Nous proposons la traduction d'une interview de l'avocate américaine Diane Redleaf donnée à Rise Magazine, à l'occasion de la sortie de son livre sur les fausses accusations de maltraitance.
Lorsque des médecins abusent de leur pouvoir : un nouveau livre sur la détresse des familles accusées à tort de maltraitance
Le livre « Les enfants nous ont été enlevés cette nuit : Comment le système de protection de l'enfance met les familles en danger », écrit par l'avocate Diane Redleaf, raconte les histoires de familles qui ont fait face à des accusations de maltraitance après qu'ils aient emmené leurs enfants à l'hôpital pour des lésions inexpliquées, des symptômes inhabituels, ou après un accident.
Jusqu'en 2017, Redleaf dirigeait le Centre pour la Défense de la Famille à Chicago. Elle raconte, de son point de vue d'avocate, le combat des parents face à des médecins accusateurs et face au système de protection infantile. Les médecins et les services sociaux sont déterminés à trouver un coupable coûte que coûte, et des parents sont déchus de leur capacité à protéger leurs familles.
Rise a interviewé Redleaf à propos de son livre, de ses objectifs en l'écrivant, et de ses idées de stratégies pour une réforme.
Pourriez-vous donner à nos lecteurs un aperçu de votre livre et de pourquoi vous l'avez écrit ?
Le livre raconte ce que cela fait d'être une avocate qui essaye d'aider ces familles. Toutes les histoires sont celles de personnes qui ont été innocentées, mais seulement après une terrible épreuve dont les répercussions continuent de les faire souffrir des années après. Ces histoires montrent que même la personne la plus manifestement innocente peut être prise au piège par ce système.
J'ai délibérément pris le parti de choisir des histoires médicales, parce que ces types de dossiers affectent des personnes de toutes les catégories socio-professionnelles. Le but était d'amener à une prise de conscience, parce qu'à moins que les gens réalisent que le système de protection infantile puisse les affecter eux-mêmes, c'est trop facile de dire : « Ce n'est pas mon problème. »
Votre livre se focalise surtout sur l'histoire de Ben et Lynn (ce ne sont pas leurs vrais prénoms). Qu'est-ce que leur histoire nous apprend sur le système en général et sur ces types de cas en particulier ?
Leur histoire reflète vraiment à quel point les enquêtes peuvent être épouvantables. Dès lors que les services sociaux ont obtenu l'avis de leur médecin référent (et ses diplômes étaient particulièrement limités, elle était encore en formation), les assistantes sociales qui conduisaient l'enquête n'ont pas cherché plus longtemps. Elles voulaient juste cet avis et cela leur a suffit.
Ensuite, elles ont refusé de considérer des explications alternatives évoquées par d'autres médecins. Elles ont refusé de considérer les attestations de soutien de leur famille. Il ne s'agissait pas de tenter d'améliorer leurs compétences parentales. Il s'agissait de dire : on veut vous punir. On veut vous montrer qui a le pouvoir. En ce sens, c'était représentatif de beaucoup de dossiers.
Comme Ben et Lynn formaient une famille banlieusarde de classe moyenne sans antécédents de violences (Ben était littéralement un Eagle Scout, et Lynn était une assistante sociale), ils ont été choqués de constater à quel point le système traite les gens indignement. C'est juste totalement abusif. Ils ne s'y attendaient pas. Montrer à quel point le système peut être mauvais même pour une famille sans aucun facteur de risque pré-existant montre bien que le système a besoin d'être réformé pour tout le monde.
Dans le cas de Ben et Lynn, on avait parfois l'impression que les services sociaux voulaient en faire un exemple en disant : « Regardez, nous ne sommes pas racistes, nous traitons les classes moyennes blanches aussi mal que les autres ! » Mais les familles blanches de classe moyennes sont beaucoup plus rares dans le système, et quand elles en viennent au tribunal, elles ont tendance à avoir les ressources pour se battre. Dans mon livre, je souligne que même Ben et Lynn auraient pu perdre de manière permanente leurs enfants s'ils n'avaient pas les ressources pour se battre, des médecins qui ont témoigné en leur faveur, et deux avocats sur leur affaire du début à la fin.
Le cas de Tony, à la fin du livre, est plus représentatif des tribunaux familiaux. Tony était un enfant placé, ce qu'ils ont utilisé contre lui. Tony est un homme assez extraordinaire. Il a fondé une agence pour les jeunes. Et quand bien même, ils n'ont pas cru la belle-fille de Tony qui a dit qu'elle avait vu sa sœur tomber. Au lieu de cela, on a dit que la famille l'avait entraînée à mentir pour donner ce faux récit, alors qu'ils n'ont jamais eu le temps de le faire ! Leur affaire était juste atroce.
Dans de nombreuses affaires, les services sociaux cherchent des problèmes. Si vous défendez des parents, vous êtes diabolisés. Les médecins avec qui nous travaillons sont qualifiés de négationnistes de la maltraitance. Le système juridique est vraiment fait pour écouter un côté et pas l'autre.
Y a-t-il des lecteurs particuliers que vous vouliez cibler ?
L'audience que je voulais surtout cibler, et que j'ai toujours du mal à toucher, ce sont les médecins, parce que le système médical est responsable d'un grand nombre des problèmes discutés dans le livre. Il y a de plus en plus de médecins spécialisés en maltraitance qui décident quasiment de tout dans les dossiers qui impliquent des accidents ou la santé de l'enfant. Nombre de ces médecins ont des contrats avec les agences de protection de l'enfance, mais ils le cachent aux familles. Dans certains systèmes, personne ne vérifie l'avis des médecins spécialisés en maltraitance.
J'ai écrit un rapport sur les inquiétudes éthiques au sujet des pratiques à l'oeuvre dans la discipline pédiatrique de la maltraitance. A mon avis, cela ne devrait même pas être une spécialité du tout, parce que la maltraitance est une conclusion juridique et la médecine en jeu fait intervenir tout le spectre de la médecine. Si on est obligés de vivre avec cette spécialité, alors elle devrait avoir une éthique claire : cesser les interrogatoires nocturnes des parents, obliger les médecins à clarifier aux parents leurs rôles et contrats auprès des agences, et rendre obligatoire une consultation avec d'autres disciplines médicales avant que ces médecins ne donnent leurs conclusions.
Les avocats et les étudiants en droit sont un autre groupe que je voulais cibler, parce que les avocats qui travaillent dans la défense des familles et qui représentent des familles moins aisées sont considérés comme étant des avocats de seconde classe. Donc le livre permet de dire que ce que nous faisons est important, et que nous devons élargir l'accès aux avocats.
Avez-vous de l'espoir au sujet d'une réforme du système ?
En tant que mouvement, nous n'avons pas beaucoup de soutiens. Nous luttons tous pour lever les budgets ridicules pour faire notre travail. Mais je pense aussi que nous sommes sur le point d'avoir de nombreuses réformes et c'est très encourageant.
L'alliance nationale du barreau américain pour la représentation des parents a fait du bon travail pour éduquer et soutenir les avocats à travers le pays.
J'ai récemment aidé à fonder une coalition d'avocats appelée Avocats Unis pour la Famille qui travaille sur une réforme pour les politiques fédérales de protection infantile. Nous sommes un groupe bipartisan. Des groupes conservateurs et libertariens sont d'accord avec nous sur l'importance de la famille et sur la nécessité de garder le gouvernement hors de la famille. Donc comme nous le disons, ouvrons le dialogue. Cela s'est vraiment bien passé et nous avons commencé à travailler sur des propositions spécifiques pour des politiques publiques.
Nous essayons d'obtenir une représentation juridique dès l'étape de l'enquête. Je pense que c'est essentiel. Nous essayons d'avoir plus de procédures établies pour évaluer les rapports et lorsque le nom des personnes sont fichées dans un registre étatique central. Nous essayons d'avoir des gens qui disent qu'on ne devrait pas enlever des enfants à des familles parce qu'elles sont pauvres.
Nous avons eu des réponses positives de la part des législateurs que nous avons rencontrés. Ils n'avaient pas encore entendu ces voix, et ils apprécient le fait que nous soyons bipartisans.
Comment pensez-vous que les avocats puissent travailler avec les parents pour aboutir à des changements ?
D'abord, ils doivent réaliser qu'ils ont besoin de s'associer avec les parents ! En tant que profession, nous aimons être ceux qui décidons. Mais comme je travaille aussi sur les politiques publiques, je vois la valeur des parents qui parlent de leurs propres expériences et qui donnent forme à l'agence pour une réforme. J'essaye toujours de faire venir les parents, cela permet de casser l'isolation et la stigmatisation auxquelles les parents font face. En changeant les politiques, personne n'est mieux placé pour expliquer le mal que le système fait que les parents eux-mêmes.
Les parents doivent aussi se sentir en mesure de raconter leurs histoires. C'était un plaisir de travailler avec Ben et Lynn. Ils m'ont beaucoup aidée à écrire mon livre. Mais lorsque je les ai invités à une fête pour la sortie de mon livre, ils n'ont pas voulu venir. Leurs enfants sont plus grands maintenant, et ils ne leur ont jamais dit. Et j'ai alors réalisé : « Oh mon Dieu, je pensais que j'en savais un rayon sur le traumatisme que les familles vivent, mais je n'avais jamais pensé à la manière dont un parent pourrait leur parler du jour où ils leur ont été enlevés ! » Certains enfants savent bien sûr ce qu'ils ont vécu et ils s'en souviennent. Mais dans leur cas, les enfants étaient tout petits et ne s'en souvenaient pas.
Ben et Lynn ont accepté de me raconter leur histoire partiellement comme signe de gratitude, mais aussi parce qu'ils pensent que ces histoires doivent être racontées.