Nous proposons la traduction d'un article de NBC News / Houston Chronicle, paru le 13 décembre 2019. Cet article s'inscrit dans le cadre de la grande enquête de deux journalistes américains sur les faux diagnostics de maltraitance causés par des erreurs médicales.
Comment empêcher les faux diagnostics de maltraitance ? En demandant un deuxième avis médical, selon des experts
par Mike Hixenbaugh et Keri Blakinger
le 13 décembre 2019
« Il est essentiel de faire les choses correctement dès le début, et non pas après qu'un enfant ait été enlevé à tort à ses parents », selon un pathologiste du Texas.
GALVESTON, Texas - Le Dr Michael Laposata a remarqué une tendance inquiétante il y a deux décennies, alors qu'il était directeur de laboratoires cliniques du Massachusetts General Hospital et professeur à la Harvard Medical School.
L'État enlevait des enfants à leurs parents à cause d'erreurs médicales. Les enfants ayant des ecchymoses ou des hémorragies internes étaient considérés à tort comme des victimes de maltraitance, les médecins passant à côté de maladies causant ces mêmes lésions.
Les médecins sont des êtres humains, dit le Dr Laposata, et les erreurs sont inévitables. Mais il dit qu'il est difficile d'imaginer une erreur diagnostique plus lourde de conséquence que celle d'une maltraitance.
« Quand on se trompe, dit-il, on enlève un enfant à une famille aimante, et quelqu'un va en prison. »
Depuis des années, le Dr Laposata dit qu'il a examiné des centaines de cas de parents accusés et qu'il a aidé à annuler plusieurs condamnations. Aujourd'hui chef de la pathologie à la faculté de médecine de l'université du Texas à Galveston, il fait partie d'un groupe croissant de médecins qui, avec les législateurs, plaident en faveur de garanties plus solides pour empêcher les faux diagnostics de maltraitance, à la suite d'une enquête longue d'une année menée par NBC News et le Houston Chronicle.
Les législateurs du Texas ont lancé une série d'audiences en réponse à cette enquête, et certains ont proposé de permettre aux tribunaux ou aux parents de demander un deuxième avis médical après un signalement médical pour maltraitance. D'autres législateurs ont suggéré de modifier la manière dont les services sociaux conduisent leur enquête lorsque la seule preuve de maltraitance est un avis médical. Les législateurs ont déclaré qu'ils prévoient de donner suite à ces propositions lors de la prochaine session législative de l'État en 2021.
Mike Schneider, un ancien juge du tribunal pour enfants qui a imposé une sanction record de 127 000 $ aux services sociaux du Texas pour leur mauvaise gestion de l'un des cas mis en lumière par NBC News et le Chronicle, convient que des avis médicaux supplémentaires seraient utiles. Il a déclaré qu'habituellement, les seuls médecins qui témoignent dans ces cas sont ceux qui ont effectué le signalement.
Mais l'État effectuerait sans doute moins d'erreurs si le système permettait aux parents accusés de demander plus facilement un deuxième avis médical, dit-il.
« Pourquoi ne serait-il pas logique que tout le monde ait accès à la même expertise médicale ? », demande Schneider. « Le but de tout cela est bien de connaître la vérité. »
À l'échelle nationale, près de 1 700 enfants sont morts suite à des maltraitances ou négligences en 2017, selon le Bureau de l'enfance du ministère de la santé et des services sociaux des États-Unis. Pour aider à empêcher ces décès, les hôpitaux pour enfants emploient des spécialistes en pédiatrie qui sont formés pour distinguer les lésions causées par un accident de celles causées par des violences volontaires.
En vertu de la loi, tous les médecins doivent signaler aux autorités les cas où ils pensent qu'un enfant a pu être maltraité. Les pédiatres spécialisés en maltraitance vont plus loin : ils examinent tout le dossier médical et doivent confirmer s'il y a eu maltraitance, en diagnostiquant non seulement ce qu'a eu l'enfant, mais aussi ce qui a causé cet état.
Au Texas et dans plusieurs autres États, le travail de ces médecins est financé en partie par des subventions des organismes de protection de l'enfance et de santé publique de l'État, qui délèguent aux équipes médicales hospitalières le soin d'examiner ces cas. Leur travail est particulièrement vital dans les cas où les enfants sont trop jeunes pour décrire ce qui leur est arrivé.
Mais dans leur zèle pour protéger les enfants, certains pédiatres spécialisés dans les mauvais traitements infligés aux enfants ont également mis en cause des parents qui clamant leur innocence de manière apparemment crédible, entraînant des séparations familiales traumatisantes et des accusations criminelles douteuses, ce qu'a permis de découvrir l'enquête de NBC News et du Chronicle. Dans certains cas examinés par les journalistes, les médecins traitants ou d'autres experts médicaux étaient en désaccord avec les pédiatres spécialisés en maltraitance et rémunérés par l'État, mais les services sociaux ne tenaient pas compte de l'avis de ces médecins avant de séparer les familles.
L'État a enlevé le fils de 4 mois d'Ann Marie Timmerman en 2016 après des convulsions et un diagnostic de bébé secoué posé par un pédiatre spécialisé en maltraitance. Un neurochirurgien pédiatrique du même hôpital a dit à la famille que la crise avait été causée par un problème médical sous-jacent, mais l'État n'a pas consulté ce médecin, et il a fallu sept mois à Ann Marie Timmerman et à son mari pour prouver leur innocence et retrouver la garde complète de leur enfant.
« Si l'État n'avait pas complètement ignoré le diagnostic initial du neurochirurgien, nous n'aurions pas eu à endurer le traumatisme inutile causé à notre famille », déclare Mme Timmerman. « Les deuxièmes avis médicaux dans des cas comme le mien devraient être automatiques. »
La Dr Tammy Camp, présidente de la Texas Pediatric Society, a déclaré dans un communiqué que l'enquête montrait à quel point il peut être difficile pour les médecins de déterminer si les lésions d'un enfant ont été infligées. C'est pourquoi les pédiatres spécialisés en maltraitance passent des années à se former pour identifier les pathologies qui peuvent être prises à tort pour de la maltraitance, dit-elle.
Mais même dans ce cas, « le diagnostic de la maltraitance n'est généralement pas absolu, il représente plutôt une estimation du risque. » Elle a cité des cas au Texas où des pédiatres spécialisés en maltraitance n'ont pas été consultés et où des enfants sont morts.
« Le système actuel est une grande amélioration par rapport aux protections qui étaient en place il y a 20 ans, avant la disponibilité des consultations pédiatriques pour les enfants maltraités », dit le Dr. Camp, « mais des améliorations peuvent toujours être apportées. »
La Texas Pediatric Society a commencé à discuter des moyens d'améliorer le système, dit le Dr Camp, mais elle a souligné que tout changement « devait être soigneusement évalué pour déterminer les conséquences involontaires possibles sur la santé et la sécurité de ces enfants les plus vulnérables. »
Avant de procéder à des ajustements, le Dr Laposata dit que les médecins et les responsables gouvernementaux doivent reconnaître ce qui est largement connu dans tous les domaines de la médecine : même les bons médecins font des erreurs. Ces erreurs sont si courantes que les chercheurs estiment que 12 millions d'Américains reçoivent chaque année un mauvais diagnostic, ce qui a parfois des conséquences dévastatrices.
Pour cette raison, le Dr Laposata estime que des experts médicaux supplémentaires devraient être consultés au début de ces cas plutôt qu'après que le diagnostic de maltraitance ait été posé.
« Il est tellement crucial de faire les choses correctement dès le début et non pas après qu'un enfant ait été enlevé à tort à ses parents ou, pire encore, renvoyé dans un foyer où il est maltraité », a-t-il dit.
Le Dr Laposata plaide en faveur d'un modèle qu'il a mis à l'essai il y a quelques années, lorsqu'il a déménagé au Texas et a constitué une équipe multidisciplinaire chargée d'examiner gratuitement les cas des parents qui estiment avoir été accusés à tort.
Chaque mois, l'équipe examine environ une demi-douzaine de cas de maltraitance dans tout le pays, à la recherche d'erreurs ou de problèmes médicaux manqués qui pourraient expliquer les lésions d'un enfant. L'équipe se réunit ensuite pour discuter de chaque cas et tente d'arriver à un consensus. Parfois, ils sont d'accord avec les médecins qui ont initialement signalé la maltraitance, dit le Dr Laposata, mais d'autres fois, ils découvrent des preuves médicales qui disculpent les parents.
Des commissions similaires pourraient être mises en place pour examiner les cas au nom de l'État, soit financées par le gouvernement, soit de manière indépendante, dit le Dr Laposata. L'idéal serait que ces commissions comprennent non seulement des pédiatres, mais aussi des sur-spécialistes en pédiatrie et des pathologistes ayant l'expérience de tout l'éventail de maladies qui pourraient imiter des lésions infligées.
L'inclusion de médecins supplémentaires pourrait également réduire le risque d'erreurs résultant de la partialité d'un médecin individuel, qui est l'une des principales causes d'erreurs médicales, dit le Dr Laposata.
« Je pense que le plus gros problème dans ces cas-là est que l'on ne demande souvent pas à d'autres experts d'intervenir », dit-il. « Peut-être que vous êtes pédiatre et que vous avez été nommé dans une équipe de protection infantile, mais vous n'avez jamais passé de temps en hématologie avec un enfant qui a des bleus ou qui saigne spontanément. Ou en orthopédie ou en endocrinologie avec un enfant qui a des os cassés. Ou en dermatologie avec un enfant qui a des lésions cutanées. Des experts de toutes ces disciplines doivent être consultés. »
Ce sentiment est partagé par plus d'une douzaine de surspécialistes en pédiatrie qui ont été consultés par les journalistes de NBC News et de Chronicle au cours des dernières semaines pour leur faire part de cas de patients qui, selon eux, avaient été diagnostiqués à tort par l'hôpital comme des victimes de maltraitance.
Le Dr Gary Brock, un orthopédiste pédiatrique qui travaille au Texas Medical Center à Houston depuis 29 ans, a déclaré avoir vu des médecins déclarer que des enfants ayant des os cassés étaient des victimes confirmées de maltraitance, malgré des preuves solides, selon lui, que les blessures n'avaient pas été infligées.
« Il y a très peu de blessures où nous pouvons dire : 'C'est une maltraitance de manière certaine' déclare le Dr Brock. « Avant qu'un pédiatre non spécialisé en radiologie ou en orthopédie puisse dire cela, un deuxième avis d'un spécialiste devrait être obligatoire. »
Le Dr Brock suggère de trouver une façon de faciliter le témoignage des médecins traitants souvent surchargés, éventuellement par le biais de conférences téléphoniques.
« J'insiste sur le fait que tout le monde veut bien faire les choses et que la sécurité de l'enfant est absolument primordiale », déclaré le Dr Brock. « Mais dans les circonstances où au moins la moitié du temps, on ne peut pas faire la différence entre un traumatisme accidentel et un traumatisme infligé, les opinions multiples devraient être obligatoires et non facultatives. »