des dossiers de bébés secoués.
Audrey Edmunds, 34 ans, enceinte et mère de deux enfants, aimait beaucoup son travail de nounou à domicile.
"[Je] voulais être une mère au foyer. Je vivais dans un quartier sympa, avec beaucoup d'autres mamans et de jeunes enfants, et j'étais vraiment reconnaissante de pouvoir le faire", explique Audrey.
Mais un jour de 1995, sa vie a définitivement basculé après que la petite fille de 7 mois ait été déposée chez elle.
"Sa mère m'a dit qu'elle avait été difficile toute la nuit. Elle n'avait pas pris son biberon. Sa mère ne m'a pas dit qu'elle avait vomi dans son siège auto le matin même."
Audrey a su que quelque chose n'allait vraiment pas lorsque du lait a commencé à sortir du nez de l'enfant. Audrey dit que le bébé n'a plus réagi.
"J'ai couru frénétiquement avec elle, en la tenant debout, en criant à mon voisin de venir m'aider. Un de mes voisins est venu et m'a dit que je devais appeler les secours. C'est ce que j'ai fait."
Mais il était trop tard. Peu après l'arrivée des secours, l'enfant est mort.
"C'était horrible, ça l'est encore aujourd'hui", se souvient Audrey.
Des mois plus tard, Audrey a reçu un appel inattendu de la police. Elle était accusée d'avoir mortellement secoué le bébé.
"C'était affreux. Lorsque j'ai appris que la justice s'en mêlait, j'ai été bouleversée et terrifiée. Je n'arrivais pas à comprendre ce qui n'allait pas et pourquoi ils pouvaient même s'en mêler. Je savais ce qui s'était passé. Et c'est là qu'ils sont arrivés avec cette histoire de bébé secoué. Je n'avais jamais entendu parler de ça", dit-elle.
Au procès, les médecins se succèdent à la barre pour témoigner des lésions constatées au niveau du cerveau de l'enfant. Leur conclusion : la seule façon pour ces lésions spécifiques au niveau du cerveau du bébé, c'est un secouement violent perpétré par la dernière personne à s'être occupée de lui.
"C'était horrible d'être assise là sans rien pouvoir faire, alors que ces personnes essayaient de faire de moi un monstre", dit Audrey.
Le docteur Robert Huntington a pratiqué l'autopsie du bébé. Comme Audrey surveillait l'enfant pendant les deux heures qui ont précédé sa mort, un jury l'a déclarée coupable. Un juge l'a condamnée à 18 ans de prison.
"Le procureur a préféré assouvir un besoin de vengeance plutôt que de trouver la vérité, et c'est cela qui est grave", pour Audrey.
Keith Findley est professeur à la faculté de droit de l'université du Wisconsin.
"C'est l'affaire d'Audrey qui m'a poussé à me consacrer à ce sujet", déclare Findley.
Il est également le fondateur du Projet Innocence Wisconsin.
"J'avais déjà entendu parler du syndrome du bébé secoué, mais je ne m'étais jamais penché sur la question. Je n'avais jamais eu de cas personnellement, je n'avais jamais eu de raison de le remettre en question", dit Findley.
Le cas d'Audrey a changé non seulement sa façon de penser, mais aussi sa carrière.
"J'étais à l'hôpital UW pour une réunion, et l'un des médecins présents m'a approché et m'a dit qu'il était très préoccupé par la condamnation d'Audrey, car il pensait que certains témoignages d'experts fournis dans cette affaire étaient erronés", se souvient Findley.
Findley a sauté sur l'occasion pour la représenter.
"Tout doit être remis en question, car il s'avère que tout est faux la plupart du temps", déclare Findley.
Findley et ses étudiants ont fait des recherches et se sont battus contre le système judiciaire pendant cinq ans, pour finalement arriver à un tournant. Le médecin légiste qui a témoigné au procès d'Audrey, le Dr Huntington, a dit qu'il s'était peut-être trompé.
"Nous avons contacté le Dr. Huntington, et nous lui avons dit que nous voulions lui parler d'Audrey Edmunds. Et il a dit 'oh, Audrey Edmunds. Quel est le problème ?". Il s'est souvenu, et il a été troublé par le témoignage", dit Findley.
Findley dit qu'après la condamnation d'Audrey, le Dr Huntington a examiné un autre bébé présentant des lésions similaires et il a déterminé que ces lésions pouvaient avoir été causées par un certain nombre de choses, et pas seulement par le fait d'avoir été secoué quelques heures auparavant.
"Il a dit que sa conclusion ne serait pas la même aujourd'hui. Pour lui, il ne pouvait plus être sûr qu'il y avait eu des secouements, et il ne pouvait plus dire avec certitude à quel moment ce qui lui était arrivé était arrivé", dit Findley.
Après 11 ans passés en prison, arrachée à sa famille par un système judiciaire qu'elle qualifie de destructeur, Audrey a vu sa condamnation annulée par une cour d'appel, et elle a été libérée.
"Rien que d'entendre ce mot, j'en ai encore la chair de poule", dit Audrey.
Les amis d'Audrey ont bravé une tempête de neige pour venir la chercher ce jour-là afin de s'assurer qu'elle puisse rentrer chez elle et retrouver ses enfants.
"C'était tellement génial d'être dehors, de conduire, d'être libre. Je n'ai même pas les mots pour dire à quel point c'était merveilleux. Toutes ces années, toutes ces choses auxquelles j'ai pensées et que j'attendais de faire, je les ai enfin, enfin, réalisées. Quand j'ai appelé mes filles ce soir-là, elles étaient tellement, tellement heureuses", se souvient Audrey.
Findley affirme que d'autres personnes méritent la liberté qu'Audrey a ressentie ce jour-là, des personnes qui ont été condamnées à tort pour le syndrome du bébé secoué, certaines dans le Wisconsin.
"Il y a encore des gens derrière les barreaux, il y a encore des gens qui sont mis derrière les barreaux", dit Findley.
Et d'autres, comme Audrey, sortent aussi de prison.
Selon le Medill Justice Project de l'Université Northwestern en 2015, les procureurs ont utilisé les diagnostics du syndrome du bébé secoué pour inculper au moins 3 000 personnes pour maltraitance ou meurtre. Notre équipe d'enquêteurs nationaux a découvert au moins 21 personnes accusées de crimes liés au diagnostic du syndrome du bébé secoué qui ont vu leur condamnation annulée depuis 2019. Pourquoi la plupart de leurs accusations ont-elles été annulées ? L'évolution de la science, selon de nombreux experts, prouve que le diagnostic n'est pas fiable.
Pendant des décennies, les lésions cérébrales traumatiques chez les enfants ne pouvaient s'expliquer que par des traumatismes contondants, comme les accidents de voiture, les chutes ou le fait de secouer violemment un enfant. Aujourd'hui, de nouvelles recherches montrent que ces mêmes lésions peuvent être liées à de nombreuses maladies et à des problèmes biologiques comme les crises d'épilepsie.
"Si je vous dis que la science a beaucoup évolué, c'est vrai, mais la réponse de la communauté médicale n'a pas beaucoup changé", déclare Findley.
Fort de la motivation d'Audrey, Findley a créé le Center for Integrity in Forensic Sciences (Centre pour l'intégrité en médecine légale et criminalistique), qui s'intéresse à ce qu'il appelle les failles de la médecine légale, à l'origine d'erreurs judiciaires. Il s'agit d'une recherche cruciale qui, espérons-le, apportera plus de justice, une recherche cruciale grâce à quelqu'un qui ne sait que trop bien ce que cela pourrait signifier sans elle.
"Ne cherchez pas la vengeance, cherchez la vérité", dit Audrey.
Autres sources :