Un juge américain du New Jersey, Pedro J. Jimenez, vient de rendre une décision de justice inédite qui pourrait faire jurisprudence aux États-Unis. En qualifiant les faux diagnostics de « syndrome du bébé secoué » (SBS) de « pseudo-science » sans fondement, et en rejetant leur utilisation dans les tribunaux, il ouvre la porte à une évolution attendue sur ce diagnostic controversé depuis des décennies. Cette décision de justice de près de 80 pages est accessible librement en anglais ici. Nous proposons dans cet article une traduction de plusieurs extraits.
Résumé de l’histoire : un bébé né grand prématuré en 2016 a présenté des symptômes à l’âge de 11 mois, conduisant son père, Darryl Nieves, à être accusé de l’avoir secoué. En 2020, le tribunal du New Jersey a procédé a une audience de cinq jours de plusieurs médecins et scientifiques (Dr Gladibel Medina, pédiatre ; le Dr Joseph Scheller, neuropédiatre ; le Dr Julie Mack, radiologue ; et le Dr Chris Van Ee, biomécanicien) en vue de décider si le diagnostic du syndrome du bébé secoué était suffisamment fiable sur le plan scientifique pour justifier des poursuites pénales à l’encontre du père accusé.
Dans sa décision, le juge commence par rappeler le principe du diagnostic du SBS : « un diagnostic de SBS est associé à la découverte d’une triade de lésions (hémorragies sous-durales et rétiniennes, symptômes neurologiques) ainsi que des examens médicaux complets (…) et des témoignages d’experts pour expliquer comment un diagnostic de SBS peut être déterminé sans qu’il n’existe la moindre preuve concrète de maltraitance ».
Le juge critique ensuite le diagnostic : « il paraît clair de par l’examen de la littérature et des témoignages des médecins que le diagnostic du SBS n’a jamais été validé ni médicalement, ni scientifiquement, parce qu’aucune technique ou procédure pouvant assurer sa fiabilité n’a jamais été développée. (…) Le SBS est une hypothèse plus qu’un diagnostic, parce qu’il n’est établi que par défaut, lorsque le médecin ne trouve aucune autre explication aux lésions de l’enfant. »
Il poursuit : « dans cette affaire, en l’absence de preuves que l’accusé a causé un traumatisme à sa victime, le SBS constitue un diagnostic invalide parce qu’il a été établi sur la base de spéculations et d’extrapolations au lieu d’être basé sur des faits et des tests fiables. Il n’y a pas la moindre preuve que le SBS soit un diagnostic valide pour identifier un traumatisme intentionnel causant certaines lésions. Au contraire, l’examen de la littérature et les témoignages ont clairement montré que le SBS est une hypothèse présentée sous la forme d’un diagnostic médical, sans aucune preuve médicale ou scientifique, basée sur des extrapolations d’expériences faites sur des singes, des poupons en bois, ou d’autres mannequins, qui sont ensuite présentées comme la cause « certaine » des lésions de l’enfant. Encore une fois, il n’y a aucun fondement derrière ce diagnostic parce qu’aucune étude n’a jamais permis de valider l’hypothèse qu’un secouement peut causer la triade de symptômes associée au SBS. »
Le juge évoque ensuite les dangers de ce diagnostic : « Dans un tribunal, le diagnostic de SBS peut être extrêmement préjudiciable et dangereux parce qu’il s’agit en réalité d’une « pseudo-science ». Les témoignages des experts présentent le SBS de manière incorrecte et trompeuse comme un diagnostic valide alors qu’il n’a pas la moindre validité scientifique ou médicale. Ainsi, personne n’a jamais pu prouver que secouer un bébé peut causer la triade de lésions associée au SBS. Les bébés humains n’ont rien à voir avec les singes, les poupons en bois, et les autres mannequins utilisés dans les études biomécaniques. »
Il critique également le nom du diagnostic : « le nom du syndrome du bébé secoué évoque un sentiment d’horreur qui entrave l’objectivité de n’importe quel juré, l’empêchant d’évaluer avec justesse la fiabilité des différentes preuves exposées. (…) Les erreurs judiciaires causent du tort à la société et à toutes les personnes impliquées. Dans les tribunaux, nous devons évaluer si les preuves de la culpabilité sont établies au-delà de tout doute raisonnable. (…) Le SBS n’est pas un diagnostic qui peut être accepté dans un tribunal parce qu’il s’agit d’un diagnostic invalide et trompeur qui n’a aucun fondement scientifique. Il n’y a aucune assurance de sa validité parce que c’est une simple hypothèse basée sur l’extrapolation de données, couplée à un processus d’élimination des médecins pour arriver à un « diagnostic certain ». (…) Le danger à éviter est que des « experts » influencent les jurés via des affirmations péremptoires drapées dans un langage scientifique ou médical, alors qu’ils seraient incapables de fournir la moindre preuve scientifique de ce qu’ils avancent car il n’y en a aucune. »
Le juge conclut ainsi : « Pour toutes ces raisons, le témoignage de l’expert concluant au SBS doit être rejeté parce qu’il ne se base pas sur des preuves solides, et qu’il peut donc être préjudiciable. Accepter un tel témoignage serait insensé et constituerait une parodie de justice. Dans ce dossier, l’accusation a échoué a prouver que l’accusé a violemment secoué son bébé, causant les lésions du SBS. L’accusation a échoué à prouver que le diagnostic de SBS est suffisamment fiable sur le plan scientifique pour justifier les poursuites contre l’accusé. Pour toutes ces raisons, conformément aux demandes de la défense, le témoignage de l’expert évoquant le syndrome du bébé secoué est rejeté. »