Dans une décision de justice exceptionnelle, deux médecins experts judiciaires viennent d'être condamnés par le Tribunal de Nancy à payer 140 000 € de dommages et intérêts à la famille de Louna Bombarde. Cette fillette avait été placée injustement pendant trois ans et demi alors qu'elle était atteinte d'une maladie génétique rare, l'angiœdème bradykinique héréditaire. Elle avait présenté des œdèmes et hématomes sur le corps, attribués à tort à de la maltraitance par les médecins du CHU de Nancy, alors que la mère était elle-même porteuse d'une maladie génétique provoquant les mêmes symptômes. Les médecins de l'hôpital avaient refusé d'effectuer une prise de sang pouvant démontrer la maladie génétique, au grand dam de Yoan et Sabrina, ses parents. Ces derniers avaient publié un livre en 2018, et l'histoire avait fait l'objet d'un téléfilm diffusé sur TF1 en 2019.
Au cours des procédures judiciaires, les experts mandatés ont persisté à ne pas vouloir prendre en compte la maladie génétique, malgré toutes les preuves médicales. La justice vient de reconnaître leur tort en les condamnant à verser des dommages et intérêts à la famille. L'un de ces experts n'est autre que le Professeur Bertrand Ludes, professeur de médecine légale, expert judiciaire agréé par la Cour de cassation, et actuel directeur de l'Institut Médico Légal de Paris. Il est également co-directeur d'une thèse sur le syndrome du bébé secoué (réalisée par le Pr Jean-Sébastien Raul, intervenant très régulièrement comme expert judiciaire dans les dossiers de "bébé secoué"). Il faut espérer que cette décision de justice fasse jurisprudence, au vu du nombre alarmant de rapports médicaux erronés rendus par les experts judiciaires dans ces dossiers, où les diagnostics différentiels ne sont que très rarement pris en compte.
Yoan et Sabrina avaient pu récupérer leur fille et être définitivement mis hors de cause après des années de combat. Depuis, ils ont entamé des démarches visant à faire reconnaître les multiples erreurs qui ont été commises par les institutions et les médecins dans leur dossier. Ils sont encore une attente d'une décision du tribunal administratif dans une plainte à l'encontre du CHU de Nancy.
Nous partageons ici l'article du Parisien sur cette condamnation.
Parents accusés à tort de maltraitance : deux médecins experts condamnés dans l’affaire Louna
Après des années de combat judiciaire pour récupérer la garde de leur fillette, puis pour démontrer des erreurs de diagnostic, les parents de la petite Louna ont fait reconnaître la responsabilité de deux médecins qui devront les indemniser.
Par Serge Pueyo
pour Le Parisien
Le 3 avril 2021 à 15h30
C’est une décision judiciaire rarissime. Le pôle civil du tribunal de Nancy (Meurthe-et-Moselle) vient de reconnaître la responsabilité de deux médecins experts dans le calvaire vécu par des parents accusés à tort de maltraitance sur leur fille Louna, qui leur avait été retirée pendant près de trois ans et demi.
Ces deux professeurs de médecine avaient conclu dans leur rapport que les traces détectées sur l’enfant provenaient d’un « traumatisme non accidentel perpétré par un tiers ». Alors que la petite fille souffrait en fait d’une maladie orpheline héréditaire. Les experts devront indemniser les parents de Louna.
«Leurs rapports peuvent briser des vies»
En Isère, où ils résident désormais, Yoan Bombarde et Sabrina Dietsch, les parents de Louna, ne cachent pas leur satisfaction. « Il est important que les fautes de ces experts soient reconnues, car ce sont eux qui nous ont entraînés dans ce calvaire. Il faut que cette décision fasse jurisprudence et pousse certains experts à réfléchir aux conséquences de leurs actes. Car leurs rapports peuvent briser des vies. »
Pour les parents de Louna, tout a basculé le 2 février 2012. Leur bébé de trois mois ne va pas bien. Il est hospitalisé au CHU de Nancy. Les médecins des urgences détectent alors ce qu’ils pensent être des hématomes suspects. « Je leur ai dit que je souffrais de l’angiœdème bradykinique héréditaire, une maladie orpheline qui peut provoquer des plaques rouges ou violettes sur le corps pouvant ressembler à des œdèmes. Et que j’ai pu transmettre cette maladie à ma fille. Mais personne n’en a tenu compte », se souvient Sabrina. Le CHU fait un signalement auprès du parquet de Nancy. Le 28 février 2002, dès sa sortie de l’hôpital, Louna est placée en famille d’accueil.
En mai 2012, Yoan et Sabrina sont arrêtés par la police à leur domicile. « On a passé 48 heures en garde à vue. Les policiers ont voulu nous faire avouer des violences sur notre enfant, nous ont dit qu’on allait finir en prison. On a été conduits au parquet menottés. On a été traités comme des criminels », se rappelle Yoan. Le couple est mis en examen pour « violences sur mineur de moins de 15 ans par ascendant » mais laissé libre. « On était anéantis. Il n’y a rien de pire pour des parents que d’être accusés à tort d’avoir maltraité leur enfant », expliquent Yoan et Sabrina.
Les médecins experts nommés par la justice, les professeurs Bertrand Ludes et Bernard Goichot, confirment dans leurs rapports les soupçons de maltraitance pesant sur les parents de Louna. « Notre fille nous a été retirée pendant trois ans et huit mois. C’est comme si on nous avait arraché le cœur » confie Sabrina.
Des manquements confirmés par la justice
Lors d’une sortie autorisée avec Louna, ses parents lui font pratiquer un test sanguin. Le résultat est sans appel : l’enfant souffre bien d’angiœdème bradykinique héréditaire. En juin 2015, la justice blanchit définitivement Yoan et Sabrina. Louna peut retrouver ses parents.
Mais Yoan et Sabrina ne veulent pas en rester là. Ils demandent des comptes aux experts. Le tribunal de Nancy vient de leur donner raison, en pointant les fautes commises par les deux professeurs de médecine qui, « en ne procédant à la recherche génétique propre à établir que Louna était atteinte d’angiœdème héréditaire », « en ne sollicitant pas un avis éclairé auprès des spécialistes de cette maladie chez les enfants », se sont privés d’éléments utiles à la bonne fin de leur mission.
Pour les juges, « le lien de causalité entre les manquements relevés à l’encontre des docteurs Ludes et Goichot dans l’exécution de leur mission d’expertise et le renvoi des parents de Louna devant le tribunal correctionnel ainsi que la reconduite de la mesure de placement de Louna est établi. Il y a donc lieu de procéder à la juste indemnisation des préjudices ».
Les deux professeurs de médecine ont été condamnés à verser 100 000 euros aux parents de Louna, 30 000 euros à leur fille et 10 000 euros à leur deuxième enfant Léo.
« Le long combat de Sabrina et Yoan n’a pas été vain », commente leur avocat, Me François Delacroix. « Cet argent ne changera pas ce que l’on a vécu. Le mal est fait, déplorent les parents de Louna. Le rapport de ces experts nous a brisés. Rien ne nous rendra les trois ans et demi de séparation de notre fille que nous n’avons pas vu grandir. Ce temps est irrécupérable. »
Concernant la responsabilité d’un troisième expert, la justice a estimé que c’est contre l’Etat que les parents de Louna devaient se retourner. Yoan et Sabrina ont également attaqué le CHU de Nancy. Un jugement est attendu dans les prochaines semaines.
Sources :