Nous proposons la traduction d'un article sur le syndrome du bébé secoué destiné aux avocats américains spécialisés en droit de la famille. Il a été écrit par l'avocate américaine Katherine Judson, et publié le 25 mars 2015 sur le site de l'Association Américaine du Barreau. Toutes les références bibliographiques se trouvent dans l'article original, en anglais.
Le syndrome du bébé secoué (SBS), aujourd'hui plutôt appelé traumatisme crânien intentionnel (TCI), est un diagnostic effrayant, qui évoque des scènes où un parent ou une nounou en colère secoue violemment un bébé d'avant en arrière, lui causant des lésions cérébrales irréversibles. C'est une accusation de maltraitance qui est dévastatrice dans un tribunal familial.
Il est indiscutable que des enfants sont maltraités, et que des violences peuvent causer des lésions cérébrales, mais ce n'est pas ce qu'on entend généralement par le terme de SBS. Au contraire, ce terme s'applique typiquement aux cas où des hématomes sous-duraux, des hémorragies rétiniennes, et un œdème cérébral [ce que l'on appelle parfois la « triade »] sont présents, soit séparément, soit en combinaison, avec d'autres blessures ou non, avec des signes externes de traumatisme ou non.
Ce diagnostic est souvent incorrect parce qu'il n'y a pas de critère diagnostique standard, les signes médicaux sont non-spécifiques, et le mécanisme est inconnu. Il est nécessaire de demander un second avis médical et de consulter des spécialistes, surtout si l'enfant avait des antécédents médicaux et des problèmes de santé chroniques, ou si l'adulte a évoqué une autre explication comme une chute ou un accident.
Des fausses accusations de maltraitance basées sur des erreurs diagnostiques portent préjudice aux enfants de deux manières. D'abord, si le diagnostic est incorrect, cela signifie que les causes réelles des symptômes sont ignorées, conduisant à un retard diagnostique pour d'autres problèmes médicaux. Par exemple, si un trouble métabolique est pris à tort pour de la maltraitance, l'enfant ne recevra pas les soins appropriés pour sa maladie, conduisant à des lésions plus sérieuses ou une progression de la maladie.
Par ailleurs, si les accusations sont fausses, l'enfant est privé à tort d'un parent aimant ou d'une nounou (et donc, potentiellement, d'autres enfants comme des frères et sœurs, et d'autres membres de la familles). Il est donc crucial d'examiner avec rigueur les accusations de maltraitance basées exclusivement ou en grande partie sur un avis médical.
Quelles sont les lésions de l'enfant, et que signifient-elles ?
Les accusations basées uniquement ou largement sur des diagnostics médicaux posent problème parce que tout type de diagnostic peut être incorrect. Un article de 2012 paru dans le Journal de l'Association Américaine de Médecine disait que « des cas de diagnostics tardifs, ratés, ou incorrects sont fréquents, avec une incidence de l'ordre de 10% à 20% ».
Aucun critère diagnostique standardisé n'existe pour la maltraitance, et il n'existe aucun test médical objectif pour déterminer les lésions causées par la maltraitance. Les diagnostics sont donc basés sur une combinaison de signes médicaux et sur l'histoire du patient.
Les observations médicales elles-mêmes peuvent être mal identifiées. Par exemple, dans un cas bien connu, la prescription injustifiée d'un scanner avait conduit des médecins à croire qu'un bébé avait une fracture, alors qu'il n'y en avait aucune. L'histoire du patient peut être vague, et conduit souvent à des interrogations sur la véracité du récit.
Il est très courant que, dans un cas de bébé secoué, un parent emmène un enfant souffrant à l'hôpital. Les médecins trouvent des hématomes sous-duraux, des hémorragies rétiniennes, et un œdème cérébral. Le parent dit qu'il y a eu un accident, comme une chute, ou dit qu'il ne sait pas ce qu'il s'est passé. Cela pourrait être considéré comme « une histoire incompatible avec les lésions », et utilisé ensuite comme élément à charge dans les accusations de maltraitance. Des déclarations comme celles-là peuvent certainement être mensongères. Mais elles peuvent tout aussi bien être authentiques.
Maladies et autres causes non-traumatiques
Les hématomes sous-duraux, les hémorragies rétiniennes, et l’œdème cérébral souvent associés au syndrome du bébé secoué peuvent être causés par de nombreuses maladies et causes naturelles. Les causes alternatives de ces signes médicaux sont diverses et complexes. Elles incluent les malformations congénitales, les accidents vasculaires cérébraux du nourrisson, les troubles de la coagulation, les troubles métaboliques, les maladies infectieuses, les vascularites, les maladies auto-immunes, les cancers, les poisons, les intoxications, les complications des procédures médicales et chirurgicales, les traumatismes obstétricaux, les maladies génétiques.
Tandis que de nombreuses pathologies causant ces signes ont été identifiées, d'autres demeurent inconnues, et certaines sont extrêmement rares et demandent des tests complets et inhabituels, augmentant la probabilité qu'elles soient manqués lors d'un examen habituel. Dans un cas, un bébé a souffert de plusieurs épisodes d'hématomes sous-duraux et d'hémorragies rétiniennes sur une période de plusieurs années, durant laquelle la maltraitance a été recherchée et exclue. Tous les tests sanguins classiques étaient normaux, tout comme l'étaient d'autres tests plus complexes. Finalement, les chercheurs ont découvert une maladie rare en étudiant l’agrégation plaquettaire sous microscopie électronique, un test qui est rarement fait. Sans surprise, les parents dont les enfants ont des maladies inconnues ne peuvent pas dire à un médecin ou une assistante sociale « ce qu'il s'est passé ».
Accidents
La constellation de lésions associées au syndrome du bébé secoué est constatée dans des accidents de sévérité apparente extrêmement variable. Ces lésions ont des mécanismes multiples. Des lésions similaires ont été constatées lors de chutes depuis des jouets, des escaliers, des installations de jeu, des meubles. Les blessures par écrasement peuvent aussi causer des lésions similaires, comme dans un cas où un bébé a été écrasé lorsque sa mère qui le portait est tombée en avant, un nourrisson qui a été écrasé par une télévision qui lui est tombée dessus, et un bébé qui a été écrasé quand un enfant plus grand est tombé sur lui alors qu'il était au sol. Les traumatismes crâniens et les fractures peuvent survenir dans les chutes des escaliers, du berceau, des caddies, des sièges auto, des bras.
Il peut être très difficile, voire impossible, de dire si une lésion a été infligée ou causée accidentellement rien qu'en regardant les lésions. Les avocats doivent être très prudents devant des affirmations selon lesquelles certaines lésions NE PEUVENT PAS avoir été causées par un accident, surtout si un parent ou une assistante maternelle décrit exactement cela. Il est crucial d'examiner les éléments médicaux à la loupe et de consulter des experts appropriés, des médecins ou aussi des ingénieurs. Les accidents ne sont pas toujours sans gravité et la maltraitance n'est pas toujours fatale : ce n'est pas parce qu'une lésion est sérieuse qu'elle a été infligée.
Détermination de l'auteur des gestes
Il est parfois dit que certaines lésions doivent avoir été infligées avec une intention de tuer, et qu'un enfant en souffrant aurait quasiment immédiatement perdu connaissance, de telle sorte que la personne avec l'enfant au moment du malaise est toujours la personne coupable. La science et la médecine ne soutiennent pas une affirmation aussi catégorique.
L'intervalle entre une blessure et le malaise est souvent appelé « l'intervalle libre ». Lorsque les lésions médicales résultent d'une maladie et non d'un traumatisme, ce terme n'a pas de sens, parce qu'il n'y avait pas d'événement causal unique. Dans de tels cas, le début de la maladie a pu être soudain et sévère, ou il a pu évoluer au fil du temps, avec de possibles rechutes ou améliorations, culminant jusqu'à un effondrement.
Dans les cas d'accidents et de maltraitance où un traumatisme est la cause des signes neurologiques, le phénomène de l'intervalle libre est largement documenté, et les symptômes varient entre les individus. Les intervalles libres peuvent être courts ou longs. Certains patients ont des symptômes graves immédiatement, d'autres non. Certaines études montrent des intervalles de 72 heurs ou plus entre la blessure et les symptômes dans des cas assez sérieux pour causer le décès.
Même des parents préoccupés par la santé de leur enfant qui suivent de près l'apparition possible de symptômes évocateurs d'une souffrance cérébrale après une chute de leur enfant peuvent ne pas les voir. En fait, les signes et symptômes d'un traumatisme crânien peuvent être si subtils que des professionnels de santé expérimentés peuvent passer à côté. Dans un cas bien connu, un enfant blessé était sous surveillance médicale pendant 12 heures après un traumatisme crânien. Pourtant, avant son malaise, période durant laquelle elle a été examinée et soignée par des médecins, aucun d'entre eux n'a su reconnaître la gravité de sa situation. Pendant cette période, elle était décrite comme irritable et pénible, mais elle était réveillée et dans l'échange. Aucun des médecins et des infirmières n'a reconnu son grave traumatisme crânien.
Le secouement violent comme mécanisme lésionnel
Le secouement est un mécanisme peu probable pour les lésions qui lui sont souvent attribuées. Les études biomécaniques utilisant des modèles, des animaux de laboratoire, et des simulations numériques montrent toujours que le secouement violent d'un bébé par un adulte est un mécanisme peu probable pour les lésions qui lui sont souvent associées, surtout lorsqu'il n'y a pas d'autres blessures. Les recherches biomécaniques montrent aussi que, tandis que le secouement violent est forcément dangereux chez un enfant, les forces requises produiraient des lésions sérieuses et évidentes au cou et à la moelle cervicale bien avant de produire des lésions cérébrales, mais de telles lésions au cou ne sont rarement ou jamais vues. Le secouement n'est pas une cause scientifiquement reconnue d'hématomes sous-duraux, d'hémorragies rétiniennes, et d’œdème cérébral. Il est important de se rappeler que ces remarques s'appliquent dans tous les cas, que le mécanisme invoqué soit celui de secouement, d'impact, ou d'un coup à la tête, ou lorsque aucun mécanisme n'est nommé, ou simplement lorsque les lésions sont « intentionnelles » ou « non-accidentelles ».
Conclusion
Les diagnostics de bébé secoué sont complexes, sujets aux erreurs, et reposent sur des fondations fragiles. Lorsque vous faites face à un dossier de maltraitance qui repose entièrement ou largement sur un diagnostic médical, il est crucial de :
- Comprendre les fondements du diagnostic et reconnaître que les signes médicaux souvent attribués à la maltraitance peuvent avoir de nombreuses autres causes.
- Comprendre que les diagnostics médicaux de tous types peuvent être incorrects, et que les maladies et les accidents peuvent être pris à tort pour de la maltraitance.
- Reconnaître qu'il n'est en général pas possible de dire, à partir des signes médicaux seulement, si une lésion donnée est le résultat d'une maltraitance ou d'un accident ; et
- Reconnaître que les diagnostics de maltraitance basés sur des signes médicaux ambigus ou incertains nécessitent un deuxième avis médical.
Au vu de la nature complexe des accusations de secouement, de leur ambiguïté scientifique, et des dommages irréparables que les fausses accusations peuvent infliger aux familles, il est très important pour les avocats d'examiner en détail les preuves médicales dans les cas d'accusations du syndrome du bébé secoué.