Le téléfilm Jamais sans toi, Louna, inspiré de l'histoire vraie de Yoan et Sabrina Bombarde et diffusé lundi soir sur TF1, a réuni environ 3.6 millions de téléspectateurs. C'est autant de Français qui seront désormais sensibilisés à la problématique des fausses accusations médicales de maltraitance. Ce problème, loin d'être anecdotique, concerne des milliers de parents dont beaucoup font partie de notre association. Notre livre de témoignages, paru cet été, en comporte quinze terriblement poignants, quinze parmi tant d'autres.
Le film montre de manière résumée mais relativement exhaustive, le déroulé des procédures dans ces situations.
Le signalement par « principe de précaution »
Tout commence avec un bébé emmené aux urgences pédiatriques par des parents très inquiets. Dans le cas de Louna, il s'agissait d’œdèmes, qui pouvaient ressembler à des hématomes, apparaissant spontanément sur la peau sans explication apparente. Devant ces traces suspectes, le corps médical pense immédiatement à la possibilité de violences et à la nécessité de procéder à un signalement aux autorités.
Pourtant, dès ce moment, les parents font savoir aux médecins que la mère est atteinte d'une maladie héréditaire rare, l'angioœdème héréditaire de type 1, qui peut justement provoquer des œdèmes spontanés comme ceux de Louna. Dans le film, un professeur en médecine est persuadé qu'il ne peut pas s'agir de cette maladie, sachant qu'aucun cas similaire chez un enfant aussi jeune n'a été répertorié dans la littérature médicale. Il refuse de faire les examens nécessaires et effectue immédiatement un signalement au Procureur de la République.
Les choses ne se passent pas différemment en réalité : la plupart des médecins restent focalisés sur la suspicion de maltraitance et négligent les autres pistes médicales, jugées à tort « trop rares » ou « impossibles ». L'argument consistant à rejeter une explication parce que « un tel cas n'a jamais été publié » est absurde, puisque cela revient à dire que la médecine sait tout ! Il y a plusieurs cas similaires dans l'association : les parents sont innocentés après des années de combat, mais ces « diagnostics impossibles » ne sont pas publiés et les mêmes erreurs se reproduisent donc indéfiniment.
Dans l'histoire de Louna, le diagnostic probable était déjà connu de par la maladie de la mère, mais les médecins ont délibérément refusé d'explorer cette piste. L'engrenage infernal se met alors en place à partir du signalement envoyé par l'hôpital.
Le piège des interrogatoires
Suite au signalement, les parents sont arrêtés par la police et Louna est confiée à l'Aide Sociale à l'Enfance. Le film montre brièvement quelques séquences classiques. Par exemple, un enquêteur incite le père a dire qu'il fait parfois « l'avion » avec son bébé pour jouer, comme tous les pères. Le père acquiesce, et l'enquêteur le culpabilise immédiatement : un tel jeu serait dangereux et aurait pu blesser sérieusement l'enfant. De telles séquences peuvent, une fois retranscrites, être prises comme des « aveux ».
Autre exemple, lorsque vient le moment de signer le procès verbal de l'audition, le père proteste : il n'a pas dit qu'il était rentré « énervé », mais qu'il était rentré « fatigué ». Les policiers refusent de changer le mot, mais le père insiste. Il a raison : dans notre expérience, chaque mot compte et pourra être utilisé à charge au cours des procédures judiciaires !
De même, tout trait de caractère permet de prouver la culpabilité : perdre ses nerfs prouve que l'on a pu être violent avec son enfant. Au contraire, être trop calme est suspect. Clamer son innocence est une preuve de culpabilité. Être toujours dans l'action pour retrouver son enfant prouve que l'on a quelque chose à se reprocher, mais être trop passif signifie que l'on accepte les accusations.
Des intervenants prisonniers de leurs émotions
Les parents vivent un véritable enfer au cours des interrogatoires, les enquêteurs étant persuadés d'être en face de monstres brutalisant leurs enfants. Mais la fin du film apporte un autre éclairage : ces mêmes policiers sortaient d'une affaire où un enfant n'avait pas été sauvé à temps et avait fini par être tué par ses parents. Cette tragédie avait affecté leur jugement et ne leur avait pas permis d'être neutres en face des parents de Louna.
C'est le drame de ces affaires : tous les intervenants sont des êtres humains invariablement éprouvés par la charge émotionnelle associée à la maltraitance infantile. Cela peut obscurcir leur jugement et la manière dont ils traitent ces dossiers. Par ailleurs, il est facile de vouloir pêcher par excès de zèle plutôt que par défaut de prudence, les ravages qu'ont les fausses accusations de maltraitance sur les enfants et leurs parents étant encore tabous. Ce film est justement un pas dans la bonne direction.
L'impossible retour en arrière
Lors de l'hospitalisation de Louna, une infirmière demande d'effectuer une prise de sang pour déterminer si l'enfant est atteinte de la même maladie que sa mère. Le professeur en médecine refuse, étant persuadé qu'il ne s'agit pas de cela. Plus tard, l'infirmière refusera catégoriquement de témoigner en faveur des parents et à l'encontre du chef de service, de crainte de perdre son travail (elle changera finalement d'avis à la toute fin du film, renversant le déroulé du procès).
Cette omerta correspond aussi à la réalité : dans notre expérience, les médecins et autres professionnels de santé refusent quasi-systématiquement de témoigner lorsqu'il s'agit d'apporter des éléments allant à l'encontre du diagnostic de maltraitance. L'erreur d'un seul médecin, surtout lorsqu'il s'agit d'un médecin réputé et influent, est extrêmement difficile à faire reconnaître par le corps médical, et encore moins par le médecin lui-même. Pourtant, en principe, ce sont justement les professionnels de santé qui sont habilités à apporter ces éléments à la justice.
L'infirmière acceptera néanmoins finalement d'effectuer cette prise de sang de manière non officielle. Pourtant, même après que la prise de sang démontre que Louna était bien atteinte de la même maladie génétique que sa mère, les parents s'entendront dire que « cela ne démontre pas leur innocence ». Un enfant malade peut très bien aussi être maltraité !
Dans notre expérience, ce raisonnement absurde est très courant. Si même un test génétique ne permet pas de démontrer l'innocence, quel élément factuel le peut ? Le principe fondamental de la présomption d'innocence et de la charge de la preuve (c'est à l'accusation de démontrer les faits, et non à la défense de démontrer que des actes présumés n'ont jamais eu lieu), les Droits de l'Homme, sont bafoués de manière routinière dans ces dossiers.
De même, on apprend dans le film que Louna présentait aussi des œdèmes pendant le placement, ce qui aurait dû démontrer l'innocence des parents. Pourtant, ces œdèmes ont été cachés, et même lorsque Louna devait être hospitalisée pendant le placement à cause de ces œdèmes, cela ne suffisait pas à faire revenir la machine infernale en arrière. La famille d'accueil n'a bien sûr jamais été soupçonnée de maltraitance : deux poids, deux mesures !
On retrouve ces situations fréquemment dans l'association : des hématomes inexpliqués, le signalement, le placement, et de nouveaux hématomes qui réapparaissent pendant le placement. Même lorsque ces éléments sont apportés à la justice, cela ne suffit pas.
Pire, il faut imaginer le désarroi des parents de savoir que leur enfant est atteint d'une maladie pouvant être grave, mais qu'il n'est ni diagnostiqué, ni soigné. Ce retard diagnostique peut mettre en danger la vie de l'enfant. Où est le « principe de précaution » dans ce cas ?
Des ravages irrémédiables
Le film insiste sur les ravages que causent les fausses accusations de maltraitance sur les parents, les procédures judiciaires, et avant tout, le placement injustifié de leurs enfants.
On voit les tensions au sein du couple. À un moment, la mère doit choisir entre son conjoint et son enfant pour pouvoir retrouver la garde de Louna. Dans notre expérience, ce choix cornélien est très souvent imposé aux parents. Certains résistent, mais pendant un temps seulement. La plupart des couples ne résistent pas à la tornade du placement et des procédures judiciaires et les familles sont détruites à jamais. Le placement de l'enfant exerce une pression colossale sur le couple. Il peut pousser l'un des parents à produire de faux aveux pour tenter d'abréger l'attente interminable du retour de l'enfant, et essayer de le faire revenir au moins auprès de l'autre parent. A l'inverse, une atmosphère délétère de suspicion infondée peut être créée irrémédiablement au sein du couple.
Dans le film, les parents de Louna sont la cible d'insultes de la part du voisinage, qui les croit coupables. Tous les deux perdent leur emploi. En réalité, quasiment tous les parents, surtout ceux vivant dans des villages, subissent ce calvaire. Beaucoup doivent même déménager.
L'enfer du placement
Le film montre brièvement la manière dont se passent les « visites médiatisées ». Les parents n'ont droit à des visites que de quelques heures, parfois seulement quelques minutes, avec leurs propres enfants. Durant ces visites, tous leurs faits et gestes sont scrutés par les services sociaux. Chaque mot de travers peut être consigné et réutilisé à charge au cours des procédures. Ils ont interdiction de chuchoter à l'oreille de leur enfant. De même, on reproche aux parents de promettre à leur enfant qu'il rentrera bientôt à la maison.
Dans le film, durant une visite, les parents découvrent que l'assistante familiale a pris la liberté de percer les oreilles de Louna pour lui mettre des boucles d'oreille. La mère est interloquée mais se garde de se plaindre, de crainte des représailles. En revanche, le père ne résiste pas. On leur dit alors qu'ils n'ont plus aucun droit sur leur fille et qu'une telle décision ne leur revient pas. La visite est alors immédiatement abrégée.
La médiatisation comme dernier recours
À la toute fin du film, après leur relaxe, les parents ne récupèrent toujours pas leur fille. Au fond du trou, désespérés, ils prennent alors la décision radicale d'enlever de force leur propre enfant, tout en diffusant la scène sur les réseaux sociaux et en prévenant les médias régionaux. Une fois cernés par la police, ils sortent tranquillement sous les caméras des nombreux médias présents. La police n'intervient pas, sans doute pour éviter de donner une mauvaise image.
Cette scène fictive illustre d'une certaine manière le poids que peut avoir la médiatisation sur la justice, dans certaines situations désespérées dans lesquelles les éléments démontrent tous la bonne foi des parents. Ce n'est parfois qu'au prix d'un douloureux rapport de force que les familles sortent victorieuses, mais épuisées, de leur combat.
Fiction ou réalité ?
N'oublions pas que Jamais sans toi, Louna est une fiction librement inspirée de faits réels. Il serait trompeur de ne voir dans cette histoire qu'un énième fait divers, alors qu'elle révèle en réalité un véritable phénomène de société. Ainsi, le texte suivant apparaît juste avant le générique de fin :
Chaque année, en France, les services de protection de l'enfance sauvent des milliers d'enfants. Le cas de Louna reste unique.
On perçoit dans cette « mise au point » comme une volonté de se rassurer. Ce réflexe, malheureusement classique, est l'une des raisons du tabou qui entoure les diagnostics erronés de maltraitance. Il explique en partie l'absence totale de contrôle des professionnels du secteur, et l'ampleur du phénomène, très loin d'être marginal. Les services de protection de l'enfance sauvent bien des milliers d'enfants, mais au prix d'un nombre très conséquent de dommages collatéraux, des familles détruites par des fausses accusations médicales de maltraitance.
Le cas de Louna a certes ses particularités, mais des histoires similaires arrivent tous les jours en France. Notre association regroupe aujourd'hui plus de 300 familles accusées à tort de maltraitance suite à un faux diagnostic médical. Nous recevons de nouveaux messages chaque jour.
Il y a les enfants atteints de maladies rares, parfois très rares, mais il y a aussi des pathologies beaucoup moins rares pourtant totalement méconnues du corps médical français, comme l'hydrocéphalie externe, le syndrome d'Ehlers-Danlos... Il y a les enfants victimes d'accidents domestiques, comme les chutes de faible hauteur, qui subissent des lésions graves prises à tort par les médecins comme des preuves de maltraitance.
Des histoires telles que celles de Louna, il n'y en existe pas « qu'une seule », mais des milliers. On peut regretter que ce téléfilm n'ait pas pu être l'occasion de dénoncer les dysfonctionnements structurels majeurs du système de protection de l'enfance, responsables de dérives inimaginables par leur ampleur, bien au-delà du cas « unique » de Louna.
Sources :