
Les parents du petit Hugo, Sandrine et Frédéric, qui constituaient l’un des premiers cas de l’association, ont obtenu en juin dernier un non-lieu après une procédure judiciaire ayant duré cinq longues années. Sandrine avait publié son témoignage sur notre site, et une version étendue de son récit constitue aussi le premier chapitre de notre livre de témoignages, paru cet été. Toutes nos félicitations à eux !
Une guerre d'experts
Ce dossier a donné lieu à une multitude d’expertises, de contre-expertises, et de rapports médicaux obtenus à titre privé, aboutissant à des conclusions radicalement opposées. Les expertises privées ainsi que la dernière expertise judiciaire concluaient à une « hydrocéphalie externe » et rejetaient le diagnostic de bébé secoué. C’était pourtant ce diagnostic de maltraitance qui était formellement retenu par les autres experts judiciaires, comprenant quatre des cinq médecins auteurs des recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le syndrome du bébé secoué.
Dans sa décision, le juge d’instruction soulève des doutes sur le diagnostic de bébé secoué et suggère de considérer ce diagnostic avec précaution :
Le « syndrome du bébé secoué » constitue dans la littérature médicale un thème largement discuté et débattu et [il] appartient à l’institution judiciaire de ne pas intégrer sous ce vocable des diagnostics médicaux trouvant leurs origines dans des causes non-traumatiques. La vérité judiciaire trouve à s’exprimer à l’issue d’un cheminement long et complexe que constitue l’information judiciaire au cours de laquelle la présomption d’innocence prime au delà de toute autre considération.
Rappel des faits
Hugo, né en novembre 2013, avait fait l’objet d’un signalement en avril 2014 par l’hôpital de Strasbourg suite à la découverte d’hématomes sous-duraux bilatéraux et d’hémorragies rétiniennes diffuses, dans le cadre d’une hypertension intracrânienne. Son état de santé s’était dégradé progressivement à partir de la fin de son premier mois de vie (sommeil agité, pleurs excessifs, vomissements…). Les parents avaient consulté des médecins à neuf reprises, mais aucun n’avait su poser un diagnostic clair. Finalement, l’enfant a été hospitalisé alors qu’il avait 4 mois, et c’est au cours d’un examen d’imagerie que les hématomes sous-duraux ont été découverts. Hugo a été opéré avec succès et il s'est totalement rétabli. Il a été placé plusieurs mois en pouponnière et il en a évidemment beaucoup souffert, de même que ses parents.
Rapport médico-légal initial
Dans un premier rapport médical, le Dr Raul, médecin légiste, concluait à des secousses ayant eu lieu à deux reprises juste avant le malaise de l’enfant, mettant implicitement en cause l’assistante maternelle de Hugo. Pour lui, « aucune cause médicale ne pouvait rendre compte à la fois d’hématomes sous-duraux aigus et d’hémorragies rétiniennes associées. »
L’enquête ne révélait cependant rien d’anormal concernant l’assistante maternelle, et elle avait de bons avis de la part des parents des enfants qu’elle gardait, y compris de la part des parents de Hugo. Comme ces derniers défendaient leur assistante maternelle qui était initialement soupçonnée, ce sont eux qui ont été poursuivis.
Premier rapport privé
Les parents de Hugo doutaient fortement du diagnostic de secouement. Ils ont donc recherché des médecins acceptant de relire le dossier médical. En juillet 2014, les parents ont contacté le Pr Marescaux, neurologue au CHU de Strasbourg. Pour lui, Hugo avait montré des signes d’hypertension intracrânienne dès ses premiers mois de vie. Ce diagnostic aurait dû être porté dès le deuxième mois de vie. Neuf consultations médicales ont eu lieu entre décembre 2013 et mars 2014, et l’hypertension intracrânienne n’a jamais été diagnostiquée au cours de ces consultations.
Pour le Pr Marescaux, les hématomes sous-duraux et les hémorragies rétiniennes étaient des complications de l’hypertension intracrânienne qui auraient pu être évités si une prise en charge adaptée avait eu lieu plus tôt. L’association de ces deux signes, en présence d’une macrocrânie et d’une hypertension intracrânienne, était pour lui incompatible avec un syndrome du bébé secoué :
Selon le Pr Marescaux, Hugo et ses parents avaient été victimes d’une cascade de négligences médicales ayant abouti à une réelle perte de chance. Face à cette situation, accabler les parents avec un diagnostic erroné de maltraitance était incohérent et injustifiable, tant sur le plan des connaissances médicales, que sur le plan de l’éthique médicale.
Hugo a été placé par mesure de précaution jusqu’en août 2014. Le placement a été levé lorsqu’aucun danger n’a été constaté chez les parents, et du fait que « Hugo souffrait du placement en collectivité. »
Deuxième expertise judiciaire
Une deuxième expertise judiciaire, rédigée par le Dr Laurent-Vannier, était rendue en octobre 2014. Cette dernière retenait formellement le diagnostic de secouement en présence d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes. Pour elle, les secousses avaient été répétées au cours des premiers mois de vie de Hugo, car la courbe du périmètre crânien présentait une « cassure » (augmentation trop rapide du périmètre crânien) dès la fin du premier mois de vie. Pour elle, cela signifiait le début des secouements. Par ailleurs, la cassure s’accentuait au cours du troisième mois de vie, prouvant que les secouements avaient été de plus en plus répétés à partir de ce moment-là.
Pour elle, il n’y avait pas nécessairement eu de secouements le 31 mars chez l’assistante maternelle. Ainsi, les parents étaient mis en cause par cette expertise. Par ailleurs, elle déclarait ne pas être d’accord avec le Pr Marescaux, « qui ne s’est pas référé aux recommandations de la Haute Autorité de Santé » sur le syndrome du bébé secoué, selon lesquelles le diagnostic de secouement est « certain » en présence d’hématomes sous-duraux multifocaux et d’hémorragies rétiniennes diffuses.
Troisième expertise judiciaire
Devant le juge d’instruction, les parents « contestaient tous deux avoir commis un acte de violence à l’encontre de leur fils, y compris par secouement. Ils étaient persuadés que l’enfant n’avait pas été secoué, mais qu’il avait souffert d’un problème médical, s’appuyant sur l’analyse du Pr Marescaux. » Ils ont été placés en témoins assistés.
Une contre-expertise était réalisée en septembre 2015 par le Pr Adamsbaum et le Dr Rey-Salmon. Pour elles, l’association d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes bilatérales et profuses étaient très en faveur du syndrome du bébé secoué selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé :
Aucune autre cause ne permet d’expliquer les symptômes présentés par l’enfant et les lésions mises en évidence à l’imagerie et au fond d’œil. (…) En l’état actuel des connaissances, aucune autre explication ne peut être proposée. (…) La présence d’espaces larges pré-existants (dans le cadre d’une macrocrânie) ne peut expliquer la présence des caillots au sommet, ni d’hémorragies rétiniennes profuses.
Cette expertise retenait deux épisodes de secouements distants d’au moins une dizaine de jours. Suite à cette expertise, les parents étaient mis en examen, mais ils « persistaient néanmoins à contester les faits, évoquant une cause médicale. »
Deuxième expertise privée
Les parents sollicitaient en 2015 une nouvelle expertise privée auprès de médecins de Montpellier. Ces derniers étaient du même avis que le Pr Marescaux :
La maltraitance n’est pas la cause unique de saignements endocrâniens d’âges différents, y compris associés à des hémorragies rétiniennes. L’histoire de Hugo n’évoque pas en première intention l’hypothèse d’un syndrome du bébé secoué en raison des atypies cliniques et neuroradiologiques préalablement signalées et qu’il convenait de rappeler : caractère sub-aigu de la symptomatologie qui était quasiment quotidienne dans son expression pseudodigestive, macrocrânie prgressive et constitutionnelle d ‘un tableau d’hypertension intracrânienne sub-aigu. (…) L’hypothèse la plus plausible est celle d’une hydrocéphalie communicante d’installation anténatale responsable d’hémorragies répétées par rupture des veines sino-duro-mérienne L’évolution de l’enfant, absence de séquelle neuro-ophtalmologique apparente, n’est pas celle habituellement rencontrée dans le cadre du syndrome du bébé secoué. L’approche raisonnée, critique de la littérature internationale permet de cautionner cette hypothèse dans les tentatives d’explication des hématomes sous-duraux spontanées de l’enfant.
Quatrième expertise judiciaire
Finalement, une nouvelle expertise judiciaire était confiée au Dr Mselati, pédiatre expert auprès de la Cour de Cassation. Il s’agissait dans ce dossier du premier expert judiciaire indépendant de la rédaction des recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le syndrome du bébé secoué. Dans son rapport rendu en avril 2018, il écrivait :
L’analyse rétrospective du parcours évolutif clinique de l’enfant depuis la naissance et des dossiers médicaux d’hospitalisation puis de suivi permettent d’exclure le diagnostic de bébé secoué dans le cadre de secousses volontaires, violentes et répétées. Il n’y avait par ailleurs aucun signe d’impact crânien pouvant témoigner d’un choc direct. L’analyse du dossier de Hugo correspond de manière cohérente à une « hydrocéphalie externe » (collection hydrique sous-arachnoïdienne) importante, active, sous tension pathologique constitutionnelle liée à un défaut transition de résorption périphérique du liquide céphalo-rachidien, compliquée d’un hydrome (par brèche arachnoïdienne) et d’une hémorragie (par étirement et déchirure de veines-pont) de localisation sous-durale, de survenue spontanée (ou tout au plus provoqués par un traumatisme minime comme un mouvement un peu vif de la tête).
Ce médecin a par ailleurs ouvertement critiqué les excès des recommandations de la Haute Autorité de Santé, et dénoncé de nombreuses erreurs diagnostiques, surtout dans les cas d’enfants atteints d’hydrocéphalie externe.
Non-lieu
Suite à cette dernière expertise, et au vu de l’absence du moindre élément inquiétant chez les parents retrouvé au cours des enquêtes, le juge d’instruction a prononcé un non-lieu en juin 2019 :
A l’issue de l’information judiciaire, aucun élément à charge n’a été relevé à l’encontre [des parents]. Les éléments à décharge figurent dans le rapport du Dr Mselati, dernier expert commis. Celui-ci relève « une amélioration rapide et spectaculaire de l’état clinique de l’enfant après évacuation du liquide et levée de l’hypertension intracrânienne, montrant qu’il s’agissait bien d’un phénomène purement hydrostatique et non d’un traumatisme encéphalique.
Force est de constater que ce dossier concentre un concours d’expertises médicales, ordonnées tant par l’institution judiciaire qu’établies par initiative privée ; que le « syndrome du bébé secoué » constitue dans la littérature médicale un thème largement discuté et débattu et qu’il appartient à l’institution judiciaire de ne pas intégrer sous ce vocable des diagnostics médicaux trouvant leurs origines dans des causes non-traumatiques.
La vérité judiciaire trouve à s’exprimer à l’issue d’un cheminement long et complexe que constitue l’information judiciaire au cours de laquelle la présomption d’innocence prime au delà de toute autre considération. L’information judiciaire permet d’exclure tout acte de violence perpétrée sur l’enfant […] par ses parents […] et non lieu devra être ordonné à leur bénéfice.
Un cas emblématique de la confusion entre hydrocéphalie externe et « bébé secoué »
Le cas de Hugo est emblématique des erreurs de diagnostics dans les cas où les enfants souffrent d’une hydrocéphalie externe. Ces cas sont, de très loin, les plus courants dans l’association : il y a des centaines de Hugo en France. Tous ces cas ne font d’ailleurs pas l’objet d’un non-lieu, et on ne peut qu’espérer que de plus en plus de juges considèrent avec la plus grande prudence les expertises concluant à un « secouement certain » sur la base de critères trop simplistes.
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé ne considèrent pas l’hydrocéphalie externe comme une cause valable d’hématomes sous-duraux et d’hémorragies rétiniennes chez le nourrisson, ce qui va pourtant à l’encontre d’une très riche littérature scientifique internationale en neurologie pédiatrique. Cette erreur aurait peut-être été évitée s’il y avait eu des neurologues pédiatriques parmi les auteurs de ces recommandations, surtout sachant qu’il s’agit justement d’un sujet de neurologie pédiatrique.
Comme le montre le témoignage de Sandrine dans notre livre, cette procédure judiciaire, qui a entraîné le placement injustifié de Hugo en pouponnière, a été dévastateur pour leur famille. Suite aux innombrables tensions causées par les accusations, les parents de Hugo ont fini par se séparer, comme de nombreux couples vivant ce cauchemar. En attendant que la médecine et la justice française évoluent favorablement sur cette question, à l’instar de ce juge d’instruction, combien de familles auront été détruites inutilement, combien d'enfants resteront traumatisés à vie de leur séparation injuste avec leurs parents pendant une période si cruciale de leur développement ?