La principale démarche mise en œuvre par les médecins pour tenter d'éviter les drames des « bébés secoués » est la prévention contre le secouement. Le geste de secouement de l'adulte peut être déclenché par les cris d'un nourrisson. Or, les nourrissons pleurent beaucoup, jusqu'à cinq heures par jour : c'est le seul moyen qu'ils ont de s'exprimer !
Le secouement est bien sûr non seulement dangereux, mais c'est aussi la pire réponse qui puisse être apportée à un nourrisson qui a faim, qui a soif, qui a trop chaud, trop froid, qui est sale, malade, douloureux, mal à l'aise, ou qui a tout simplement besoin de câlins. Parfois, un nourrisson continue de pleurer malgré toutes les tentatives des parents. On parle aussi de coliques du nourrisson. Certaines techniques d'apaisement peuvent être envisagées (massage abdominal, modification de l'alimentation...) et prescrites par un médecin lors d'une consultation.
Si la colère monte, il ne faut tenter aucun geste violent contre l'enfant, mais le coucher délicatement et sortir de la pièce pour se calmer. Pleurer un petit peu plus longtemps parce que les parents doivent faire retomber la pression n'a jamais tué un bébé. On ne peut pas dire la même chose des secouements et autres gestes violents.
Messages de prévention contre le secouement
La prévention contre le secouement s'est donc à juste titre développée depuis quelques décennies dans les pays occidentaux. Ces efforts doivent bien sûr être poursuivis et étendus, et même plus largement dans une démarche globale d'éducation positive et bienveillante.
Cette prévention est nécessaire. Dans les années 1980, la moitié des étudiants américains ne savaient pas que secouer pouvait tuer [1]. Aujourd'hui, la grande majorité des jeunes parents ont été la cible de messages de prévention contre le secouement et savent les dangers de ce geste.
En France, la version actuelle du carnet de santé comporte en page 15 le message suivant de prévention qu'il convient de continuer à diffuser :
Évaluation de la prévention
Comme pour toute démarche, notamment de politique publique ou de santé publique, il est essentiel de mesurer et d'évaluer la performance de la mesure pour optimiser son impact et s'assurer que les résultats attendus sont bien obtenus.
Comment évaluer l'efficacité de la prévention contre le secouement ? Il y a deux axes complémentaires :
- Les personnes ayant été ciblées par la campagne de prévention déclarent-elles comprendre les dangers du secouement et évitent-elles de le faire ?
- L'incidence des diagnostics de « bébés secoués » diminue-t-elle suite à une campagne de prévention dans une région donnée ?
Des études se sont intéressées aux deux questions. La plupart des programmes de prévention sont efficaces pour améliorer la connaissance sur les pleurs du nourrisson et les dangers du secouement, mais les résultats sur l'incidence du syndrome du bébé secoué sont plus mitigés.
Une revue de la littérature sur la prévention du syndrome du bébé secoué a été publiée en 2016 [2]. Les auteurs ont recensé 20 programmes de prévention : 5 pour réduire les pleurs, 3 pour gérer les angoisses des parents dues aux pleurs de leur bébé, et 12 pour informer sur le syndrome du bébé secoué. Sur les 20 programmes, un seul a pu démontrer une baisse de l’incidence du syndrome du bébé secoué.
Résultats positifs
Une étude a pu mettre en évidence une réduction de 30% des consultations pour pleurs chez les nourrissons de moins de six mois à l’hôpital pour enfants de Colombie Britannique, au Canada [3].
Par ailleurs, deux études préliminaires, réalisées à une échelle relativement petite, ont pu mettre en évidence une réduction du nombre de cas suite à un programme de prévention.
New York, 1998—2004
Entre 1998 et 2004 dans l’État de New York, 16 hôpitaux ont mis en place un programme de prévention contre le syndrome du bébé secoué [4]. Ce programme, consistant en une brochure et une vidéo de 11 minutes, était administré par des sages-femmes aux jeunes parents. Ces derniers devaient ensuite signer et retourner un certificat selon lequel ils avaient bien reçu cette formation. Ils devaient aussi répondre à quelques questions.
Les responsables du programme ont reçu 65 205 certificats durant la période, ce qui représentait 69% de toutes les naissances dans la région pendant la période du programme.
Parmi les parents ayant retourné le certificat, 93% connaissaient déjà les dangers du secouement, 92% estimaient le programme utile, et 85% pensaient que ce programme devait être suivi par tous les parents.
Alors qu’il y avait en moyenne 8.2 cas de diagnostics de bébés secoués chaque année dans la région avant la mise en place du programme, il n’y en a eu que 3.8 pendant le programme. Sur les 21 parents accusés d’avoir secoué leur bébé, 10 avaient signé le certificat.
Hudson Valley, 2005—2008
Entre 2005 et 2008 dans la vallée de l’Hudson, dans l’État de New York, 20 hôpitaux ont mis en place un programme de prévention contre le syndrome du bébé secoué (brochure, vidéo de 8 minutes, questionnaire), administré par les sages-femmes aux nouveaux parents [5]. Ce programme a coûté 4.5 dollars par nouveau-né.
Un total de 76 108 questionnaires ont été délivrés aux parents, et 65 663 ont été reçus durant la période, ce qui représente environ 85% de toutes les naissances durant la période dans la région. 73% de ceux qui ont vu la vidéo l’ont trouvée très utile.
Après six mois, un suivi par téléphone était organisé pour une sélection de parents. Environ 55% d’entre eux ont dit que la formation leur avait été utile dans une situation où l’enfant pleurait beaucoup.
Avant la mise en place du programme, il y avait en moyenne 2.8 diagnostics de bébés secoués chaque année. Pendant la période où le programme était mis en place, il n’y en avait plus que 0.7.
Résultats négatifs
Suite à ces bons résultats préliminaires, les États de Caroline du Nord et de Pennsylvanie ont passé des lois rendant obligatoire un programme de prévention contre le syndrome du bébé secoué.
Ce programme s’appelle PURPLE et vise à améliorer la compréhension qu’ont les parents des pleurs de leur bébé, et à diminuer l’incidence du syndrome du bébé secoué. Il comporte un livret et un DVD fournis aux jeunes parents. Les six lettres PURPLE se réfèrent à six messages :
- un bébé pleure de plus en plus au cours des premières semaines de vie
- un bébé pleure de manière inattendue
- un bébé peut continuer de pleurer même lorsqu’on tente de l’apaiser
- un bébé qui a l’air d’avoir mal n’a pas forcément mal
- un bébé pleure beaucoup, jusqu’à cinq heures par jour
- un bébé pleure plus le soir
L'influence de ce programme sur l'incidence du syndrome du bébé secoué a été étudiée dans ces deux États, sur une très grande population (de l'ordre du million de parents au total).
Caroline du Nord, 2008—2012
À partir de 2008, la Caroline du Nord a mis en œuvre ce programme de prévention [6]. Dans cette étude, 405 060 parents ont reçu la formation, ce qui représente 88% de tous les bébés nés en Caroline du Nord durant la période de 4 ans.
De plus, les appels à une ligne téléphonique de sages-femmes à destination des parents dans le besoin ont été étudiés entre 2006 et 2010. N’étaient considérés que les appels ayant trait à des pleurs excessifs, sans d’autres symptômes. Le nombre de ces appels a diminué de 12-20% après la mise en place du programme.
Par contre, l’incidence du syndrome du bébé secoué n’a pas diminué durant la période. Alors qu’il y avait 34 diagnostics pour 100 000 nourrissons chaque année dans la région avant la mise en place du programme de prévention, il y en avait 36 sur 100 000 après.
Pennsylvanie, 2003—2013
En Pennsylvanie, le programme de prévention a été mis en place entre 2003 et 2006 [7]. Après 2007, plus de 90% des nouveaux parents de l’État avaient reçu le programme. Entre 2003 et 2013, les responsables du programme ont reçu 1.2 millions de certificats signés.
Plus de 75% des parents ont appris beaucoup sur les pleurs, et 87% ont dit que le programme leur permettrait d’éviter de secouer leur bébé. Au bout de sept mois, 92% des parents interrogés ont dit qu’ils seraient moins à même de secouer leur enfant. Par ailleurs, les trois quarts des parents interrogés se sont rappelé des dangers du secouement à un moment où leur bébé pleurait de manière excessive.
Malheureusement, aucune influence sur l’incidence du syndrome du bébé secoué n’a pu être constatée par les auteurs.
En conclusion de leur étude, ils écrivent :
Nos résultats démontrent qu’une intervention post-natale à l’hôpital est bien reçue par les jeunes parents, et leur fournit des informations qui améliorent leur compréhension des pleurs du nourrisson et du secouement violent. Malheureusement, notre intervention ou une intervention post-natale similaire en Caroline du Nord n’a pas pu réduire le nombre d’hospitalisations du syndrome du bébé secoué. Même si ces résultats sont certainement décevants, ils ne doivent pas nous dissuader de continuer nos efforts pour diminuer l’incidence du syndrome du bébé secoué. Peut-être est-il nécessaire de compléter cette information aux parents de manière répétée au cours du temps (par exemple par SMS), combiner ce programme avec un soutien familial et local, comme des visites à domicile pour les familles à haut risque, et/ou mettre en place des politiques comme des congés familiaux payés pouvant soutenir les familles durant cette période critique, pour réduire l’incidence du syndrome du bébé secoué.
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