Les dossiers judiciaires montrent des failles dans les conclusions des pédiatres spécialisés en maltraitance
ABC Action News
par Katie LaGrone, le 25 novembre 2019
Des familles de Floride dénoncent des fausses accusations de maltraitance faites par certains pédiatres rémunérés par l'État pour détecter les signes de maltraitance.
« Nous pensons emmener nos enfants dans les meilleurs hôpitaux pédiatriques, chez les meilleurs médecins pour qu'ils reçoivent les meilleurs soins possibles, et nous nous retrouvons dans une embuscade », a déclaré Jeremey Graham, un pompier et auxiliaire médical de l'ouest de la Floride, qui a été arrêté et accusé de violences graves sur mineur il y a quatre ans.
« Je sentais qu'il y avait quelque chose de grave »
Lui et sa femme avaient passé des années à essayer d'avoir un bébé. Après deux séries de fécondations in vitro, Tristan est venu au monde il y a quatre ans. Mais quatre mois après le début de leur aventure familiale, le trio a été déchiré lorsqu'un pédiatre spécialisé dans la maltraitance a déterminé qu'une crise d'épilepsie présentée par Tristan était le résultat d'une hémorragie cérébrale causée par « des sévices physiques, spécifiquement un traumatisme crânien violent (...) comme un secouement violent », selon les dossiers judiciaires que les parents nous ont remis.
Les Graham ont clamé leur innocence. Quelques semaines avant la crise de Tristan, ils l'avaient emmené chez de nombreux spécialistes parce que « je sentais qu'il y avait quelque chose de grave », a dit Vivianna.
D'abord, Tristan a cessé de respirer pendant que Jeremey le nourrissait. Ils l'ont amené aux urgences. Les médecins n'ont trouvé aucune obstruction respiratoire et Tristan a pu retourner chez lui. Ensuite, il y a eu des épisodes de vomissements et, en octobre 2015, leur bébé de 4 mois a eu une crise épileptique.
« Appelle le 911, Tristan fait une crise d'épilepsie », a dit Jeremey a Vivianna. « Je le voyais tenir Tristan en train de convulser. »
Tristan a été transporté d'urgence à l'hôpital. Les médecins ont déterminé que Tristan souffrait d'une hémorragie cérébrale et, pour un pédiatre spécialisé dans en maltraitance, la raison était toute trouvée, selon les dossiers judiciaires : « des sévices graves, spécifiquement un traumatisme crânien infligé, comme un secouement violent. »
« Infligé ? Qu'est-ce que vous racontez ? » se souvient Vivianna.
Une nouvelle sorte de médecins
Les pédiatres spécialisés en maltraitance sont formés spécifiquement pour repérer les cas de maltraitance. Il y en a 22 en Floride qui travaillent comme experts avec des travailleurs sociaux. C'est une industrie où les dossiers sont tenus secrets pour protéger les enfants. Bien que ces avis d'experts puissent sauver des milliers de vies chaque année, les dossiers judiciaires révèlent qu'ils peuvent aussi déchirer des familles lorsque leurs conclusions mettent en cause des parents qui semblent avoir tout fait correctement.
« Il a été vu par tant de médecins différents avant que nous ne l'amenions une deuxième fois à l'hôpital, alors pour nous, nous nous demandions ce qui se passait », dit Vivianna.
Tristan a été retiré de la maison de ses parents pour vivre avec des membres de sa famille pendant que les Graham se battaient contre les conclusions de l'État et les accusations criminelles à l'encontre de Jeremey.
Quand le pédiatre de la maltraitance se trompe
Les Grahams font partie d'un petit groupe de parents qui s'élèvent aujourd'hui contre le système de protection infantile qui, disent-ils, se trompe parfois.
« C'est comme perdre tout ce à quoi on tient », a déclaré Vadim Kushner, du comté de Sarasota, en se rappelant comment l'État a retiré son nouveau-né et sa fille d'un an l'année dernière après qu'un pédiatre rémunéré par l'État eut déterminé que les crises de son fils de 33 jours avaient été « causés par un secouement violent ou un traumatisme infligé à la tête ».
« Nous disions que nous n'avions rien fait de mal, elle disait "Si !" », Kushnir. L'État a déposé une plainte pour mettre fin aux droits parentaux des Kushnir après avoir déterminé l'existence de maltraitance. Mais les Kushnir se sont défendus et ont dépensé 30 000 $ en honoraires d'avocats et d'experts qui ont expliqué que les problèmes de santé de l'enfant avaient été causé par un accouchement difficile.
Un juge du comté de Sarasota a été d'accord. Dans l'ordonnance finale rejetant la requête du département de protection de l'enfance de Floride visant à mettre fin aux droits parentaux des Kushnir, le juge a également critiqué les médecins de l'État pour ne pas avoir pris en compte la naissance difficile du bébé, qui avait cessé de respirer parce que le cordon ombilical était étroitement enroulé autour de son cou. Un médecin a même admis au tribunal qu'il « ne regardait jamais l'intégralité du dossier médical du bébé. »
« Les médecins doivent être plus responsables et rechercher davantage au lieu d'accuser », a déclaré M. Kushnir. « Vous devez prendre cela plus au sérieux, vous êtes en train de détruire des familles. »
Depuis des semaines, nous cherchons à obtenir des réponses auprès de l'agence de santé de Floride qui supervise des équipes de protection de l'enfance, comprenant des pédiatres de la maltraitance. Nous avons demandé des interviews, mais nos demandes ont été refusées par le directeur de la communication, Alberto Moscoso. Nous avons présenté des demandes de dossiers, mais la plupart de ces dossiers ne nous ont pas été fournis.
La semaine dernière, nous avons envoyé à l'agence et à Moscoso une liste de questions, y compris la réponse de l'agence aux familles qui estiment avoir été accusées à tort. Nous avons également demandé la réaction du département aux décisions de justice critiquant certains pédiatres pour leur manque de sérieux dans les enquêtes concernant des cas de suspicion de maltraitance. Au moment de la publication de cet article, ni Moscoso ni aucun membre de l'agence ne nous a jamais fourni de réponse.
Une pédiatre de la maltraitance : « Nous ne sommes pas des cow-boys »
« Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour poser le bon diagnostic », a déclaré le Dr Suzanne Haney, présidente du Council of Child Abuse and Neglect de l'American Academy of Pediatrics. Elle explique comment les pédiatres spécialisés en maltraitance reçoivent une formation approfondie qui exige une bourse de recherche supplémentaire de trois ans et trois années supplémentaires de formation dans une sous-spécialité les confrontant à de nombreux aspects du métier, en allant des radiographies aux témoignages auprès des tribunaux. Une étude réalisée en 2009 par l'Université du Missouri a révélé que les pédiatres spécialisés en maltraitance sont en fait moins susceptibles que les autres médecins de diagnostiquer la maltraitance.
« Nous connaissons toutes les pathologies susceptibles de ressembler à la maltraitance, et les erreurs de diagnostic peuvent se produire », a déclaré Haney, qui a également dit que la maltraitance devait être diagnostiquée par une équipe multidisciplinaire, et pas seulement par le pédiatre de la maltraitance qui devait également prendre connaissance de l'intégralité du dossier médical et interroger directement les parents.
Mais Jordan Abramowitz, un avocat du sud de la Floride, dit que cela n'arrive pas toujours.
« La manière dont ces dossiers commencent est biaisée », a déclaré Abramowitz. L'an dernier, il a commencé à représenter une jeune famille du sud de la Floride déchirée après que le pédiatre de l'État a conclu que c'était des violences qui avaient causé 22 fractures et ecchymoses sur leur petite fille de 7 semaines.
Nydia Ortiz est la grand-mère du bébé. « Je n'arrêtais pas de penser que c'était une erreur, qu'ils allaient revenir en arrière. Ce n'est pas juste », nous a-t-elle dit en pleurant.
Selon Abramowitz et les dossiers du tribunal, le pédiatre n'a pas examiné les dossiers médicaux du bébé avant de conclure que le bébé avait été maltraité. Abramowitz a dit que s'il l'avait fait, le médecin aurait appris que les parents du bébé avaient consulté quantité de médecins dans les semaines précédentes à cause des « ecchymoses » que leur bébé présentait, selon les dossiers médicaux que nous a fournis la famille. Un médecin avait même soupçonné que le bébé souffrait d'une maladie génétique rare qui causait des symptômes ressemblant à des bleus. Il se trouve que l'enfant et les parents souffraient bien de cette maladie génétique.
« Dans les procès criminels, vous êtes normalement innocent jusqu'à preuve du contraire, mais dans les cas de maltraitance, j'ai plutôt l'impression que vous êtes déclaré coupables et c'est à vous de prouver votre innocence, de faire les recherches médicales pour trouver le diagnostic de votre bébé », a déclaré Mme Ortiz.
Papa : « Je ne pardonnerai et n'oublierai jamais »
Environ 8 mois après le placement de Tristan Graham, l'État a abandonné sa plainte par « manque de preuves ».
« Je ne pardonnerai et n'oublierai jamais », a déclaré Jeremey Graham, dont l'accusation criminelle a également été abandonnée.
Chaque année, Vivianna envoie au pédiatre de l'État qui avait conclu à la maltraitance une carte postale. L'an dernier, le médecin a répondu :
« J'essaie autant que possible d'être minutieux et de faire les choses correctement, mais je devrais peut-être faire plus attention aux cas les moins clairs », aurait répondu le pédiatre.
Entre-temps, en mai, un juge de Miami a statué en faveur de la famille de Nydia Ortiz. Selon l'ordonnance finale du juge, « il n'y a pas eu de maltraitance. » Dans l'ordonnance, le juge a également reproché aux médecins de l'État de « ne pas avoir interrogé les parents pour évaluer leurs antécédents médicaux, une étape qui doit être faite par un médecin (et pas seulement par une infirmière) lorsque des anomalies génétiques sont probables ou possibles », a ajouté le juge.
La jeune famille a été réunie immédiatement.
En 7 mois, toutes les économies d'Ortiz ont été dépensées.
« Cela nous a coûté 130 000 $ au total », dit-elle. « Tout cela aurait pu être évité », dit-elle. Ortiz pense que les pédiatres devraient être tenus d'interroger directement les familles et de ne pas se fier aux infirmières ou aux autres membres de l'équipe. Elle croit également que ces experts doivent mener des investigations médicales plus approfondies et, dans certains cas, demander un deuxième avis médical indépendant avant qu'un enfant ne soit retiré à ses parents.
« Combien y a-t-il de cas où les parents n'ont pas l'argent ni la capacité d'obtenir les bons experts et où les parents perdent leurs enfants », se demande Abramowitz ?