Le magazine Cerveau & Psycho a publié, dans le numéro 108 de mars 2019, un article sur les erreurs statistiques conduisant à des erreurs judiciaires.
Placés devant des décisions majeures (comme décider de la culpabilité d'un accusé), nous devons souvent estimer la probabilité de tel ou tel événement. Or notre intuition nous trompe très souvent quand il s'agit de raisonner sur des statistiques.
L'article rappelle d'abord l'exemple de Sally Clark, qui a passé trois ans en prison parce que ses deux bébés étaient morts de la mort subite du nourrisson. Un expert médical, sans qualification en statistiques, a calculé que la probabilité pour que cela arrive était d'une chance sur 73 millions. Pour lui, ce chiffre était si faible que la seule explication était que la mère avait assassiné ses enfants. Il a fallu des années pour que la Royal Statistical Society dénonce une grossière erreur de calcul de la part du médecin, et pour que les vraies causes des décès soient retrouvées. Sally Clark a été innocentée, mais le mal était fait : cette dernière est morte d'overdose d'alcool peu après.
Cet exemple est loin d'être exceptionnel, parce que l'évaluation des probabilités est complexe et trompe souvent notre intuition. Ainsi, quand on demande à des gens d'estimer la probabilité d'être malade après avoir obtenu un résultat positif à un test de dépistage, 96% des gens se trompent ! Les auteurs recommandent de raisonner avec des chiffres absolus plutôt qu'avec des probabilités pour éviter de se tromper.
L'article mentionne ensuite les erreurs statistiques ayant trait aux chutes accidentelles de nourrissons qui sont prises à tort pour un syndrome du bébé secoué :
Autre exemple : les affaires de « bébés secoués ». Lorsqu'un nourrisson est violemment secoué, il présente souvent des hématomes sous-duraux (des poches de sang entre le cerveau et le crâne) et des hémorragies rétiniennes. Pour certains médecins, ces deux signes sont tellement caractéristiques qu'ils suffisent à établir la preuve d'une maltraitance, même quand les parents affirment qu'ils résultent d'une chute accidentelle.
Pourquoi une telle certitude ? Parce que si l'on secoue violemment un bébé, il est très probable d'observer ces symptômes, et qu'à l'inverse, en cas de chute simple, il est très improbable de les observer. Un argument qui semble recevable à première vue, mais qui néglige encore une fois une information importante : les cas de chutes sont très fréquents, alors que les bébés sont rarement secoués assez violemment pour entraîner ces drames. Un tout petit pourcentage des enfants qui tombent chaque année développe, à cause de ces chutes, des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes. Mais comme beaucoup d'enfants tombent chaque année, cela représente malgré tout un certain nombre de cas.
Des collègues mathématiciens ont estimé à partir des données disponibles que lorsqu'un bébé présente un « syndrome du bébé secoué », il est en fait plus probable que cela fasse suite à une simple chute. Toutefois, comme cette conclusion contredit notre intuition, nombre d'experts médicaux appelés à donner leur opinion dans des affaires de maltraitances supposées la jugent peu convaincante. Ces deux exemples révèlent un point capital ; intuitivement, nous avons tendance à négliger le « taux de base » - la prévalence de la maladie dans le premier cas, le nombre de chutes des enfants dans le second. Et c'est là que le bât blesse, car c'est un paramètre essentiel pour estimer correctement la probabilité d'un événement.
Ainsi, autant des personnes maltraitantes peuvent donner de faux récits de chute accidentelle pour tenter d'expliquer les hématomes sous-duraux de leur bébé, autant des personnes innocentes peuvent également rapporter une chute réelle qui a causé ces hématomes. Ces cas sont rares dans l'absolu, mais ils existent néanmoins et ils peuvent conduire à de fausses accusations de maltraitance et à des erreurs judiciaires.