Nous proposons une traduction d'un éditorial du Houston Chronicle datant du 23 janvier 2020. Suite à la longue enquête en plusieurs épisodes réalisée par ce journal américain et par NBC News au sujet des fausses accusations médicales de maltraitance, l'Académie Américaine de Pédiatrie (AAP) a rejeté les critiques et mis en cause les journalistes pour leur enquête. Leur principal axe de défense consistait à dire que cette enquête « mettait les enfants en danger ». Cette stratégie est systématiquement utilisée, même en France, dès lors que l'on soulève le problème des erreurs de diagnostic conduisant à des fausses accusations de maltraitance, comme si toute discussion sur les modalités du système de protection infantile devait absolument être empêchée au risque de « mettre les enfants en danger ». Le Houston Chronicle répond ici à ces critiques absurdes.
Les pédiatres ont tort de critiquer notre enquête journalistique sur la maltraitance
Comité éditorial du Houston Chronicle
23 janvier 2020
Les lésions que présentaient les enfants examinés par les médecins étaient terribles (un enfant de cinq mois avec des fractures du crâne et des hémorragies internes, un petite fille de 2 ans avec les pieds brûlés et couverts d'ampoules) des situations rendues encore plus difficiles par la crainte que ces blessures ne soient pas accidentelles, mais causées par des maltraitances.
Dans les deux cas, des pédiatres spécialement formés à la maltraitance ont déterminé qu'il s'agissait probablement de maltraitance, les enfants ont été enlevés à leurs parents et placés par les services de protection de l'enfance. Dans les deux cas, la vie des familles a été bouleversée, jetée dans une bureaucratie conçue pour protéger les enfants contre la maltraitance, mais qui n'a quasiment jamais pris en considération tous les parents qui clamaient leur innocence.
Dans les deux cas, détaillés avec d'autres dans l'enquête « Do No Harm » du Houston Chronicle et de NBC News, les médecins s'étaient trompés.
Les cas où des pédiatres spécialisés en maltraitance accusent des parents clamant de manière crédible leur innocence ne sont pas si fréquents, selon notre enquête, mais ce ne sont pas non plus des cas anecdotiques rarissimes comme certains médecins veulent nous faire croire.
En réponse à notre enquête, plus de 300 familles provenant de 38 États se sont manifestées pour partager leurs propres histoires de mauvais diagnostics. Des pertes d'emploi, des réputations ruinées et des difficultés financières. Des enfants qui ont été emmenés et qui sortent marqués à vie de leur séjour en famille d'accueil.
Les législateurs du Texas ont, à juste titre, prêté attention à ces cas et ont convoqué une série d'audiences législatives pour étudier les améliorations possibles, notamment en exigeant un deuxième avis médical avant que l'État ne retire un enfant à ses parents.
Mais la réponse de l'Académie Américaine de Pédiatrie a été moins encourageante. Leur point de vue ? Tirer sur le messager.
Un commentaire en première page de l'édition de janvier d'AAP News, intitulé « La couverture médiatique des pédiatres spécialisés en maltraitance met les enfants en danger », brosse un tableau apocalyptique.
Une couverture médiatique négative aura « des répercussions professionnelles, financières, politiques et personnelles » sur les pédiatres spécialisés en maltraitance, leurs collègues et les organisations affiliées, écrit Amy R. Gavril, membre du comité exécutif de l'AAP sur la maltraitance infantile.
Elle a également le potentiel de dissuader les pédiatres de signaler, d'amener les parents à se méfier de leur médecin et de conduire les familles à « éviter de consulter pour son enfant, par crainte, à tort, d'être accusées de maltraitance et de se voir retirer l'enfant. »
« En fin de compte », écrit Gavril, « je crains que beaucoup d'enfants soient désormais en danger. »
L'éditorial incite les pédiatres à écrire des lettres au rédacteur en chef et l'Académie fournit même quelques conseils sur la manière de rédiger des tribunes sur le sujet, avec un argumentaire et des exemples tout préparés, comme celui qui a été publié dans le Chronicle en novembre.
Ironiquement, l'AAP demande aux pédiatres de partager leur « expérience et perspective unique » alors que l'éditorial rejette la couverture journalistique du « vécu émotionnel des familles. »
Ce type d'arrogance, même si elle part d'une bonne intention, renforce l'intérêt de l'enquête de Mike Hixenbaugh et Keri Blakinger, qui ont constaté que les experts en maltraitance se sont parfois laissés aveugler en recherchant vainement des maltraitances qui n'existaient pas.
Cela est compréhensible si l'on considère la gravité des dommages que peut entraîner le fait de laisser un enfant avec un agresseur. Près de 1 700 enfants sont morts de maltraitance ou de négligence en 2017, selon le Bureau des enfants du ministère américain de la santé et des services sociaux. Près de 200 de ces décès se sont produits au Texas.
La pression pour agir correctement est énorme, même pour un pédiatre hautement qualifié. Si vous commettez une erreur, les conséquences peuvent être mortelles, mais si vous faites preuve d'un excès de prudence, vous risquez de retirer un jeune enfant à sa famille.
La réponse n'est pas de blâmer les médias, de prétendre que ces erreurs ne se produisent pas ou qu'il vaut mieux être prudent que désolé. La réponse est de travailler à l'amélioration du système afin que tous les enfants soient en sécurité. Les mesures de bon sens consistent notamment à autoriser un deuxième avis médical et à peser plus soigneusement le diagnostic de maltraitance avec les autres éléments du dossier.
L'Académie Américaine de Pédiatrie devrait montrer la voie, et non pas essayer d'étouffer l'affaire.