Voici le témoignage d'Anne et Douglas suite à leur non-lieu obtenu le 21 février 2020.
Voici notre histoire,
Après 8 ans de combat judiciaire, la juge d’instruction a ordonné un non-lieu pour nous deux.
Le 22 décembre 2011, notre plus beau cadeau de Noël, la naissance de notre fils Hugo. Le premier enfant pour moi et le second enfant de Douglas (qui a déjà un garçon de 9 ans prénommé Felipe et résidant au Brésil).
Le bonheur s’est transformé en cauchemar le 14 mai 2012, notre fils Hugo fait un malaise, son papa lui fait les gestes de premiers secours, gestes qui seront salués par les pompiers puisqu'il sera réanimé et transféré en urgence par ambulance au CHU juste à côté de chez nous (le même hôpital où il est né), en région parisienne.
Je me souviens de ce couloir d’hôpital rempli de nos amis et de nos familles qui arrivent en urgence de toute la France, à toute heure de la nuit et du jour pour nous soutenir.
Je me souviens de cette infirmière qui nous aidera à trouver un prêtre en urgence et grâce à elle nous pourrons le baptiser à l’hôpital (son baptême était prévu le 19 mai, le dimanche de cette même semaine).
Je me souviens aussi de cet entretien avec ces médecins et assistantes sociales qui nous annonceront leur obligation de nous signaler car notre fils présente des hématomes au cerveau (mais nous ne comprenons pas pourquoi), nous prions juste pour que notre fils guérisse.
Nous espérons pendant 3 jours que l’équipe médicale réussira à le soigner, mais nos prières resteront vaines. Le 16 mai, il décédera dans mes bras, je lui chanterai sa dernière berceuse, entouré de son papa, de ses deux mamies, de sa tante (ma sœur) et de sa marraine.
Dans les jours qui suivent, nous sommes convoqués à la Brigade des Mineurs. Nous y allons à 4, le papa, ma sœur, ma belle-mère et moi. Nous sommes déterminés à aider les enquêteurs à trouver ce que notre fils a eu. Mais le cauchemar continue, nous sommes mis en garde à vue pendant 72h, on nous accuse d’avoir secoué notre bébé. 72h pendant lesquelles les policiers ne cherchent qu’une chose : que l’un de nous deux avoue ou accuse l’autre... Lors de ces interrogatoires, nous serons seuls et sans aucun avocat. Nous serons uniquement assistés d’un avocat commis d’office lors des dernières heures de garde à vue et lors de notre confrontation. Personne ne veut écouter nos pistes (grossesse pathologique, l’accouchement par césarienne d’urgence pour souffrance fœtale, le retard de croissance de notre fils, son comportement étrange léthargique la semaine qui suit son rappel de vaccins, son dossier médical...). Mais nous sommes innocents et nous trouvons la force de tenir bon pour notre fils.
Après 3 jours de garde à vue, nous sommes finalement mis en examen tous les 2 et mis sous contrôle judiciaire. Nous sommes soulagés car nous pourrons assister aux obsèques de notre fils (organisés par ma sœur et ma tante pendant notre garde à vue). Le costume prévu pour son baptême sera son costume pour son enterrement…
Le soulagement sera de courte durée car le procureur veut la détention provisoire pour nous deux et fait appel de la décision du juge des détentions et des libertés. Nous serons de nouveau jugés en Cour d’appel. Lors de cette audience le 18 juin 2012, le procureur essaie de convaincre les juges de notre culpabilité en affirmant que notre fils a été victime du « coup du lapin » cervical. Ce terme n’est pourtant pas mentionné dans le certificat médical de notre fils, ni évoqué par le médecin en charge d’Hugo lors de son hospitalisation, ni dans le rapport d’autopsie du médecin légiste. A cet instant, l’un des juges ordonna sur un ton très ferme au procureur de se taire (les mots prononcés par ce procureur résonnent encore dans ma tête et j’essaie encore tant bien que mal d’effacer son visage de ma mémoire). Les juges de la Cour d’appel de Paris confirmeront le contrôle judiciaire pour nous deux.
Nous pointerons alors pendant 4 ans toutes les semaines au commissariat, puis tous les mois pendant 3 ans. Nos passeports seront confisqués et nous aurons interdiction de sortir du territoire français sans autorisation. Nous nous soumettrons à tous les interrogatoires et expertises qui s’étaleront sur 8 ans (la durée maximale de l’instruction était censée être de 18 mois...).
Il n’y a pas de mot pour décrire la souffrance, le désarroi, la détresse que nous avons subis : perdre son enfant et nous mettre dans une cellule pendant 3 jours à essayer de nous faire dire qu’on lui a fait du mal. L’angoisse pendant 8 longues années de recevoir des courriers recommandés avec des rapports d’autopsie, des convocations judiciaires, des chefs d’accusation terribles à lire et à prononcer « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur mineur de moins de 15 ans par ascendant »…
Janvier 2014, afin de nous reconstruire, nous décidons de quitter Paris pour Lyon.
Le 30 Juillet 2014, j’ai donné naissance à notre fille Mila, (j’ai même posé la question à mon avocat de l’époque si j’avais le droit d’avoir un autre enfant). Ma grossesse pathologique (comme la première) a été beaucoup mieux suivie dans un autre hôpital où j’ai été hospitalisée pendant 2 mois et la césarienne programmée s’est déroulée sans problème. Quand ma fille est née, l’angoisse était toujours présente. J’ai demandé à un pédiatre si on pouvait lui faire un scanner du cerveau. Il m’a répondu « chaque enfant est différent et la médecine n’explique pas tout…»
Comment peut-on dans ce cas, sur des symptômes constatés (alors qu’aucune autre piste médicale n’est vérifiée) affirmer qu’un secouement est la seule et unique explication possible… ?
J’attends toujours des réponses de la justice, de la médecine. Pourquoi la radiologue a-t-elle diagnostiqué une fracture du crâne imaginaire puisque inexistante à l’autopsie ? Pourquoi ne pas avoir pris en compte le taux de procalcitonine gravissime ? [NDLR : Ce taux, typiquement associé aux infections bactériennes, était 1000 fois supérieur à la normale]. Pourquoi l’expert n’a-t-il pas creusé dans l’histoire de ma grossesse et de mon accouchement et du retard de croissance de notre fils ? Pourquoi les enquêteurs ont-ils été à charge dès le début ?
Je me suis sentie trahie par mon pays, par la justice, par l’hôpital, institutions en qui j’avais confiance.
Nous ne sommes pas médecins, nous avons aussi en tête que peut-être nous ne saurons jamais de quoi est décédé exactement notre fils.
Mais une chose est certaine, c’est qu’à aucun moment, aucun de nous deux, nous lui avons fait du mal. Nous avons toujours clamé notre innocence l’un et l’autre et sans s’accuser. Notre fils nous a toujours donné la force de nous battre même dans les moments où nous étions à terre et nous nous sommes relevés et avons continué d’avancer.
Nous avons essayé de trouver des groupes de paroles de parents endeuillés mais nous n’avons pas trouvé notre place car pour nous c’était la double peine (le deuil et une accusation de violences volontaires sur notre enfant). Qui pouvait comprendre cette double souffrance ? Nous nous sommes sentis seuls pendant ces longues années, personne avec qui partager notre souffrance, personne pour nous conseiller. Jusqu'en mars 2019, lorsque mes parents tombent par hasard sur un article dans la presse qui parlait d'Adikia et du procès de Vanessa. Nous prenons contact et là une lueur d’espoir se ravive. Grâce à leurs conseils, nous récupérons tous les dossiers médicaux. Nous comprenons l’ampleur de cette injustice qui frappe de nombreuses familles sous couvert d’un diagnostic médical du SBS remis en cause dans de nombreux pays. Nous comprenons aussi les conséquences gravissimes pour nous d’un procès aux assises. Nous changeons donc d’avocat car nous décidons d'avoir la meilleure défense, et nous faisons appel à Maître Grégoire Étrillard, avocat pénaliste spécialisé dans le syndrome du bébé secoué.
Nous sommes, depuis 3 ans, séparés avec le papa mais toujours en bons termes pour notre fille, car nous connaissons la valeur du temps et de la vie. Nous sommes désormais une équipe de parents et nous pourrons toujours compter l’un sur l’autre après le drame que nous avons traversé ensemble.
Tous les ans, chaque 22 décembre, nous célébrons ensemble l’anniversaire de notre fils.
Aujourd’hui, au bout de 8 ans, nous avons franchi une nouvelle étape, puisque le juge d'instruction a décidé d'un non-lieu :
L'information judiciaire n'a pas permis d'établir l'origine des hématomes sous-duraux multiples et des hémorragies rétiniennes qu'[Hugo] a pu porter. (...) En tout état de cause, aucun témoin, que ce soit du corps médical, ou de la famille, n'a jamais relevé aucune trace physique pouvant questionner sur de la maltraitance. (...) L'ensemble des intervenants a pu indiquer qu'il s'agissait d'un enfant désiré et calme, dont le suivi médical était exemplaire et les soins apportés de qualité. (...) Ainsi, aucun élément ne permet d’établir qu’[Anne ou Douglas] ou quiconque d’autres aient pu commettre la moindre action ayant eu pour conséquence le décès de leur enfant Hugo. En conséquence et en l’absence de charges, il sera ordonné un non lieu.
Nous continuerons le combat pour la vérité et cette injustice avec Adikia.
Anne et Douglas
En mémoire de notre fils Hugo, qui a rejoint le royaume des anges le 16 mai 2012.