Suite aux réponses critiquant le rapport suédois, ses auteurs ont publié en juin 2017 un texte précisant le problème du raisonnement circulaire dont l'importance majeure ne semble pas être comprise par une partie de la communauté médicale [1]. Nous proposons ici une traduction en français de ce texte.
Beaucoup de commentaires sur notre revue systématique de la littérature sur le syndrome du bébé secoué se sont focalisés sur notre critique de la manière qu'ont les équipes de protection infantile pour diagnostiquer les cas de maltraitance, et de l’erreur de raisonnement logique associée. Certains ont demandé s'il était bien raisonnable de se focaliser sur la triade constituée par les hémorragies rétiniennes, les hématomes sous-duraux, et l'encéphalopathie.
Triade ou pas triade ?
Lucas et al. [2] maintiennent que, sans impact, la triade représente « un argument rhétorique fallacieux connu sous le nom de l'homme de paille », malgré le fait que la triade a été utilisée pendant des décennies et continue d'être utilisée comme un indicateur très fort qu'un bébé a été violemment secoué.
Levin [3] affirme que le diagnostic standard que nous avons suggéré pour éviter les raisonnements circulaires était « impossible et trop strict ». Narang et al. [4] ont même considéré étrange le fait que que nous nous soyons souciés du problème du raisonnement circulaire.
La faille du raisonnement circulaire
Le problème du raisonnement circulaire n'est pas nouveau, c'est une erreur de raisonnement bien connue dans la pensée scientifique rationnelle. Mépriser ce problème pourrait avoir produit des erreurs grossières [« bad science »]. Notre argument, détaillé ci-dessous, est qu'il s'agit d'une forme de faute scientifique que de continuer à conduire des recherches comme si le raisonnement circulaire n'était pas un problème, malgré le fait d'en être informé.
Pour clarifier ce que le raisonnement circulaire signifie, nous voudrions tenter de l’expliquer plus spécifiquement. Le point de départ d’une équipe de protection infantile est ce qui s’apparente à un raisonnement logique déductif qui comprend la structure en trois étapes décrite ci-dessous.
Le premier principe est une hypothèse générale :
(a) Si la triade est présente chez un bébé et qu’aucune explication acceptable n’est donnée, alors l’enfant a été violemment secoué.
Le second principe contient l’observation suivante :
(b) La triade est présente chez un enfant donné, et aucune autre explication acceptable n’a été donnée.
De ces deux principes ci-dessus, la conclusion déductive est :
(c) L’enfant a été violemment secoué.
Au vu de la structure logique de ce raisonnement, la conclusion est nécessairement vraie si à la fois (a) et (b) sont vraies, et c’est la manière dont de nombreux pédiatres raisonnent. Cependant, la question de recherche dans notre revue systématique était de savoir si l’hypothèse générale (a) était vraie. Et pour répondre à cette question, nous ne pouvions évidemment pas utiliser des études qui faisaient l’hypothèse qu’elle était vraie. Nous aurions accepté comme vrai ce que nous voulions justement étudier ou questionner, et une telle approche résulte en un raisonnement circulaire.
Quelles sont les « explications acceptables » ?
Même si nous acceptions que l’hypothèse générale (a) était vraie, la clause « si aucune autre explication acceptable n’a été donnée » doit être clarifiée. Qui décide si une telle explication est acceptable ou non ? Jusqu’à présent, ce sont les équipes de protection infantile, mais leur processus de décision dépend de cette hypothèse.
Les équipes de protection infantile ont développé des critères diagnostiques pour aboutir à ces décisions, et ces critères ont des conséquences sur la classification scientifique des groupes d’étude et de contrôle. Ces critères ne sont pas basés exclusivement sur les observations médicales, comme la présence de la triade ou d’autres symptômes, mais aussi sur la crédibilité des parents ou nounous qui donnent les explications des symptômes présentés.
S’ils disent qu’ils ne savent pas ce qu'il s'est passé, ou qu'il ne s'est rien passé de particulier, ou que l’enfant a fait un malaise soudain, ils sont considérés comme des menteurs par défaut. Ainsi, l’absence d’une explication acceptable prouve, selon l’hypothèse générale, que l’enfant a dû être violemment secoué. Un tel cas est classifié comme un vrai cas de bébé secoué dans de telles études.
Des erreurs diagnostiques dans toute la littérature ?
Cela montre qu'utiliser la classification établie par les équipes de protection de l'enfance comme critère de référence pour distinguer les cas de maltraitance des autres cas induit un fort risque de biais et un fort risque que des faux cas positifs soient présentés comme des vrais cas positifs.
Une diminution des faux cas positifs signifie que, toutes choses étant égales par ailleurs, la spécificité (vrais négatifs / vrais négatifs + faux positifs) et la valeur prédictive positive (vrais positifs / vrais positifs + faux positifs) vont augmenter. Par conséquent la pertinence diagnostique des résultats obtenus pourrait être faussée.
Les parents ou nounous peuvent bien sûr mentir pour se prémunir contre des accusations de maltraitance, mais ils peuvent aussi dire la vérité. En fait, il peut y avoir d’autres explications pas encore « acceptées » pour l’apparition de la triade de manière spontanée ou après un traumatisme mineur chez un nourrisson.
Narang et al. [4] ont trouvé étrange que nous n’ayons pas utilisé le critère diagnostique classique des équipes de protection infantile pour nos classifications. Selon nous, il est incroyable que si peu de scientifiques dans ce domaine aient noté l’erreur grossière de la circularité et ses effets délétères. Même si nous ne pensons pas qu’il y ait eu une intention délibérée de tromper chez ces chercheurs, nous pensons que faire passer délibérément des faux diagnostics pour des diagnostics valides n’est pas simplement une erreur grossière, il s’agit de manipulations de données invalides, ce qui est une forme de faute scientifique.
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