Une étude avec une spécificité et une valeur prédictive positive de 100%
En 2010, des médecins français ont publié une étude sur le syndrome du bébé secoué [1]. C'est l'une des deux études retenues par les auteurs du rapport suédois parmi les près de 4000 articles sur le sujet. Ces deux études présentent moins de biais que les autres, même si elles restent contestables car elles se basent sur des « aveux » dont la fiabilité scientifique est toute relative.
Cette étude française se base sur 45 diagnostics de bébés secoués avec « aveux », et 39 cas de traumatismes crâniens accidentels ayant eu lieu dans un lieu public. Les auteurs ont utilisé un critère diagnostique basé sur une « triade » modifiée : hématome sous-dural, hémorragies rétiniennes sévères, et absence de lésions traumatiques externes.
Les auteurs ont trouvé que, dans leur étude, ce critère a une spécificité de 100% et une valeur prédictive positive de 100%. Cela signifie que tous les bébés présentant cette triade sont considérés par l'étude comme ayant été secoués. Il n'y a pas de faux positifs, c'est-à-dire que les auteurs ne prennent pas en compte la possibilité que des diagnostics de bébé secoué soient invalides. Par ailleurs, l'erreur du raisonnement circulaire n'est pas loin, car le fait de trouver cette triade influe sans doute sur le diagnostic et par conséquent sur le risque de faux aveux.
Un chiffre peu scientifique mais inespéré pour les juges
Or, il est très rare, voire impossible de voir de tels chiffres en médecine. Il s'agit d'un domaine si complexe, avec tant de variables et de paramètres, que les certitudes à 100% n'existent pas.
Comme le dit le radiologue suédois Peter Aspelin dans un discours :
Rien dans la médecine n’a une valeur prédictive de 99% [ou 100%]. Si quelque chose a ça, alors on sait que c'est un mensonge. La médecine n'est pas comme ça. Je me suis demandé comment les chercheurs obtiennent ces chiffres. Eh bien, ils n'ont pas de faux cas positifs. Mais alors vous ne pouvez pas calculer de valeurs prédictives positives. C'est scientifiquement faux. Il n'y a pas un seul faux positif dans ces méta-analyses et statistiques. Et cela rend toutes ces valeurs prédictives d'épidémiologie inutiles. Tout du moins, vous ne pouvez pas l'utiliser comme une preuve.
Ce chiffre a donc intrigué les auteurs suédois, qui ont écrit en avril 2017 une lettre publique aux auteurs français pour leur demander des précisions [2].
L'auteur principal français a répondu en juillet 2017 [3] :
Nous admettons que nous avons été un peu surpris de trouver une valeur prédictive de 100% pour l'association entre les hémorragies rétiniennes sévères avec hématome sous-dural et l'absence de signes d'impact, parce que cela ne ressemble pas à un résultat scientifique ; cependant, d'un point de vue légal, nous pensons que c'est précisément ce qu'un juge souhaite obtenir.
« Une menace considérable à l'État de droit » ?
En octobre 2017, les auteurs suédois ont répondu ainsi [4] :
[Les auteurs français] connaissaient les signes et les symptômes associés ou non aux mécanismes du syndrome du bébé secoué et des traumatismes crâniens accidentels lorsqu'ils ont choisi leur triade. Par conséquent, la composition de la triade pourrait apparaître comme si elle avait été choisie pour minimiser le nombre de faux positifs et de faux négatifs. Agir de la sorte, cependant, résultera en une sensitivité et une spécificité plus importantes, ainsi que des valeurs prédictives positives et négatives plus importantes, toutes choses étant égales par ailleurs. Minimiser le nombre de faux positifs et faux négatifs a des conséquences, et agir de la sorte pourrait être considéré comme étant une manipulation des résultats.
[Ils admettent] qu'ils ont été « un peu perturbés » lorsqu'ils ont obtenu une valeur prédictive positive de 100%, et ils admettent que « ce résultat ne ressemble pas à un résultat scientifique. » C'était aussi pour cela que nous étions préoccupés par les résultats de cette étude. Mais si le choix de cette triade a été fait pour satisfaire « précisément ce qu'un juge espère », il y a des raisons d'être encore plus inquiet. Une condamnation doit être basée sur des preuves « au-delà de tout doute raisonnable », et c'est bien sûr une infraction criminelle si un expert judiciaire présente des éléments médicaux biaisés comme étant « des preuves au-delà de tout doute raisonnable » si ce n'est pas le cas ! Si la triade a été choisie pour satisfaire au système judiciaire, un tel choix est bien sûr idéologique et biaisé. Le risque est que l'expert judiciaire prenne le rôle de la police, du procureur, et du tribunal, ce qui représente une menace considérable à l'État de droit. (...)
Tant que nous n'avons pas de théorie généralement acceptée sur l'étiologie et la pathogenèse de la triade, nous devrions éviter de nous référer aux hypothèses se fondant sur l'une de ces théories. La raison est que les observations et leurs interprétations sont influencées par les théories ; les observations et les interprétations sont considérées comme étant imprégnées par la théorie. (...) Se baser exclusivement sur une théorie qui fait plaisir aux juges et aux équipes de protection infantile, si elle est utilisée dans des études scientifiques, va donner lieu à des critères diagnostiques de maltraitance erronés et biaisés. Le risque d'erreurs judiciaires est évident.
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