Michel Amas, avocat au barreau de Marseille, défend un certain nombre de parents dont les enfants ont été placés injustement, par exemple suite à des erreurs diagnostiques. Il a publié en septembre dernier sur son site quelques propositions de réforme du système de protection de l'enfance.
Un placement souvent injustifié et destructeur
Il retrace brièvement l'origine du système de protection de l'enfance : « un droit dérogatoire du droit commun a été mis en œuvre basé sur l’impératif de protéger les enfants, qui prime sur toutes règles autres. » Ainsi, « une présomption de culpabilité pèse immédiatement sur les parents », qui n'ont plus aucun droit. Selon l'avocat, les parents ont même « moins de droits que les assassins. »
Très souvent, « le lien parental est (...) tout simplement brisé », la « cellule enfant/parent est tout simplement détruite ». C'est pire que cela : c'est tout l'environnement de l'enfance qui s'écroule autour de lui :
Rupture avec l’intégralité de sa famille grands-parents paternels et maternels, qui n’ont désormais plus la possibilité de voir les enfants, rupture avec les oncles et tantes, rupture avec les cousins, les cousines, rupture avec l’intégralité des amis des parents, avec ses amis à lui. Plus personne n’a le droit d’avoir de contacts avec les enfants placés et ce dès le début de la mesure. (...) Pour prolonger la rupture totale de l’enfant, il est mis en général un terme à l’intégralité des activités extrascolaires de l’enfant, le sport, le judo, le football, le tennis, mais également la danse, les échecs, la musique, les scouts, l’église, la synagogue, ou le temple. L’enfant ne va plus voir ses propres amis. L’enfant est tout simplement déraciné.
Il existe bien sûr des cas extrêmes où l'environnement de l'enfant est si dysfonctionnel qu'un tel déracinement peut être justifié. Mais qu'en est-il des autres cas ?
Pour Me Amas, le problème vient du flou entourant la notion de « danger ». Parfois, en présence d'un conflit intra-familial de quelque type que ce soit, c'est le placement qui prime au détriment d'un soutien social qui aurait pu être apporté aux familles.
Le placement qui devait rester l’exception pour les cas graves, va être étendu de manière systématique, à la suite même d’une démarche volontaire des parents, qui viennent demander de l’aide aux services sociaux. (...) Dans la plupart de ces situations le placement ne se justifie pas, il va générer des dégâts beaucoup plus important que ceux que l’on tente de stopper, mais surtout qui seront irréversibles. Par extension, alors qu’il n’existe pas de conflit parental cela peut s’appliquer à des situations d’enfants malades.
Des conditions de placement indignes
Les conditions du placement sont souvent aussi destructrices : les fratries sont détruites, les enfants sont éloignés physiquement de leur environnement.
Lorsque le placement va concerner une fratrie, la plupart du temps les enfants ne sont pas placés dans le même lieu, ni dans le même type d’hébergement. Il est très courant que certains enfants soient placés en famille d’accueil, que d’autres soient dans d’autres familles et que d’autres encore soient placés en foyer et souvent dans des foyers différents. Ceci va générer une rupture totale du lien de la fratrie, mais également un ressenti de souffrance exacerbée pour les enfants, pour les parents. (...) Ainsi, il n’est pas rare que les enfants soient placés dans d’autres régions que celle où habitent les parents. Un enfant de Paris pourra être placé à Montluçon et être séparé de son frère ou de sa sœur, dans un autre établissement de cette même ville. Ainsi sans que l’enfant n’ait aucun lien, ni avec le lieu, ni avec un parent, ni avec son passé avant le placement, celui-ci peut être placé à plus de 300 km du lieu où sont ses habitudes, sa famille, ses amis, l’intégralité des gens qui l’aiment et qu’il aime. (...) Les séquelles des placements vont être irréversibles pour les enfants, pour les parents, pour les familles, grands-parents et le tissu familial.
On reprochera alors aux parents les difficultés qu'ils rencontrent à traverser des centaines de kilomètres pour voir leur enfant pendant les visites médiatisées.
Le système consistant à briser le lien parent / enfant paraît violent, injuste, barbare, relever de la médecine psychiatrique du 18ème siècle. Mais surtout cela est générateur de préjudices, de dégâts très importants pour l’enfant, pour tous. L’enfance c’est bref, 4 ans de placement et c’est la fin de l’enfance. Le droit de visite médiatisée mensuel, ne doit plus être que l’exception et non le principe et la mise en œuvre de l’hébergement des parents le week-end la règle. Il faut sortir de la théorie de la terre brûlée, de la table rase concernant les enfants de couples en conflit ou les enfants de couples ayant des difficultés, ou les enfants de couples ayant affaire à la maladie et de ne garder cette mesure, que pour les parents violents et dont la violence a été constatée judiciairement. En ce qui concerne les violences, si certaines sont avérées (ecchymoses, hématomes, blessures, fractures, viol), certaines autres ne sont jamais mises en évidence, car n’ont jamais existé et génèrent cependant un placement sur des faits n’ayant jamais existé. Il peut y avoir 3, 4, 5 ans sans aucune solution pénale et c’est la fin de l’enfance, alors que les faits n’ont jamais été établis. Ceci ne peut plus être acceptable dans aucun cas.
Un système trop lent
La lenteur du système est également destructrice pour les parents et les enfants :
Les placements en général sont faits pour une première période de six mois, renouvelé six mois, puis de six mois en six mois ou d’année en année. La durée même du placement initial a dès lors l’effet inverse de celui escompté, puisqu'il coupe tout lien avec la famille naturelle, ce lien devra être reconstruit... il faudra du temps. N’oublions pas que l’objectif doit toujours rester celui de réimplanter l’enfant dans sa famille. L’effet pervers du système et que la durée excessive du placement initial a pour conséquence de générer la situation contre laquelle cette loi est censée lutter, c’est-à-dire la souffrance de l’enfant. Elle va engendrer une opposition des parents liée à la souffrance immense qu’ils subissent, que leurs familles subissent, que leur tissu amical subit. Le placement est un déchirement qui ne concerne jamais que les parents, il détruit tout le système familial et amical.
Le placement, source de dangers pour l'enfant
Le placement en lui-même peut être très dangereux pour l'enfant, puisqu'il peut arriver que l'on place ensemble des mineurs délinquants placés pour des raisons pénales, et des enfants placés pour être protégés de supposées violences dans leur environnement. Certains enfants, qui étaient en parfaite sécurité dans leurs familles, sont ainsi arrachés injustement à leurs parents et placés en foyer aux côtés de mineurs violents et d'agresseurs sexuels :
Les agressions sexuelles sont malheureusement monnaie courante. Ce problème est tout à fait différemment envisagé par les magistrats et les services compétents. (...) Quel que soit le motif du placement, l’État par extension les services sociaux, et par définition le juge pour enfants sont responsables de la sécurité de l’enfant placé. (...) L’État qui est gardien des enfants placés, n’est que très rarement condamné, et souvent compte-tenu de l’âge du mineur qui agresse, les poursuites sont rares, et ne génèrent jamais un arrêt du placement.
La volonté de l'enfant non prise en compte
La volonté de l'enfant placé abusivement est rarement prise en compte :
Il apparaît que dans ces cas de conflit parental prégnant, ou d’enfants malades, très souvent les enfants demandent que cesse le placement. Ils demandent même un avocat de l’enfant aux fins de pouvoir faire entendre leur parole, par laquelle ils supplient leur retour dans leur famille. Il n’est pas rare de voir à l’audience les enfants pleurer, supplier, demander à leurs parents que leur calvaire cesse, sans que cette phrase ne soit en aucun cas prise en compte par les divers intervenants. (...) La voix de l’enfant n’est pas entendue la plupart du temps. Sa voix n’existe pas dans la réalité des faits.
Des parents démunis
Les parents n'ont aucun moyen de se défendre et de contester le placement :
Ce qui est surprenant, ce qui est tout compte fait incroyable, et ce qui est la réalité de notre droit français, c’est que dans les faits, les parents n’ont aucun moyen juridique de faire valoir leurs droits, de se défendre ils sont muet juridiquement parlant. (...) Les parents d’enfants placés sont sans aucune arme juridique, non seulement pour se défendre mais pour faire évoluer les mesures dont ils font l’objet. Ainsi ils sont comme une barque dans une tempête, sans voile, sans moteur, sans rame, au gré des vents. Ils n’ont aucun pouvoir d’orienter de quelque manière que ce soit les procédures. Ils sont totalement désarmés en termes de moyens juridiques.
En ce qui concerne la protection de l’enfance en danger, les parents ont moins de droits qu’un terroriste ou un violeur. En fait, ils n’en ont pas moins, ils n’en ont aucun. La seule chose que peuvent faire les parents, c’est faire appel de la décision qui a placé leurs enfants ou renouvelé son placement. Il faut ici savoir que l’appel dans la plupart des cours d’appel sera audiencé plus de six mois plus tard. Les mesures étant renouvelées en général de six mois en six mois, l’appel n’a aucun effet. L’appel de ce fait n’existe pas en matière de protection de l’enfance en danger. Mais surtout et c’est ce qui est totalement injuste, disproportionné et violent, les parents ne peuvent présenter aucune demande aux magistrats. (...)
La plupart du temps, [les magistrats] ne répondent pas et rien ne se passe, si ce n’est une ou deux audience par an. Le sort de l’enfant est décidé en quelques dizaines de minutes, sans que les parents ne puissent demander quoi que ce soit pendant tout le long de la procédure, sans que les parents ne puissent même la plupart du temps solliciter d’expertise, pour mettre un terme aux accusations qui sont faites à leur encontre, de violence, de maltraitance, d’instabilité mentale, sans que les parents ne puissent collaborer par leurs demandes à l’évolution du dossier. (...) Il y a une inégalité totale dans les moyens qui sont ceux de l’État et ceux des parents.
Au contraire, un délinquant ou un criminel qui est mis en examen a beaucoup plus de droits :
Il peut solliciter par requête déposée au juge, la possibilité d’être entendu, d’être confronté, qu’ait lieu une reconstitution, que soit désigné un expert en médecine légale, un expert psychiatre pour les rencontrer ou pour rencontrer son accusateur, un expert psychologue (...). On peut surtout demander à ce qu’il soit mis fin à la détention, par la libération conditionnelle du prévenu. Ses demandes peuvent être formulée à tous moments de la procédure, le magistrat a un délai bref pour répondre on peut relever appel de la décision et l’appel doit être jugé à bref délais. (...) Il y a une égalité des armes entre celles de l’État chargé de protéger la société et celles du mis en examen et de son avocat. C’est ce qui fait l’honneur de notre système, mais également c’est ce qui est un rempart à l’injustice.
Un rapport des services sociaux peu accessible
En pratique, les placements durent des années. Ils sont reconduits tous les six mois ou tous les ans. Le seul élément nouveau à chaque audience, c'est le rapport des services sociaux. Pour Me Amas, « il est tout de même surprenant que la partie qu’il a le plus d’informations dans le dossier, la seule qui a travaillé, dans le dossier soit également celle qui demande la sanction. »
Dans la réalité, dans plus de 90 % des cas, ce rapport n’est adressé qu’au magistrat la veille de l’audience. Il n’est jamais adressé aux parties. (...) Il est tout de même étrange que tout le monde puisse travailler dans un dossier pendant six mois, voire un an et que le seul document de travail qui constitue le dossier ne soit pas communiqué aux parties. Ce qui rend impossible matériellement la possibilité de répliquer par écrit, de fournir des certificats, des attestations, de critiquer certains points. (...) En France aujourd'hui, il n’est pas possible matériellement d’exercer une défense dans les dossiers d’enfants placés, à raison du fait que les parties ne sont pas destinataires du rapport. C’est un peu comme s’il fallait construire une maison juste avec le papier peint, mais sans les murs. Il n’y a dans cette matière aucun respect du principe du contradictoire les services sociaux étant seul omnipotent.
Quelles propositions ?
Quelles propositions pour réformer ce système qui fait des ravages ? Me Amas propose quelques pistes de réflexions.
- Il propose d'abord d'obliger les services sociaux à remettre leur rapport un mois avant les audiences.
- Il propose également de diviser le rôle des juges pour enfants en deux :
- le juge des mineurs : il s'occuperait des mineurs délinquants
- le magistrat de la protection de l'enfance : il s'occuperait des enfants « en danger »
Aujourd'hui, le juge pour enfant doit traiter simultanément les deux types de dossiers, qui sont pourtant très différents.
- Donner la priorité au placement de l'enfant dans l'environnement (famille plus ou moins proche : grands-parents, oncles, tantes). C'est très rarement le cas aujourd'hui.
- Mettre fin au huis clos des audiences, source de graves dérives. « Cette procédure reste confinée dans le secret des bureaux des juges pour enfants. Il y règne une violence terrible, mais discrète. » L'avocat propose d'autoriser la présence d'un défenseur des droits ou d'un médiateur indépendant.