C'est aujourd'hui, mardi 2 avril 2019, la journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme. Le week-end dernier, le journal Le Monde publiait un article sur ces parents qui font l'objet d'informations préoccupantes et d'enquêtes sociales parce que leurs enfants sont autistes. Non seulement ils doivent se battre contre une prise en charge défaillante de leurs enfants en France, mais ils doivent en plus mener un combat contre les services sociaux qui veulent les leur enlever :
De nombreuses familles dénoncent depuis des années, sans rencontrer grand écho, l’acharnement dont elles s’estiment victimes et qu’elles attribuent à la méconnaissance, en France, des manifestations des troubles du spectre autistique (TSA).
Les comportements des enfants autistes pris à tort pour des signes de maltraitance
La raison de cet acharnement dont les familles sont victimes, c'est que « les comportements des autistes (tri alimentaire, hypersensibilité sensorielle) peuvent être confondus, pour un œil non averti, avec des signes de maltraitance ou de défaillance éducative. »
Cela fait beaucoup penser au sujet qui concerne notre association Adikia, des symptômes physiques (hématomes, fractures) qui font penser à de la maltraitance alors qu'ils sont en réalité causées par diverses pathologies (maladie des os de verre, syndrome d'Ehlers-Danlos, hydrocéphalie externe...).
L'article mentionne ainsi le cas d'une mère de trois enfants dont le plus jeune avait des symptômes évidents d'autisme. Une pédopsychiatre a rejeté ce diagnostic et a évoqué une « dysharmonie évolutive ». Elle a au contraire accusé la mère de projeter ses propres angoisses sur ses enfants. Autrement dit, la mère serait la cause des symptômes de son enfant. Elle a donc fait l'objet d'enquêtes sociales, jusqu'aux menaces de placement.
Cette mère s'est alors rendue compte sur les réseaux sociaux que de très nombreux autres parents étaient eux aussi concernés par des menaces de placement de leurs enfants autistes. Elle a pu obtenir par elle-même les contacts permettant d'aboutir au diagnostic d'autisme de son enfant. Les services sociaux lui ont reproché sa démarche et ils l'ont menacée de poursuites judiciaires. Sa détermination l'a heureusement sauvée, même si elle a évidemment été traumatisée par cette expérience désastreuse avec les assistantes sociales :
Elle prévient immédiatement les services sociaux, qui depuis des mois l’accusent de chercher à médicaliser sa famille. « On m’a alors menacée de judiciariser mon dossier si je ne poursuivais pas l’aide éducative à domicile. Mais je ne me suis pas laissé faire, j’avais enregistré la conversation, et je le leur ai dit. » L’effet est immédiat. Depuis ce rendez-vous, elle n’a plus jamais eu de nouvelles de l’aide sociale à l’enfance. Mais elle garde de cette épreuve, qui l’a « laminée » et s’est conclue par son divorce, une peur bleue des services sociaux.
Cette histoire rappelle celle de Yoan et Sabrina, qui ont demandé sans succès pendant des années que leur fille, placée abusivement, soit testée pour une maladie génétique qui aurait pu expliquer ses œdèmes. Lorsqu'ils ont pris l'initiative de faire ce test eux-mêmes, cela leur a été fortement reproché, jusqu'à ce qu'ils fassent intervenir la presse. L'enfant leur a été rendu quelques temps plus tard, sans aucune forme d'excuse. Les parents poursuivent désormais les hôpitaux et les experts.
Une travailleuse sociale s'interroge sur les dérives de sa profession
L'article mentionne aussi le cas d'une assistante sociale qui effectuait des enquêtes depuis des années. Elle s'est rendue compte par elle-même des dérives du système dans lequel elle travaille lorsque sa propre fille a été diagnostiquée autiste :
Elle a commencé à s’interroger sur sa pratique professionnelle quand sa propre fille a été diagnostiquée autiste. « Quand on travaille dans la protection de l’enfance, on est formés à regarder si les enfants vont bien. On a peur de ne pas voir des situations de maltraitance. Mais l’autisme, c’est quasiment un copié-collé des points d’appel en maltraitance dont on dispose », se rend-elle compte aujourd'hui.
L'affaire Rachel, emblématique du placement abusif des enfants autistes
Rachel Diaz, dont deux des trois enfants sont autistes comme elle, est la cible des services sociaux et de la justice depuis des années. Ses trois enfants sont placés depuis 2015. Cette affaire a été largement médiatisée. Des centaines d'associations soutiennent la mère de famille, sans que la justice n'ait pour l'instant accepté que ces enfants vivent avec sa mère.
Le documentaire Rachel, l’autisme à l’épreuve de la justice, qui sera diffusé le 6 avril sur la chaîne Public Sénat, retrace le parcours de cette « faillite collective », selon les termes employés par la réalisatrice Marion Angelosanto.
Pour la réalisatrice, interviewée par Public Sénat :
J’espère qu’il y aura une commission d’enquête sénatoriale, a minima. Il faut s’interroger : pourquoi les familles touchées par l’autisme sont traitées comme des familles maltraitantes ? Le vrai problème, c’est la décentralisation, avec une responsabilité à l’échelle du conseil départemental.
Le poids de la psychanalyse
L'approche psychanalytique de l'autisme, aujourd'hui dépassée par les connaissances scientifiques, demeure en vogue en France. Elle conduit de nombreux professionnels à accuser les mères d'être responsables de l'autisme de leur enfant, alors que l'autisme a essentiellement des origines génétiques et biologiques.
Pour l’avocate de Mme Diaz, Sophie Janois, spécialisée dans la défense des familles d’enfants autistes, la mainmise de la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme, à rebours des recommandations de bonnes pratiques énoncées depuis 2012 par la Haute Autorité de santé, conduit à des mises en cause très fréquentes des mères de ces enfants. « Elles sont désignées comme toutes-puissantes, ou au contraire manquant d’autorité, fusionnelles ou trop froides, projetant sur leurs enfants leurs propres troubles », liste-t-elle. « On les accuse de nomadisme médical, dû au fait qu’elles sont fréquemment confrontées à un refus de diagnostic de la part du personnel médical », dénonce-t-elle.
Des abus dénoncés depuis des années
En 2015, 127 associations dénonçaient déjà les placements abusifs des enfants autistes :
Actuellement en France des dizaines de familles avec un ou plusieurs enfants autistes, qu’elles essaient de faire diagnostiquer, sont menacées de placement ou ont vu leurs enfants leur être arrachés. La raison : les services de l'aide sociale à l'enfance les accusent d'être responsables des troubles de leur enfant. Mieux, ils nient les diagnostics établis par des médecins référents en matière d'autisme et les mères sont accusées de pathologies surréalistes non reconnues dans les classifications internationales : Syndrome de Münchhausen par procuration et aliénation parentale, en violation du Code de la Santé publique. (...)
La Protection de l’Enfance est devenue un système largement dévoyé : appel, y compris anonyme, à la délation permanente, droits des familles violés en permanence, accès interdit aux rapports établis à leur encontre et aux débats contradictoires, judiciarisation abusive des informations transmises aux services sociaux, experts judiciaires non-indépendants et incompétents, méconnaissance totale du handicap et vision préhistorique de l’autisme comme conséquence d’une relation déviante entre la mère et l’enfant, sous-traitance des enquêtes et placements à des associations sans formation ni contrôle, maltraitances souvent signalées.
Une « protection de l'enfance » destructrice
Nous ne pouvons que constater la similarité entre le calvaire vécu par ces parents d'enfants autistes, et celui des parents de notre association. Parti d'une bonne intention (protéger les enfants potentiellement en danger), le système s'emballe et détruit des familles entières à cause d'un diagnostic manqué. Les ravages sur les familles sont énormes. Ils le sont encore plus sur les enfants arrachés abusivement à leurs parents alors qu'ils ont besoin précisément de stabilité, de soin, et d'un suivi adapté.
N'est-il pas temps de réformer en profondeur la protection de l'enfance en France pour éviter tous ces abus et toutes ces vies détruites par l'État ?
Sources :
- Le désarroi des familles d’enfants autistes face aux soupçons des services sociaux (Le Monde, mars 2019)
- Autisme : l'influence psychanalytique remise en question, Wikipédia
- Témoignage d'un père (L'Obs, 2015)
- Rapport d'Autisme France sur les ravages de l'Aide sociale à l'Enfance sur les parents d'enfants autistes, 2015
- Autisme et aide sociale à l’enfance : quand les parents sont mis en accusation (Agora Vox, 2013)
- Article de Hugo Horiot, comédien, réalisateur, écrivain (L'Obs, 2015)
- Affaire Rachel, Wikipédia
- Lettre de Rachel (2017)