Nous proposons la traduction d'un article paru dans le quotidien britannique The Guardian, le 25 décembre 2014, écrit par l'Américain Jeffrey Deskovic. Cet homme emprisonné à tort pendant 16 ans œuvre désormais pour éviter les erreurs judiciaires aux États-Unis.
Passer Noël en prison est pire que ce que vous pouvez imaginer. Essayez maintenant de l’imaginer si vous êtes innocent.
J’ai passé 16 réveillons derrière les barreaux pour un crime que je n’ai pas commis. Combien d’autres innocents ont eu des années volées à cause d'un système corrompu ?
J’ai passé 16 ans en prison, condamné à tort lorsque j'avais 17 ans pour un meurtre et un viol que je n'avais pas commis, et ce, malgré une analyse ADN négative. J’ai perdu sept de mes appels, et on m’a refusé la libération conditionnelle. Finalement, à l’âge de 32 ans, j’ai été exonéré après que des analyses ADN complémentaires ont permis d’identifier le vrai coupable. Même si je suis heureux de passer mon neuvième réveillon consécutif chez moi en tant qu’homme libre, je ne cesse de penser à ceux qui sont toujours emprisonnés pour de mauvaises raisons.
En prison, un jour de réveillon ressemblait beaucoup aux autres jours : la routine, la violence, une hypervigilance constante, les insultes par les gardiens, la tolérance de l’administration pénitentiaire et des gardiens de prison pour leurs collègues maltraitants. J’avais comme compagnie une variété d’autres victimes d’injustices : des prisonniers condamnés à tort ; des délinquants non violents purgeant une peine de prison bien trop longue ; des consommateurs de drogue condamnés à la prison à vie du fait de lois obscures et obsolètes ; des prisonniers condamnés à des peines largement disproportionnées par rapport à leur crime ; des hommes dont la culpabilité ou l’innocence n’était pas claire, mais qui n’avaient pas reçu un procès équitable ; des prisonniers dont l’âge avancé et l’état de santé suggérait fortement qu’ils auraient dû être libérés depuis bien longtemps ; des personnes à qui l’on a refusé les libérations conditionnelles, de manière répétée, malgré leur réadaptation évidente.
Bien sûr, il ne manquait pas d’hommes coupables en prison pour le jour de Noël, qu’ils soient repentants ou pas. Je détestais me trouver aux côtés de réels criminels de sang froid pendant les congés, mais je n’avais pas le choix. Même si j’étais innocent, même si je me criais à moi-même : « Je ne suis pas censé être ici ! »
Il était extrêmement difficile d’accéder au téléphone ce jour-là : trop de personnes voulaient l’utiliser, trop d’appels duraient bien trop longtemps, trop de personnes les passaient aussi à leurs amis. Il n’y avait tout simplement pas assez de moyens de téléphoner à la famille, parce qu’en prison, on veut que vous soyez déconnectés à Noël. Les rares fois où j’ai pu accéder au téléphone, j’étais heureux de savoir que les réunions de famille avaient lieu, mais mes proches me paraissaient si loin.
Les repas de Noël en prison étaient atroces : il s’agissait souvent de deux tranches de pain, un bout de fromage, un vieux pain de hotdog, un sachet de mayonnaise et de moutarde, un quartier de pèche, un sac de chips surtout rempli d’air, et une « soupe » dont les ingrédients avaient été servis trois ou quatre fois plus tôt cette semaine-là, et avaient simplement été jetés dans de l’eau et réchauffés. Le déjeuner de Noël n’était pas beaucoup mieux : de la dinde industrielle trop cuite, une farce salée, des pommes de terre instantanées.
Durant la fête des gardiens de la prison, tandis qu’ils étaient censés « travailler », nous étions souvent enfermés dans nos cellules. Parfois, je pleurais jusqu’à m’endormir de fatigue.
Je suis libre pour ce Noël, mais nombreux sont ceux qui continuent de souffrir de la même manière. Ils ne pourront jamais récupérer le temps perdu, les vacances manquées.
Il y a William Lopez, que mon organisation a aidé à libérer après plus de 23 ans de prison pour un meurtre par balle qu’il n’a pas commis. Cette erreur judiciaire a été la conséquence d’une mauvaise identification par un toxicomane qui n’avait pas dormi pendant 24 heures, de manquements par les procureurs, et d’un avocat incompétent qui n’a pas appelé deux témoins qui auraient pu corroborer son alibi. Bill et moi avons passé son premier Thanksgiving, son premier Noël, et son premier Jour de l’An libres ensemble, et bien d’autres premières fois après cela. Mais un an et demi seulement après sa libération, et quelques jours seulement avant de nouveaux développements dans son procès contre l’État, Bill est mort. Toutes ses vacances avec sa famille et ses amis, une partie si conséquente de sa vie, avait été volée.
Il y a de nombreux autres William Lopez. Le registre national des exonérations recense près de 1500 exonérations depuis 1989. L’année dernière, 89 innocents aux États-Unis ont été exonérés, et encore plus l’ont été depuis le début de cette année. Il y avait George Stinney, l’homme condamné et exécuté dans le sud ségrégationniste quand il avait 14 ans…. et exonéré la semaine dernière, 70 ans plus tard. À Cleveland, il y a Kwame Ajamu, exonéré d’un meurtre ce mois-ci après 40 ans. Et juste pour le jour de Noël, toujours à Cleveland, Anthony Lemons a été libéré après 20 années volées.
Mais il y a encore bien plus de personnes innocentes qui passent les périodes de vacances derrière les barreaux — des gens qui ne devraient pas être en prison — plus que nous ne pouvons compter. Chaque fois qu’un agent de police corrompu ou qu’un expert judiciaire peu scrupuleux est identifié, des centaines ou des milliers de dossiers sont touchés, et un certain nombre d’entre eux concernent des innocents condamnés à tort. Chaque fois que de la pseudo-science est acceptée comme preuve — marques de morsures, traces de pneu, empreintes digitales, analyse de balles, comparaison de cheveux, le témoignage d’un chien avec « un bon flair » — il y a un risque qu’un homme innocent passe Noël en prison. Les faux aveux extorqués, les mauvaises identifications de témoins, les faux témoignages, les avocats incompétents, les fautes des procureurs — tout cela conduit à des erreurs judiciaires qui restent largement ignorées par la législation fédérale et des États d’Amérique. Je pense que 15% à 20% de la population carcérale américaine est constituée d’innocents accusés à tort qui sont toujours en prison en ce jour de Noël.
Lorsqu’un juge à Cleveland a offert à Anthony Lemons le cadeau de Noël de sa liberté mardi matin, sa mère a pleuré. « J’ai récupéré mon bébé aujourd’hui », a-t-elle dit. « J’ai toujours confiance dans le système, mais je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps. »
Je ne crois plus au système. Et tant que la législation n’aura pas résolu toutes les causes premières des erreurs judiciaires, je n’y croirai jamais, et personne d’autre ne devrait y croire non plus. Joyeux Noël.