En 2019, des étudiants de l'École des Mines de Paris ont mis en ligne un site internet dédié à la controverse autour du syndrome du bébé secoué. Ce site décrit de manière neutre et objective les différentes positions des acteurs impliqués dans la controverse autour du syndrome du bébé secoué.
Le site présente le sujet ainsi :
Le diagnostic de Syndrome de Bébé Secoué (SBS) est posé lorsque l’on constate certains symptômes associés à des atteintes neurologiques elles-mêmes a priori causées par le secouement du bébé. Tout diagnostic de SBS fait l’objet d’un signalement qui enclenche immédiatement une procédure judiciaire pour maltraitance. On estime qu’en France, environ 200 bébés en sont victimes chaque année. Néanmoins, il existe une controverse sur le lien scientifique entre les symptômes décelés et le diagnostic de secouement. En France, la Haute Autorité de la Santé (HAS) considère qu’une triade de symptômes démontre de manière certaine le fait qu’il y a eu un secouement ; cette triade consiste en des hématomes sous-duraux, des hémorragies rétiniennes et une encéphalopathie. Depuis quelques années, certaines critiques émergent vis-à-vis de la position de la HAS sur le sujet, portées notamment par des associations de victimes. Avec quel argumentaire ces critiques se justifient-elles ? Comment peuvent-elles influencer le débat français ?
La position de la HAS. La HAS et les experts français intervenant dans les procédures judiciaires maintiennent leur position sur le lien causal entre la triade et le secouement. Des diagnostics différentiels sont formulés, mais en cas d’incertitude, le secouement est privilégié. En appliquant ces recommandations, ils ont pour objectif de mettre l’accent sur la protection de l’enfant.
La réponse des associations de victimes. Les associations de victimes s’appuient majoritairement sur des études scientifiques étrangères alternatives (notamment une étude suédoise) pour justifier un diagnostic alternatif au SBS. Leurs critiques sont extrêmement vives vis-à-vis de la position de la HAS. Elles dénoncent également un raisonnement circulaire : les spécialistes français apportant leur expertise pour la justice se basent sur des études scientifiques qui s’appuient sur des cas élaborés à partir de données statistiques sur les procès.
Ce projet étudiant a eu lieu dans le cadre du cours « Description de controverses », mis en place par le sociologue Bruno Latour (décédé en octobre 2022, il a aussi été directeur adjoint de Sciences Po) au début des années 1980. Ce cours fait également partie de FORCCAST, un programme de recherche en sociologie organisé par plusieurs institutions dont Sciences Po, l'École des Mines de Paris, l'École des Ponts et Chaussées, l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), le Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Fondé par Bruno Latour il y a plus de vingt ans et aujourd’hui coordonné par Madeleine Akrich, le cours « Description de controverses » a pour objectif de former les futurs ingénieurs à la complexité des controverses socio-techniques avec lesquelles ils devront composer aussi bien en tant que citoyens que futurs professionnels. Répartis par groupe de cinq, les étudiants enquêtent pendant plusieurs mois sur des sujets proposés par l’équipe pédagogique constituée par les chercheurs du Centre de sociologie de l’innovation [laboratoire Mines/CNRS de recherche en sciences sociales]. Le travail de chaque groupe est plus particulièrement suivi par un binôme de tuteurs. Les résultats de l’enquête sont restitués sous forme de site web.
Des centaines de sujets ont été traités au fil des ans, comme l'affaire des bébés nés sans bras, le glyphosate, les perturbateurs endocriniens, les pesticides, la maladie de Lyme, mais aussi des sujets de société comme l'homoparentalité ou la régulation des marchés financiers. Le syndrome du bébé secoué a été traité par cinq étudiants de la promotion 2018, mais il avait également été traité 15 ans plus tôt par des étudiants de la promotion 2003. Déjà à l'époque, des questions se posaient sur la validité scientifique des diagnostics.
Le site du cours précise la démarche qui doit être suivie par les étudiants :
Dans le cadre du cours « Description de controverses », l’étude de controverse consiste en une étude de cas. Un groupe d’élèves suit une controverse en temps réel, pour en découvrir la complexité, la singularité. L’encadrement est assuré par une équipe de sociologues spécialisés dans l’analyse des sciences et des techniques, qui accompagnent les élèves dans le développement d’un point de vue empirique pragmatique et argumenté. Il s’agit de « cartographier » la controverse c’est-à-dire d’apprendre à repérer les acteurs, les enjeux, les nœuds, les issues ; et aussi d’identifier les différents arguments, leur registre, leur lien avec les différents acteurs impliqués. Car la situation de controverse est loin de se résumer à une opposition binaire « pour ou contre un projet ». En réalité, le problème qui semble global est éclaté en de multiples points de débat, autant de mini controverses dans la controverse. Les différents acteurs peuvent se rencontrer sur certains points précis mais diverger sur d’autres, l’ensemble des convergences et divergences évoluant dans le temps.
L’exercice proposé aux élèves suppose d’éviter les stéréotypes et les idées reçues (sur l’irrationalité des profanes, sur la mainmise des intérêts partisans, etc.), d’adopter une attitude d’écoute compréhensive, d’ouverture curieuse et de prêter attention aux détails des arguments, des histoires, des positions. Il ne s’agit pas de prendre parti mais d’être objectif, dans le sens où les analyses produites s’appuient empiriquement sur des matériaux d’enquête. Ceci implique d’être à l’écoute des diverses voix qui s’expriment dans la controverse : porter attention aux diverses positions, en les prenant toutes en compte sans a priori et en en examinant le poids. Un tel positionnement n’interdit nullement aux élèves de se former leur propre opinion et de proposer, au terme de leur analyse une perspective critique. Ils peuvent éventuellement formuler en conclusion de leur analyse, leurs critiques, leurs préconisations, les scénarios envisageables.