Les fausses accusations de maltraitance ne touchent pas que les parents. Il y a aussi un certain nombre d'assistantes maternelles agréées qui sont accusées à tort après un faux diagnostic du syndrome du bébé secoué (que ce soit à cause d'une maladie génétique passée inaperçue, d'une hydrocéphalie externe, ou d'autres causes médicales non décelées par les médecins).
Les cas avérés de maltraitance par l'assistante maternelle existent évidemment bel et bien, tout comme ceux où les parents sont en cause, mais nous discuterons ici uniquement des cas où il s'agit réellement d'une erreur diagnostique. Dans ces cas-là, l'assistante maternelle tout comme les parents sont innocents, et le bébé n'a en réalité jamais été secoué par qui que ce soit.
Personne ne sait que le bébé n'a jamais été secoué
Ces situations sont très particulières. Souvent, c'est l'assistante maternelle qui est mise en cause au cours de l'enquête. Les parents pouvaient être suspectés initialement, jusqu'à ce que les expertises les mettent hors de cause.
Sachant qu'elle est innocente, l'assistante maternelle peut penser que la « datation » des secouements présumés faite par les médecins est erronée, et que ce sont les parents qui sont responsables. Sa première ligne de défense pourra donc être d'accuser les parents de maltraitance.
Inversement, les parents n'ont a priori aucune raison de douter d'un diagnostic de maltraitance posé par les médecins et les experts.
Ainsi, il est fréquent que personne ne sache que le bébé n'a en réalité jamais été secoué !
Accuser ou être accusé, un dilemme cornélien
Dans de très rares cas, les parents ont toute confiance en leur nounou et ils ne croient pas au diagnostic de maltraitance. C'est ce qui s'est passé pour Sandrine, une maman de notre association.
L'assistante maternelle était initialement accusée par les médecins, les experts, la police, le juge. Les parents l'ont néanmoins défendue à cor et à cri.
La sentence ne s'est pas faite attendre.
Les médecins et la justice ont raisonné ainsi : si la nounou n'est pas coupable, alors ce sont les parents. Ce sont donc eux qui ont été mis en examen.
Ceux qui défendent l'erreur diagnostique sont inaudibles. Aussi terrifiant cela soit-il, accuser l'autre semble être en fait la seule stratégie valable de défense.
Un manque d'informations dans les deux sens
Les assistantes maternelles accusées à tort n'ont que très peu d'informations médicales sur l'enfant. Elles sont donc dans la quasi-impossibilité de retrouver les causes médicales réelles des symptômes, ce qui rend l'axe de défense basé sur l'erreur diagnostique extrêmement hasardeuse.
Elles n'ont que très peu de nouvelles de l'enfant après le diagnostic. Les avocats recommandent souvent l'absence de contacts avec la famille pour les besoins de l'enquête. Il peut aussi arriver que ce soit un juge qui interdise tout contact.
Quant aux parents, ils n'ont que très peu d'informations sur ce qui s'est ou ne s'est pas passé. Le récit donné par l'assistante maternelle ne décrit évidemment aucun secouement violent. Ce récit est donc présumé faux.
L'incrédulité fait place à la culpabilité
Les parents peuvent être initialement dans l'incrédulité face au diagnostic. Le choix de leur assistante maternelle avait été fait après mûre réflexion. S'ils avaient décidé de confier leur nourrisson à une assistante maternelle, c'est parce qu'ils avaient entière confiance en elle.
Parfois, les parents connaissaient déjà l'assistante maternelle avant le début du contrat, que ce soit par leur famille, leurs amis, le bouche-à-oreille... Il leur est très difficile d'imaginer que cette personne a priori au-dessus de tout soupçon (notamment de par son agrément) puisse secouer très violemment leur bébé.
Tout est fait cependant pour que les parents en viennent finalement à reconnaître que le secouement est « parfaitement avéré ». Leur détresse est alors immense. Non seulement leur enfant est handicapé ou décédé suite à des faits présumés de maltraitance, mais en plus, ils doivent vivre avec le poids de la culpabilité d'avoir confié leur bébé à une personne qui l'aurait secoué.
Une erreur diagnostique inconcevable pour les parents
Au bout d'un temps plus ou moins long, le spectre d'une erreur diagnostique peut apparaître, que ce soit par des expertises, par le travail de la défense, par l'obtention d'informations sur l'existence de personnes accusées à tort, ou par l'exonération de l'assistante maternelle à la fin de l'instruction. Dans ce cas, très rares sont les parents à avoir la force d'esprit de revenir sur leurs convictions.
Comment imaginer que cette personne, que l'on a autant haïe après des années, puisse être en fait totalement innocente ?
Comment imaginer que toute l'affaire ne soit qu'un énorme malentendu, une erreur malheureuse ?
Comment imaginer qu'une maladie rare et non un traumatisme intentionnel soit responsable des lésions ou du décès de son enfant, alors que l'on a pensé pendant des années qu'il s'agissait de violences ?
Comment accepter qu'au final, personne ne soit responsable de ce qui est advenu à ce bébé ? Que ce soit, comme on dit de manière populaire, « la faute à pas de chance » ?
Comment accepter que l'enfant, s'il a survécu, ait grandi dans un « mensonge involontaire » selon lequel une personne l'aurait secoué et rendu handicapé ? Comment admettre que l'histoire même de la famille, qui touche les parents mais aussi la fratrie et tout le reste de la famille, soit en réalité totalement fausse ?
Détresse émotionnelle et dissonance cognitive
Cette remise en question fondamentale est impossible et ce, d'autant plus que l'état de l'enfant est grave. Aucun argument rationnel, aucune preuve scientifique de l'erreur diagnostique ne peut faire changer d'avis des parents meurtris. Des parents qui ont dû apprendre malgré eux à vivre dans la haine légitime d'une personne qu'ils pensaient sincèrement coupable.
La dissonance cognitive qui peut résulter de la tension entre cette conviction internalisée d'un geste qui a eu lieu sur leur propre enfant, et la preuve de l'erreur diagnostique et de l'innocence de la personne suspectée, est immense.
Un sentiment d'injustice infondé
Si l'assistante maternelle est relaxée ou acquittée par la justice, ou si un non-lieu est prononcé, les parents peuvent ressentir un terrible sentiment d'injustice. Ils peuvent être animés par un désir ardent de vengeance pour rendre leur propre justice.
Si elle a été innocentée, ce n'est pas parce qu'elle n'avait rien à se reprocher, mais parce que la justice est trop laxiste, pensent-ils. Même chose si l'assistante maternelle est faiblement condamnée. Remettre en cause le diagnostic est un pas infiniment trop difficile à franchir lorsque l'on est passés par un tel drame, surtout si la quasi-totalité des intervenants n'a jamais émis le moindre doute sur le diagnostic.
C'est ainsi que le père d'un enfant handicapé suite à un diagnostic de « bébé secoué » a fini par assassiner la nounou qui avait pourtant été innocentée par la justice. Intimement persuadé de sa culpabilité, il avait fini par se faire justice soi-même... Il a été condamné à 25 ans de réclusion criminelle.
Le déni de la réalité
Tout cela pourrait expliquer que ces parents sont bien mal à l'aise avec l'idée des erreurs diagnostiques. Admettre que certaines personnes sont accusées à tort, que certains diagnostics posés sur la base d'un critère médical défaillant soient faux, pourrait les amener à reconnaître malgré eux que, peut-être, ces nounous qu'ils détestent tant n'auraient en réalité jamais rien fait de mal à personne ?
Ces problèmes sont dramatiques et probablement insolubles. Il ne sont d'ailleurs pas propres aux assistantes maternelles, mais on peut les retrouver au sein même des couples qui finissent par se déchirer suite aux fausses accusations de maltraitance. Chaque parent finit par accabler l'autre, même si au départ les deux faisaient front face à une erreur diagnostique.
Au final, il n'y a donc pas que les professionnels (médecins, experts, policiers, juges, procureurs, assistantes sociales) qui ont tendance à refuser d'admettre les erreurs diagnostiques par crainte d'avoir à vivre avec des fausses accusations sur la conscience. C'est aussi le cas des victimes et des parties civiles. Remettre en question des croyances aussi ancrées et émotionnellement lourdes est infiniment plus difficile que de continuer à vivre dans déni de la réalité.