La revue trimestrielle Revue XXI publie aujourd'hui, dans le numéro 58 de ce printemps 2022, une longue enquête de dix-huit pages sur la controverse médico-judiciaire autour du syndrome du bébé secoué (en page 84).
On y retrouve des familles de l'association Adikia, le président de l'association, l'avocat Grégoire Etrillard, et de nombreux médecins.
La revue est disponible dans les librairies, relais H, maisons de la presse (194 pages 19,00 €).
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Premières pages
Extraits
L'un de ces experts, Jean-Claude Mselati, (...) conteste la position de la Haute Autorité de santé, « qui ne permet aucune nuance ». Aujourd'hui pédiatre à l'hôpital d'Orsay, dans l'Essonne, il a commencé sa carrière comme chef du service de réanimation pédiatrique à l'hôpital Necker. « Les traumatismes graves de toute l'Île-de-France nous arrivaient. Je vois des hématomes sous-duraux chez des nourrissons depuis toujours. À l'époque, on essayait de comprendre. » D'après lui, des enfants fragiles ou porteurs de certaines maladies peuvent saigner sans avoir été secoués. C'est le cas, dit-il, des enfants hydrocéphales : leur tête, en grossissant plus vite que la moyenne, étire les veines, qui peuvent se rompre et provoquer un écoulement de sang. Quant aux hémorragies rétiniennes, elles ne sont que le prolongement de l'hématome sous-dural et n'ont pour lui rien de surprenant.
Dans 80 % de ses expertises, Jean-Claude Mselati estime qu'il y a des explications alternatives au secouement. « Parfois, je suis déjugé par les magistrats. D'autres fois, ils sont ravis que je puisse les aider. » Il dit faire ces expertises « pour rendre service », parce que « ne pas prendre position serait manquer de courage ». Proche de la retraite, l'expert revendique « quelques heures de vol » et une liberté de ton que ses jeunes confrères ne peuvent pas se permettre. Il assure qu'au nom de la protection de l'enfance le système « fracasse des familles ». « Des enfants retirés à tort à leurs parents, j'en ai vu beaucoup », m'assure Jean-Claude Mselati.
En Suède, la SBU, équivalent de la Haute Autorité de santé française, publie en cette année 2017 un rapport déconcertant. Pendant dix-huit mois, six chercheurs ont passé en revue la littérature scientifique, plus de trois mille articles, pour arriver à cette conclusion : le syndrome du bébé secoué ne repose sur aucune preuve scientifique. « Ces articles prennent pour acquis que le secouement provoque des hématomes sous-duraux, des hémorragies rétiniennes et un œdème cérébral. Mais le lien entre le secouement et les symptômes n'a jamais été mis en évidence », m'explique l'un des auteurs, le professeur de médecine légale Anders Eriksson. Il en est le premier surpris. « Personne ne s'attendait à cela, et nous non plus, me confie-t-il. Tous les médecins de ma génération ont appris qu'un enfant qui présente des hématomes sous-duraux, des lésions cérébrales et des hémorragies rétiniennes a été secoué. »
L'année où la Suède remet en question le syndrome du bébé secoué, la France fait le chemin inverse. La Haute Autorité de santé actualise ses recommandations. De « probable » en 2011, le diagnostic en cas d'hématomes sous-duraux et d'hémorragies rétiniennes devient « certain » en 2017. Dans ce document officiel de la HAS, les médecins défendant d'autres thèses sont, à quatre reprises, qualifiés de « négationnistes ». Cette nouvelle mouture est signée par l'ensemble des sociétés savantes de médecine, à l'exception notable de la Société française de neurologie pédiatrique (SFNP), pourtant spécialiste du cerveau des enfants. Le débat a été houleux.
Jean-Michel Pédespan, chef du service de neuropédiatrie au CHU de Bordeaux, était chargé de relire ce document au nom de la SFNP. Déjà peu satisfait du texte de 2011, il s'alarme du ton « encore plus péremptoire » des nouvelles recommandations. « Le texte pose comme une équation : hématome sous-dural + hémorragie rétinienne = bébé secoué. Or il y a des facteurs prédisposants, dont il faut tenir compte. Une imagerie, aussi moderne soit-elle, ne vous donnera pas de certitudes. » Ce texte, « dangereux » en soi, provoque d'après lui des réactions épidermiques qui le sont presque autant. « Il ne faut pas non plus, sous prétexte de dénoncer ce texte trop catégorique, tomber dans un discours inverse, laissant entendre que les bébés secoués n'existent pas, m'explique-t-il. On en voit et il faut alors que des décisions soient prises en urgence. Cela doit être fait par des neuropédiatres, qui connaissent le mieux le cerveau des enfants. » Jean-Michel Pédespan estime que le débat a été confisqué par les radiologues et les médecins légistes, surreprésentés dans le groupe de travail de la HAS. Au vu des recommandations de 2017, il n'a manifestement pas été écouté.