Nous proposons une traduction d'un reportage paru le 24 février 2020 sur une chaîne de télévision de l'Ohio.
Enquête de 3News : le syndrome du bébé secoué remis en question
par Phil Trexler, Rachel Polansky
pour WKYC 3News, le 24 février 2020
AKRON, Ohio - Quand Dan et Lee-Ann Dunkle regardent leur fille, ils voient une adolescent athlétique en parfaite santé et une très bonne élève.
Ils ne voient certainement pas une victime du syndrome du bébé secoué.
Un jour pourtant, c'est ce que les médecins voyaient.
Il s'avère que ces médecins avaient totalement tort.
Malgré toutes les années qui se sont écoulées, se remémorer ces moments est toujours aussi difficile. La mère ne peut s'empêcher de pleurer en y repensant.
« Je n'avais pas le droit de ramener mon enfant à la maison. Ils ont dit que je serais arrêtée si je le faisais. Et c'est là qu'on s'est dit : "Mais qu'est-ce qui se passe ?" »
Elle l'a vite découvert.
Les Dunkle étaient à l'hôpital pour enfants d'Akron, où le célèbre pédiatre Daryl Steiner diagnostiquait cas après cas le syndrome du bébé secoué.
Contacté par téléphone, le Dr Steiner a déclaré à 3News Investigations : « Je suis à la retraite et je ne me souviens de rien avant 2016. »
Aujourd'hui, le syndrome du bébé secoué et le traumatisme crânien intentionnel font l'objet d'un vif débat, tant dans le milieu médical que juridique.
Plus de 200 affaires pénales ont été ré-étudiées dans tout le pays depuis 2001, selon une étude approfondie réalisée par le Washington Post et des étudiants en journalisme de la Northwestern University.
Plus de 1 600 affaires ont cependant été laissées en suspens, avec autant de personnes incarcérées clamant leur innocence depuis leur cellule.
« Il y a certainement des gens qui purgent de longues peines, des peines de réclusion criminelle à perpétuité, pour ce que j'estime être de la fausse science et de la fausse médecine », a déclaré l'avocate d'Akron, Andrea Whitaker, qui a défendu une dizaine d'affaires de bébés secoués, dont les Dunkles.
« Il n'y a aucun doute dans mon esprit qu'il y a des innocents en prison à cause de diagnostics erronés. »
Le syndrome du bébé secoué a pris de l'importance dans les années 1990, surtout après le procès de la jeune fille au pair britannique Louise Woodward.
Par la suite, le nombre de diagnostics a explosé, notamment autour d'Akron, plaçant la région au troisième rang dans tout le pays. Cela est dû en grande partie au Dr Steiner, qui a acquis une renommée nationale en tant qu'expert du syndrome du bébé secoué.
Un médecin a témoigné lors d'une audience que Steiner était devenu « désinvolte » dans sa manière de diagnostiquer le syndrome du bébé secoué.
« Ce pédiatre jouait le rôle de médecin, du procureur, de l'officier de police et du jury », a déclaré Donald Caster, un avocat de l'Ohio Innocence Project. « Il lui suffisait de dire que c'était une maltraitance pour détruire la vie d'un parent ou d'une nounou. »
Steiner a utilisé une théorie pour déceler la maltraitance, celle de la « triade » : hémorragies dans le cerveau, au fond des yeux, et œdème cérébral.
Les critiques disent que dès lors que Steiner observait les trois symptômes, il concluait instantanément au syndrome du bébé secoué. Pour répondre aux critiques, le nom du « traumatisme crânien intentionnel » a été utilisé.
Ces dernières années, cependant, les connaissances scientifiques ont évolué. Certains médecins ont changé d'avis sur leurs conclusions initiales. D'autres ont reconnu que d'autres causes, telles que des chutes de faible hauteur ou des traumatismes obstétricaux, pouvaient causer les mêmes symptômes. Des études montrent qu'environ 25 % des naissances sont associées à ces symptômes.
Aujourd'hui, l'Ohio Innocence Project travaille sur les dossiers de deux femmes purgeant des peines de réclusion criminelle à perpetuité : Tiffani Calise et Marsha Mills. Dans chaque cas, le Dr Steiner a travaillé sur les dossiers.
Calise, 29 ans, a été condamnée pour le décès en 2010 d'un bébé de 2 ans qu'elle gardait dans un appartement de Green. Calise affirme que la fille a glissé et qu'elle est tombée dans la baignoire
Mills, 69 ans, a été condamnée pour la mort en 2006 d'un garçon de 2 ans qui, selon elle, est tombé de plusieurs marches chez elle à New Philadelphia.
Selon les avocats, d'autres personnes dans tout le pays ont été condamnées à tort.
« Il y a des dizaines de personnes dans l'Ohio qui ont été condamnées à tort pour maltraitance sur la base de l'hypothèse du bébé secoué », a déclaré M. Caster. « Ce sont des hommes et des femmes qui ont été séparés de leur famille pendant des décennies à cause d'une science invalide. »
Les Dunkles ont failli être l'une de ces familles.
En 2006, ils ont perdu la garde de leur nouveau-né. La séparation a duré quatre mois.
Leur cauchemar a commencé lorsque la petite fille est tombée d'une table à un mètre de hauteur. Inquiets pour leur enfant, le couple originaire de Wadsworth l'a emmenée à l'hôpital pour enfants.
« C'était en fait une très mauvaise décision de notre part », dit Lee-Ann Dunkle.
À l'hôpital, la petite Rachel a été examinée par le Dr Steiner, qui a rapidement posé un diagnostic surprenant : Rachel était victime du syndrome du bébé secoué.
Les Dunkles ont appris que Rachel serait handicapée à vie à cause de ces violence.
« Je pensais qu'ils allaient réaliser que c'était une erreur, qu'il n'y avait aucune chance qu'elle ait été secouée », a déclaré Lee-Ann Dunkle.
Néanmoins, le diagnostic a déclenché une série d'événements.
Première étape : la petite Rachel a été emmenée par les services de protection de l'enfance. C'est arrivé lorsque les Dunkles ont rencontré la police, laissant leur fille à l'hôpital avec sa grand-mère.
« J'étais au téléphone avec maman quand c'est arrivé, et je lui ai dit de leur dire de la laisser partir », se souvient Lee-Ann Dunkle.
Il y a eu ensuite des mois d'audiences judiciaires coûteuses et d'expertises médicales contradictoires.
Et enfin...
« J'ai la chair de poule en y pensant », dit Whitaker, qui a reçu l'appel du personnel du juge de Medina. Elle a ensuite appelé les Dunkles pour leur annoncer la nouvelle.
Mais il n'y avait rien d'autre... pas même des excuses.
« C'est comme si c'était arrivé sans raison », a-t-elle dit.
C'est à cause de cette épreuve que les Dunkles veulent raconter leur histoire sur le syndrome du bébé secoué. Pour aider d'autres personnes accusées à tort.
« Je n'aurais jamais imaginé qu'il était aussi facile de vous enlever votre enfant... un médecin que nous ne connaissions pas, que nous n'avions jamais rencontré, qui ne savait rien de notre enfant, a dit qu'elle était une enfant maltraitée et cela a suffit à tout déclencher. »