Peter Yhip est un cardiologue américain. Sa femme, Edelyn Yhip, est infirmière. Pendant plus de six ans, ils ont été accusés de meurtre sur leur enfant adoptif, Benjamin, âgé de deux ans. L'enfant avait une santé extrêmement fragile depuis sa naissance. L'été dernier, toutes les charges ont été abandonnées contre eux. Ils veulent désormais agir pour empêcher que leur cauchemar ne touche d'autres familles, en faisant évoluer les mentalités sur le diagnostic du syndrome du bébé secoué. Ils étaient invités sur le plateau d'une émission de télévision américaine, Doctor Oz, le 8 avril dernier. Nous proposons la traduction d'un article d'un blog américain, animé par Sue Luttner, qui revient sur leur histoire tragique.
L'été dernier, Edelyn et Peter Yhip s'étaient préparés au pire : s'ils étaient tous les deux condamnés, qui prendrait soin de leurs enfants, Mikaela, 13 ans, et Jonathan, 9 ans ? Qu'adviendrait-il à leur maison, à toutes leurs possessions, s'ils allaient tous les deux en prison ?
Mais le 23 août 2018, après 6 ans et demi d'accusations, les Yhip ont entendu le juge leur dire qu'il abandonnait toutes les accusations contre eux, parce que l'État avait reconnu qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes leur imputant la mort en 2012 du frère jumeau de Jonathan, Benjamin.
« Nous nous sommes sentis si soulagés quand les accusations ont été levées », a déclaré Edelyn lorsque nous nous sommes rencontrées en septembre, à un tournoi d'escrime auquel Mikaela participait. « Maintenant, nous pouvons faire notre deuil de Benjamin et commencer à panser les plaies de notre famille. »
Dans une vidéo postée par l'Innocence Project de Californie du Nord (NCIP), qui a aidé à leur défense, Edelyn est revenue sur le dur retour à la réalité après la « jubilation » du jour où les charges ont été abandonnées. Bien que cela fut « génial de pouvoir tourner la page », dit-elle, « mon fils est mort, et notre famille n'est plus la même. Nos enfants souffrent encore terriblement, ils ont été seuls et terrifiés au moment où ils avaient le plus besoin de nous. »
Dans une interview de télévision cet automne, Mikaela se souvenait du jour où des officiers de police sont venus à son école une après-midi et l'ont prise, avec Jonathan, pour les emmener loin de l'ami de la famille qui devait les chercher, auprès d'une famille d'accueil qu'ils n'avaient jamais rencontrée auparavant. « Ils m'ont dit que Benjamin était mort », se souvient Mikaela. « J'étais si terrifiée... Mes parents me manquaient terriblement, surtout la nuit. » Elle avait sept ans.
Les Yhip ont finalement réussi à transférer le placement auprès d'une famille que les enfants connaissaient. Mais même après, ils ne pouvaient les voir qu'une heure et demie par semaine, et toujours en présence des services sociaux. « C'était comme si quelqu'un nous épiait tout le temps », dit Mikaela. Jonathan n'a pas eu le droit d'assister aux funérailles de son frère jumeau.
Edelyn dit qu'elle a désormais deux objectifs : s'occuper de ses enfants, et changer la manière dont les enquêtes pour meurtre d'enfants sont menées. « Je ne peux pas revenir à ma vue normale comme si rien ne s'était passé », a-t-elle déclaré, « pas après ce que mes enfants ont vécu, pas après ce que Peter et moi avons vécu. Ce cauchemar ne devrait pas arriver à une autre famille. »
Peter Yhip me dit que cette histoire a détruit sa confiance dans le système judiciaire. « Vous ne pouvez jamais imaginer que quelque chose comme cela puisse arriver à une famille parfaitement innocente », dit-il, mais il a appris le pouvoir de la communauté. Lorsque Edelyn et lui ont réalisé qu'ils étaient accusés d'avoir assassiné leur enfant, il se souvient : « Nous étions totalement abasourdis. Mais il y a tellement de personnes qui nous ont entourées, nous donnant de l'espoir. J'ai une plus grande foi en l'humanité désormais. »
Une maladie génétique en cause ?
Edelyn est une infirmière et Peter est un médecin. Ils ont remboursé leurs prêts étudiants avant de fonder une famille, a expliqué Edelyn dans une vidéo du NCIP. Mais lorsqu'ils ont découvert qu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants, ils ont adopté Mikaela en Chine en 2005, et leurs deux garçons en 2010, lorsqu'ils avaient 18 mois. « Lorsque nous sommes revenus de Taiwan avec les garçons, dit-elle rayonnante, nous sentions que notre famille était au complet. »
Mais ils ont rapidement réalisé que Benjamin avait de graves problèmes médicaux, avec des infections récurrentes et un retard de croissance qui l'ont conduit à être nourri par une sonde gastrique. À l'été 2012, Edelyn l'a trouvé en arrêt respiratoire dans sa chambre, et elle a appelé les secours.
Un journal local cite le NCIP à propos de ce qu'il s'est passé ensuite :
À l'hôpital, les examens montraient des anomalies osseuses suggérant une maladie génétique, et le neurochirurgien estimait que Ben avait souffert d'une thrombose qui avait causé son malaise, selon le NCIP. Ben a été placé sous respirateur et il a été déclaré en état de mort cérébrale. Ses organes ont été prélevés pour être transplantés.
Malgré l'histoire médicale longue et complexe de Benjamin, incluant une série d'hospitalisations à Taïwan avant qu'il ne soit adopté, le médecin légiste a déclaré que la mort était intentionnelle. Il s'est basé sur la présence d'hémorragies sous-durales et rétiniennes, qui sont deux éléments de la « triade », un ensemble de signes à l'intérieur de la boîte crânienne d'un enfant qui sont généralement attribués au « traumatisme crânien intentionnel », aussi connu sous le nom de « syndrome du bébé secoué ».
Pendant que leurs enfants étaient placés, perdus et terrifiés, Edelyn Yhip a été arrêtée chez elle, et le Dr Yhip a été arrêté à sa clinique, menotté devant ses patients en salle d'attente.
Un long combat qui a payé
Les amis des Yhip et leur famille les ont soutenus, mettant en place un site Internet et levant des fonds pour leur défense. Plusieurs familles ont vendu leur maison pour que Edelyn et Peter puissent sortir de prison en attendant leur procès. La famille a été réunie un an après les accusations, lorsque le tribunal a trouvé « des preuves substantielles » que Benjamin était mort de complications médicales, et non de violences volontaires. Pourtant, l'État a poursuivi les charges criminelles encore quatre ans, alors que le NCIP soumettait de plus en plus d'éléments médicaux soutenant l'innocence de la famille, ainsi que des décisions de justice d'autres cas de « bébés secoués », et le livre de 2018 « Le manque de fiabilité médico-légale du syndrome du bébé secoué ».
Nous avons eu beaucoup de héros qui nous ont aidé, dit l'avocate du NCIP Paige Kanel, qui a suivi ce dossier pendant toutes ces années, dans un e-mail annonçant la décision d'abandonner les poursuites. « C'est un grand jour que l'on attendait depuis longtemps. Les Yhip ont pu enfin dire à leur fille de 13 ans que tout était enfin terminé. »
Le cauchemar est terminé, mais les Yhip n'oublieront jamais leur cauchemar. Edelyn et Peter disent qu'ils espèrent que leur histoire pourra aider à faire avancer le débat sur la théorie du syndrome du bébé secoué, et faire en sorte que leur cauchemar n'affecte pas d'autres familles. « La triade doit être abandonnée, insiste Edelyn. Ce n'est pas juste le coût financier, c'est le déluge émotionnel qui engloutit la famille toute entière. »
Cette semaine, les Yhip seront à Atlanta pour la conférence annuelle de l'Innocence Network, les 12 et 13 avril. Ils espèrent pouvoir rencontrer d'autres familles accusées à tort.