Bébés secoués : quand des parents crient à l'erreur de diagnostic
ENQUÊTE - Chaque année, des dizaines de couples contestent le diagnostic de bébé secoué qui est fait à leur enfant. Pour la plupart des experts cette maltraitance aux conséquences gravissimes ne fait aucun doute. Mais des médecins et des familles remettent en cause ce consensus.
par Cécile Thibert
publié le 21 octobre 2022
lefigaro.fr
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Extraits
Selon l'association Adikia (« injustice » en grec), qui regroupe des parents qui se disent accusés à tort de maltraitance sur leur enfant suite à des erreurs de diagnostic, le nombre de familles concernées se compterait par centaines en France. « Depuis la création du site internet en 2017, nous recevons annuellement entre 150 et 250 sollicitations de la part de familles. C'est un phénomène massif au regard des quelque 400 diagnostics de syndrome de bébé secoué chaque année en France », estime Cyrille Rossant, président de l'association. Soit entre un tiers et la moitié de tous les diagnostics posés. (...)
[L]e Dr Guillaume Sébire, neuropédiatre formé en France, professeur à l'université McGill à Montréal, [...] reproche aux auteurs des recommandations françaises de ne pas avoir pris en compte l'ensemble des articles scientifiques sur le sujet. « Et aucun neuropédiatre, aucun hématologue, aucun généticien ni spécialiste de maladies rares n'a fait partie de ce groupe de travail, alors que leur rôle est fondamental dans le diagnostic différentiel », fait-il remarquer. (...)
Selon le spécialiste, trois causes sont régulièrement prises à tort pour un syndrome du bébé secoué : l'hydrocéphalie externe, les chutes de faible hauteur et la thrombose veineuse cérébrale. « L'hydrocéphalie externe désigne un défaut d'écoulement du liquide céphalorachidien, ce qui fait que les membranes entourant le cerveau se dilatent. Cela crée une tension dans des petites veines qui peuvent se déchirer et saigner spontanément, faisant apparaître des hématomes sous-duraux », explique le Dr Sébire. Quant à la thrombose veineuse cérébrale, il s'agit d'une veine du cerveau qui s'obstrue sous l'effet de différents facteurs (anomalie génétique de la coagulation, infection, déshydratation…), se dilate puis se déchire, entraînant, selon le médecin, un hématome sous-dural. (...)
Ces dernières années, plusieurs équipes dans le monde ont publié des études ou des articles scientifiques de nature à questionner ces certitudes. En Suède, c'est même l'équivalent de la Haute Autorité de Santé qui s'est positionnée en ce sens, critiquant la faiblesse des preuves scientifiques apportées par les études qui font le lien entre un diagnostic de bébé secoué et la présence des trois signes «caractéristiques».
« Il faut rester prudent, rien n'est jamais figé en science, il est possible que les données évoluent », concède le Dr Tania Ikowsky. « Le diagnostic de syndrome de bébé secoué est extrêmement délicat à poser. Il y a pu y avoir des erreurs par le passé. Mais nous faisons tout pour les éviter tant les enjeux familiaux, psychologiques et judiciaires sont énormes », assure-t-elle. (...)
Alors vaut-il mieux trop signaler que pas assez ? « J'ai tendance à dire que ce n'est pas une question de quantité, mais de qualité. Il faut mieux distinguer les enfants qui ont besoin d'être protégés de maltraitances de ceux qui ont besoin d'être soignés », estime Cyrille Rossant, président de l'association Adikia. « Quand des médecins diagnostiquent à tort un syndrome de bébé secoué, ce peut être une perte de chance pour l'enfant car il risque de ne pas être pris en charge pour sa véritable pathologie », poursuit-il.
Sans compter que ces diagnostics erronés peuvent avoir un impact majeur sur le développement de l'enfant. « Retirer un enfant à sa famille pendant plusieurs mois voire plusieurs années sans raison cause des dégâts irréparables. On sait que les premiers mois de vie sont très importants », fait valoir Cyrille Rossant. « Il faudrait essayer de trouver des procédures qui envisageraient d'autres possibilités moins traumatisantes ». Tout en prenant garde à ne pas passer à côté de cas de maltraitances… Alors que la HAS doit travailler sur de nouvelles recommandations visant à prendre en compte les dernières données scientifiques (sans pour autant remettre en cause les précédentes, selon nos informations), l'association Adikia a demandé à être partie prenante aux discussions, sans réponse pour le moment.