Une assistante maternelle a été relaxée par la Cour d'Appel de Nancy, après huit ans de combat judiciaire à clamer son innocence. En cause, un diagnostic erroné de « bébé secoué ». Nous partageons ici un article paru dans le journal Le Point le 4 février 2021.
Syndrome du bébé secoué : une nourrice relaxée à Nancy
Par Nicolas Bastuck
le 4 février 2021
Le Point
La cour d’appel n’a pas suivi les experts, qui avaient conclu « de manière certaine » à des secouements répétés, estimant leur analyse « erronée ».
L'expert éclaire les débats judiciaires, mais le magistrat n'est pas lié par ses conclusions, qu'il peut toujours discuter – voire contester –, la décision lui appartenant au final. La cour d'appel de Nancy (Meurthe-et-Moselle) vient de rappeler ce principe en relaxant une assistante maternelle agréée de 36 ans condamnée en première instance à 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour « violences volontaires sur mineurs ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours », dans le cadre d'une affaire mettant en jeu le syndrome dit du « bébé secoué » .
Le 31 janvier 2013, les parents du petit Jules (*), âgé de 9 mois, se présentent au commissariat de Strasbourg (Bas-Rhin) pour déposer une plainte contre la nourrice de leur fils. Hospitalisé depuis quarante-huit heures, leur bébé vient d'être transféré aux urgences pédiatriques du CHU de Strasbourg, dans un état de santé inquiétant. Deux jours plus tôt, l'assistante maternelle de Jules, chez laquelle il se trouvait depuis le matin, après plusieurs jours passés dans sa famille, tente en vain de les joindre en urgence. Finalement alertée par une collègue, la mère fonce toutes affaires cessantes chez la nounou, qu'elle trouve à son arrivée complètement paniquée : « Venez vite, il y a un problème, Jules ne bouge plus ! » crie-t-elle. Entrée dans l'appartement, la maman découvre son fils couché sur le canapé du salon, inerte et très pâle. Le prenant dans les bras, elle constate qu'il est « tout mou » et qu'il ne bouge plus. Sans tonus, l'enfant émet juste quelques râles ; son regard est vide, avec un œil partant sur le côté ; il pleure par intermittence. Quant à l'assistance maternelle, elle est en proie à « une panique totale, dans un état quasiment hystérique ».
Pris en charge par les pompiers, le nourrisson est conduit à l'hôpital de Mulhouse. Un scanner cérébral, réalisé en urgence, met en évidence un « hématome sous-dural droit associé à un œdème sans refoulement de la ligne médiane ». À la suite de la dégradation de son état de santé neurologique, le bébé est intubé, ventilé et héliporté vers le CHU de Strasbourg. L'examen du fond d'œil réalisé à son arrivée met au jour plusieurs « hémorragies rétiniennes bilatérales d'âges différents ».
« Une atteinte traumatique violente, non accidentelle et récente »
Un médecin légiste se transporte le lendemain au chevet de l'enfant. Sa conclusion est sans appel : les lésions observées doivent être mises en rapport avec une « mise en accélération violente, unique ou répétée, de l'extrémité cervico-céphalique du nourrisson ». En clair, il est très probable que l'enfant ait été secoué. Selon le légiste, l'événement traumatique s'est produit le jour de son hospitalisation, le 29 janvier. Le médecin émet des réserves quant à l'évolution psychomotrice de l'enfant. Le certificat médical des deux pédiatres qui ont pris Jules en charge mentionne, pour sa part, une IRM évoquant, comme le scanner, la présence d'un « hématome sous-dural bilatéral, d'une épaisseur de 3 mm au niveau fronto-pariétal, associé à un autre hématome sous-dural péri-cérébelleux ». « L'ensemble des lésions évoque une atteinte traumatique violente, non accidentelle et récente », notent les médecins.
Interrogés sur la possibilité d'une chute, les parents de l'enfant relatent un incident survenu à leur domicile : le 28 janvier, veille de son hospitalisation, Jules a basculé en avant en tentant d'attraper un jouet, avant de se cogner la tête sur un sol carrelé. Présentant une rougeur au front, sa mère l'a consolé avant de le coucher. Il n'a pas vomi, n'a pas été somnolent et a fait une bonne nuit. Les parents révèlent par ailleurs avoir constaté « un changement de comportement » de la nounou avec leur fils ; depuis quelques mois, celle-ci se plaignait auprès d'eux du fait que Jules « pleurait trop, criait et faisait des colères ».
Placée le 5 février en garde à vue, l'assistante maternelle rapporte que, le 29 janvier, Jules, qu'elle n'avait pas gardé depuis plusieurs jours, a refusé de manger au déjeuner. Elle le conduit alors à la sieste et il s'endort rapidement. L'entendant pleurer, elle le prend dans les bras et se rend compte qu'il reste « sans réaction ». Elle sent « une lourdeur, un poids » jamais éprouvé jusqu'ici et s'aperçoit que Jules garde les yeux fermés, demeurant « tout mou, sans réaction », bougeant seulement l'avant-bras gauche. Prise de panique, ne trouvant plus son téléphone, elle réclame secours à un voisin après avoir alerté les pompiers. Elle se souvient alors d'un événement survenu dans la matinée : en voulant se pencher, l'enfant a glissé sur le parquet et s'est retrouvé sur le ventre, sans toutefois se cogner. Elle conteste fermement avoir « secoué » le bébé.
Interrogé à son tour par les enquêteurs, son mari admet avoir tapé le soir même « syndrome du bébé secoué » sur Google. « Je voulais comprendre ce qui avait pu se passer », explique-t-il aux policiers. Plusieurs proches, entendus dans la procédure, décrivent l'état de panique dans lequel la nourrice est demeurée les jours suivants.
« Secouements répétés »
Alors que la jeune assistante maternelle est mise en examen, une nouvelle expertise médicale est ordonnée. Celle-ci conclut à un « syndrome du bébé secoué » découlant de mouvements rapides de la tête, à partir de secousses appliquées au niveau des bras ou du thorax. La présence d'hémorragies rétiniennes d'âges différents signale une « répétition » du traumatisme décrit, des « secouements répétés » dont on ne peut préciser les intervalles.
Ces lésions n'ont, heureusement, pas eu de retentissement sur le développement psychomoteur de l'enfant ; l'examen neurologique, pratiqué quinze jours après son hospitalisation se révèle « strictement normal ». Le bébé ne conserve aucune séquelle. Enfin, l'expert écarte la possibilité qu'une chute ait pu provoquer les lésions retrouvées par le scanner et l'IRM.
Première condamnation
Le 11 juillet 2018, le tribunal correctionnel de Nancy déclare la nourrice coupable de « violences volontaires sur mineur de (moins de) 15 ans, par personne ayant autorité », et prononce la peine de 18 mois de prison avec sursis, avec interdiction d'exercer une activité impliquant un contact avec des enfants, et ce, pour une durée de cinq ans. La jeune femme interjette appel et doit être, à nouveau, jugée les 24 et 25 septembre 2020.
La cour, présidée par Catherine Sammari, ordonne « avant dire droit » (au préalable) une nouvelle expertise reprenant l'ensemble du dossier médical de l'enfant, ses antécédents, son histoire clinique et les constatations relevées lors des divers examens pratiqués lors de son hospitalisation. Il est demandé à l'expert de dire si le syndrome du bébé secoué est ici « certain, possible ou devant être écarté ».
Alors que le précédent expert, comme tous les certificats consignés au dossier médical, a relevé des hémorragies rétiniennes bilatérales d'âges différents, les deux spécialistes désignés contredisent leur confrère, sur ce point précis. Pour le reste, le syndrome du bébé secoué peut être, selon eux, posé « avec certitude », dès lors que les trois symptômes répertoriés apparaissent dans le cas d'espèce : « hématome sous-dural », « rupture des veines-ponts », hémorragies rétiniennes ».
Pour autant, leurs conclusions n'ont pas convaincu la cour. La juridiction estime qu'elles « reposent sur un constat médical erroné », à savoir que les hémorragies rétiniennes relevées chez l'enfant n'étaient pas d'âges différents ». « Les experts ne peuvent affirmer, comme ils l'ont fait, que l'épisode du secouement pouvait être situé quelques minutes avant l'appel au secours de la prévenue, alors qu'un précédent expert a évoqué des secouements répétés, à des dates différentes. On ne peut donc écarter l'hypothèse que les lésions aient pour origine un événement extérieur, antérieur à la prise en charge de l'enfant par sa nourrice. Dès lors, on ne peut imputer à celle-ci avec certitude l'épisode du secouement ayant entraîné les lésions relevées le jour de l'hospitalisation de l'enfant », énonce l'arrêt de la chambre des appels correctionnels, rendu il y a quelques jours.
En conséquence de quoi, le premier jugement est infirmé et l'assistante maternelle, relaxée. La cour n'a pas suivi les réquisitions de l'avocat général, qui avait requis la confirmation de la peine prononcée par les premiers juges.
« Une machine à erreur judiciaire »
« Comme toujours, dans ce type de dossier, il est difficile de donner tort aux experts. Le mérite de cet arrêt est d'avoir posé un regard critique sur leurs travaux », souligne Me Grégoire Etrillard, qui défendait la nourrice. « Il ressortait de tous les certificats et rapports médicaux que les hémorragies rétiniennes décelées étaient d'âges différents. Or, cet élément central a été totalement occulté par les derniers experts, dont l'un avait participé aux groupes de travail de la Haute Autorité de santé, sur la question du syndrome du bébé secoué. Sur la base d'une analyse erronée du dossier clinique, les experts ont formulé des conclusions péremptoires que la cour a, heureusement, écartées. »
Cet avocat, qui suit plusieurs dizaines de dossiers de ce type, considère que « les recommandations excessives » de la Haute Autorité de santé, en la matière, « et surtout les conclusions hâtives que l'on en tire le plus souvent devant les cours et tribunaux, avec des diagnostics portés par défaut et présentés comme certains », peuvent donner lieu à de « nombreuses dérives ». « Une machine à erreur judiciaire », ne craint pas de dénoncer Me Etrillard. Cet avocat en appelle à « une remise à plat de la doctrine scientifique et judiciaire », sur le syndrome du bébé secoué, qui « crée énormément de malheurs, avec des parents parfois injustement condamnés, des enfants séparés d'eux alors qu'on découvre, plus tard, qu'il pouvait s'agir de maladies rares ou d'événements plus prosaïques, telles des chutes de faible hauteur ».
« On a le droit d'avoir une suspicion, mais la certitude doit être étayée. La maltraitance infantile est devenue le pré carré des radiologues, alors que le diagnostic devrait être pluridisciplinaire et, surtout, croisé avec une enquête judiciaire », plaide Me Etrillard.
Un pourvoi en cassation a été formé contre l'arrêt de Nancy.