Nous relayons un article du Figaro paru le jeudi 28 octobre 2021.
Bébés secoués : un recours sensible bientôt devant la CEDH
Le Figaro
Par Paule Gonzalès
le 28/10/2021
Un avocat spécialisé dans ces faits de grave maltraitance d’enfants se bat pour défendre le droit au procès équitable et à la présomption d’innocence.
Sujet sensible, hautement inflammable. Grégoire Étrillard s’apprête à déposer devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) un recours extrêmement délicat concernant le contentieux hypersensible des «bébés secoués». L’avocat pénaliste défend les parents traduits en justice pour ces faits graves de maltraitance d’enfants. Son combat, celui de défendre, malgré l’émotion que cela suscite, le droit au procès équitable et à la présomption d’innocence. À ce jour, son cabinet a eu à connaître 125 dossiers d’accusation de maltraitance infantile. Sur cette masse d’affaires, il compte 88 dossiers correctionnels (70,4 %), 37 dossiers criminels (29,6 %). Et sur les 112 dossiers en matière du diagnostic du «syndrome du bébé secoué», 32,4 % sont des dossiers criminels.
De fait, également inscrit au barreau de New York, il s’impose comme l’avocat comptant le plus de dossiers en propre dans la communauté juridique internationale. De quoi, au fil des affaires, développer des statistiques solides qui, selon lui, obligent à s’interroger sur la manière de mener enquêtes et expertises. Parmi ses clients, plus de 11 % font de la détention provisoire et 98,8 % des enfants ont été placés dès le signalement. Ce dernier intervient dès que les médecins repèrent certains saignements crâniens chez les nourrissons qui leur sont confiés, majoritairement par les parents eux-mêmes. Les placements de ces nourrissons, majoritairement âgés de moins de 6 mois, sont longs. 84 % ont duré plus de 6 mois et 19 % plus de 3 ans. «Je vois arriver dans mon cabinet des gens ravagés par le chagrin», évoque M Étrillard. «97 % des personnes accusées n’avaient aucun antécédent de violence, dont près de 90 % ont des casiers judiciaires vierges», souligne-t-il, rappelant au passage que ce contentieux touche toutes les catégories socioprofessionnelles. «Il paraît improbable que sur cette masse de mis en cause sans antécédent judiciaire, tous sans exception aient secoué leur nourrisson.» Une interrogation partagée par bien de ses confrères français et étrangers, notamment aux États-Unis et au Japon, et qui a poussé l’avocat à se pencher sur la question des diagnostics faits sur la base d’«expertises médicales univoques», selon M Étrillard. Ces dernières, qui concluent à des lésions compatibles avec le syndrome du bébé secoué, suivent très strictement les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) qui ont cours depuis 2011.
Ce guide de bonne conduite n’a rien d’obligatoire pour le corps médical, mais il s’est rapidement imposé comme la bible du genre pour la quinzaine de médecins spécialisés en France auxquels a traditionnellement recours le système judiciaire. «Il est très difficile d’échapper aux praticiens et experts qui appliquent sans discernement les recommandations de l’HAS. Juges comme policiers sont formés par ces derniers. Aussi, obtenir un diagnostic différentiel par l’exploration d’autres données médicales est quasi impossible. Ça l’est d’autant plus qu’au nom du secret médical nous n’avons pas, en pratique, accès au dossier de l’enfant, même si les parents incriminés ont encore l’autorité parentale et alors qu’ils peuvent être condamnés à jusqu’à quinze ans de prison sur la base de ces expertises. Or, selon mes statistiques, une écrasante majorité des cas qui me sont soumis présentent des éléments pouvant contribuer aux saignements ou les expliquer. Plus précisément, l’historique familial ou néonatal des nourrissons est insuffisamment exploré, insiste Grégoire Étrillard. Aussi la défense raisonnée de ces cas est court-circuitée puisqu’il existe une présomption de culpabilité quasi impossible à retourner. La justice pénale doit reprendre ses droits, car l’expertise médicale n’est pas le seul moyen d’enquêter.»
Juste place
De son côté, la HAS réagissait dès 2019 aux critiques et aux contestations. Tout d’abord en revendiquant «la qualité de cette recommandation» concoctée par des professionnels reconnus et en rappelant que «les professionnels de santé (…) sont les plus à même de reconnaître les signes évocateurs d’une maltraitance ainsi que les situations à risque. Ils le sont également par le lien qu’ils établissent avec les familles. Rappelons que dans plus d’un cas sur deux il y aura récidive du secouement, augmentant considérablement les risques de conséquences irréversibles.» Ce cas des bébés secoués pose une nouvelle fois la question de la place des experts et des expertises dans l’enquête et le procès pénal. Et la nécessité de les remettre à leur juste place, celle d’éléments de preuves.