Un médecin et un professeur de droit spécialiste de la santé (Jean Marty et Rémi Pellet) ont publié une tribune dans le journal Le Monde. Ils proposent une réforme des expertises médicales pour éviter des erreurs qui peuvent avoir des conséquences judiciaires graves.
La tribune commence par mentionner un diagnostic de bébé secoué qui a été posé sur un enfant présentant des vomissements. Comme le grand-père avait sa garde à ce moment-là, c'est lui qui a été mis en examen sur la base d'une expertise médicale. En effet, les recommandations de la Haute Autorité de Santé sur le diagnostic de bébé secoué spécifient que les symptômes (ici, des vomissements) apparaissent immédiatement après les secouements.
Mais « deux ans plus tard, un nouvel expert conclut que le syndrome du bébé secoué n’est pas la seule hypothèse à envisager », et le grand-père n'est ainsi plus mis en examen.
Ainsi, peuvent être rendues « des expertises ineptes dont les conséquences sont catastrophiques ». Pour les auteurs, la qualité scientifique du travail des experts doit pouvoir être évaluée rigoureusement au vu des conséquences judiciaires souvent importantes de ces expertises. Ils dégagent plusieurs causes possibles pour les erreurs d'expertise :
Les erreurs d’expertise persistent parce qu’elles ont plusieurs causes qui peuvent parfois se cumuler : l'expert n'est plus un véritable praticien de la médecine ; il accepte une mission pour laquelle il n'est pas compétent ; il n'ose pas contredire l'avis qu'une « autorité éminente » a donné au début de l'affaire ; son jugement est faussé par des préjugés (par exemple, lorsqu'il doit se prononcer sur les actes d'un de ses confrères du public ou du privé) ou par « l'effet tunnel » : il ne suit qu'une hypothèse, l'approfondissement de ses investigations l'empêche de se souvenir ou de prendre conscience qu'une autre orientation était possible.
L'effet tunnel a une importance majeure dans les diagnostics de bébés secoués : on néglige les recherches des diagnostics différentiels, on oublie de faire certains examens complémentaires, on ignore les anomalies médicales pointant vers des pistes autres que la maltraitance. Dès lors que la maltraitance est soupçonnée, les médecins doivent déjà continuer de travailler malgré l'émotion considérable soulevée par cette éventualité, mais ils doivent aussi penser avant tout à la démarche de signalement qui est pour eux une obligation légale.
Les auteurs de la tribune proposent alors de donner la possibilité de faire évaluer les expertises de manière indépendante, anonyme, rigoureuse, par un collège de spécialistes. C'est ce qui est déjà fait pour les publications médicales et scientifiques dans les revues à comité de lecture. Un comité de lecture est constitué pour chaque publication. Ce comité de médecins ou chercheurs spécialisés doit donner un avis critique sur la qualité scientifique des travaux. Cette démarche n'empêche évidemment pas les erreurs, mais elle en réduit considérablement le risque. Les revues n'offrant pas ce système de « vérification par les pairs » publient régulièrement des travaux de piètre qualité ou sans fondement scientifique. Un tel système permettrait de réduire le risque d'erreur dans les expertises. Dans le système actuel, en règle générale, seuls des magistrats lisent les expertises, mais ils ne sont évidemment pas qualifiés pour évaluer leur pertinence scientifique.
[Des instances constituées de praticiens sélectionnés pour leur compétence] vérifieraient la rigueur du raisonnement scientifique et en particulier le bien-fondé des données sur lesquelles l’expert judiciaire s’est appuyé (dont le niveau de preuve de ses arguments selon les classements de la Haute Autorité de Santé). Les expertises médicales transmises seraient totalement anonymisées. C’est comme cela que procèdent les revues scientifiques lorsqu'elles soumettent les articles qu’elles envisagent de publier à des lecteurs qui ignorent ainsi tout des auteurs des textes. (...) Cette procédure aurait sans doute un effet préventif : les expertises seraient certainement améliorées si leurs auteurs savaient qu’elles peuvent faire l’objet d’une lecture scientifique critique.
Dans les diagnostics de maltraitance, les expertises médicales ont des conséquences extrêmement lourdes : placement d'enfants, peines de prison. Dans de nombreux cas, le seul élément à charge est l'expertise médicale. Aujourd'hui, l'expertise médicale ne fait pas l'objet de vérifications par d'autres médecins compétents et indépendants, ce qui conduit à des dérives graves. Pourquoi continuer d'accepter que les expertises médicales, censées suivre une démarche scientifique rigoureuse, ne fassent pas l'objet des mêmes procédures de contrôles que les publications scientifiques ?