Le journal Midi Libre a publié une interview du Professeur Bernard Échenne, ancien chef de service en neuropédiatrie du CHU de Montpellier. Pour lui, la méthodologie de diagnostic du syndrome du bébé secoué de la Haute autorité de santé manque de fiabilité.
Le traumatisme crânien est, dans le cas du bébé secoué, qualifié d’intentionnel. Vous défendez la thèse du traumatisme crânien non-intentionnel…
Le syndrome du bébé secoué désigne en France les enfants qui ont un segment autour de leur cerveau à un âge donné. Ça survient toujours avant l’âge de 8-10 mois et, en général, cela concerne des enfants âgés de 1 à 4 mois. C’est ce qu’on appelle un hématome sous-dural, c’est-à-dire une hémorragie qui survient dans un espace autour du cerveau. Quand la Haute autorité de santé (HAS), qui a émis des textes en 2011 puis en 2017 qui définissent le syndrome, parle de bébé secoué, elle dit implicitement qu’il y a une action volontaire de sévices contre l’enfant. Or ma position, et celle de ceux qui s’élèvent contre cette vision unilatérale, c’est que d’autres causes, d’autres mécanismes existent. Beaucoup sont inconnus.
Pourtant, selon un consensus international, il n’existe pas de controverse scientifique au sujet du diagnostic du syndrome du bébé secoué, si ce n’est des théories spéculatives soutenues dans les tribunaux par les avocats de la défense et leurs médecins "témoins"...
C’est exactement le concept de la pensée unique, c’est-à-dire que tout ce qui n’est pas dans le cadre défini par la HAS est perçu comme négatif ou n’existe pas. Et celle-ci n’a qu’une interprétation : hématome sous dural + hémorragie rétinienne = bébé secoué = sévices à enfant. On ne sort pas de ce carcan et les cosignataires des textes se réfèrent à eux-mêmes pour affirmer le caractère scientifique de leur démarche, qui n’en a aucun, si ce n’est que le syndrome du bébé secoué existe bel et bien. Mais tous les parents qui sont poursuivis pour sévices ne sont pas nécessairement des gens qui ont agressé leurs enfants.
Est-il possible d’être sûr à 100 % qu’un nourrisson a été victime du syndrome du bébé secoué et qu’il s’agit de maltraitance ?
On ne peut l’affirmer que s’il y a d’autres stigmates d’agression. Des bleus, des fractures… Mais quand il n’y a que l’hématome sous-dural, cela reste une hypothèse. À l’international, même ceux qui pensent que les sévices sont la cause numéro 1 des hématomes sous-duraux ont abandonné la thèse de la “triade” : hématome sous-dural (saignements autour du cerveau), hémorragies rétiniennes (saignements au fond de l’œil) et lésions cérébrales (mort de cellules nerveuses). Alors je pose la question, va-t-on la traîner encore longtemps ? Comme souvent, il va nous falloir vingt ans pour prendre exemple sur les Américains.
Actuellement, les “experts” de l’HAS accusent les familles et gardiens d’enfants de sévices même quand tous les facteurs de cette “triade” ne sont pas réunis. C’est effrayant, on se croirait revenu au temps de la Terreur. C’est le tribunal révolutionnaire : tous coupables !
La méthodologie recommandée par la HAS pour établir un diagnostic n’est donc pas fiable ?
Je pense que depuis qu’elle a été établie, les choses ont changé, il y a d’autres hypothèses, d’autres définitions, et que celle de la HAS est trop restrictive. De plus, les cosignataires du texte sont des médecins légistes, il n’y a pas de neurologue, de pédiatre ni de neurochirurgien, ce qui est regrettable. Car un hématome sous-dural, ça concerne en premier lieu ces experts.
Vous savez, les textes de l’HAS ne sont pas des textes législatifs, ce sont des recommandations de bonne conduite médicale, qu’on a à tort pris pour des textes de référence, mais il faut savoir que certains d’entre eux ont été abrogés car ils ne correspondaient pas à la réalité des faits.
Vous avez déclaré qu’on "massacrait des familles innocentes", qu’entendez-vous par là ?
Je ne sais pas si vous vous rendez compte, un jeune couple avec un bébé d’un mois à qui il arrive un accident neurologique aigu grave comme un hématome sous-dural est, d’emblée, accusé de sévices, sans preuves, et le plus souvent, l’enfant est enlevé à sa famille. Moi, je n’appelle pas ça de la protection infantile mais de la destruction familiale.
Dès que le diagnostic de secouement est probable, et ce même si des investigations poussées n’ont pas encore été menées, un signalement s’impose pour assurer la protection judiciaire de l’enfant, c’est une erreur ?
Le signalement se fait immédiatement alors qu’aucune preuve n’a été apportée, c’est une incrimination. On condamne avant même d’avoir réuni les éléments de diagnostic. C’est dramatique. Un signalement, c’est déjà une sanction. Avant de signaler, il faudrait d’abord réfléchir et analyser les faits.
Quelles sont les solutions à apporter pour éviter le traumatisme que peut engendrer un mauvais diagnostic ?
Il faudrait que les légistes et les autres aient un peu plus de modestie et considèrent que dans un grand nombre de cas, nous n’avons pas de preuves tangibles. Et je précise que j’ai déjà observé dans ma carrière hospitalo-universitaire des cas d’hématomes sous-duraux survenus chez des enfants déjà hospitalisés.
Vous aviez l’intention d’alerter la ministre de la Santé sur cette question sensible. L’avez-vous fait ?
Non, pour la raison suivante : Agnès Buzyn était la directrice de la HAS quand le texte correcteur de juillet 2107 est paru… je la vois mal aller à l’encontre d’un texte qu’elle a signé. La deuxième raison, c’est qu’elle a travaillé avec les professeurs Brunelle et Kahn à l’hôpital Necker de Paris, qui ont répercuté en France la notion de bébé secoué. À l’époque, c’était tout à fait justifié car on était au stade de découverte d’une pathologie. Mais ce faisant, on a éduqué des générations de médecins à ne pas connaître les autres possibilités.