Selon Wikipédia, « l'argument d'autorité consiste à invoquer une autorité lors d'une argumentation, en accordant de la valeur à un propos en fonction de son origine plutôt que de son contenu. Ce moyen rhétorique diffère de l'emploi de la raison ou de la violence. »
L'argument d'autorité a une importance centrale dans les fausses accusations de maltraitance suite à des erreurs médicales. Le signalement est fait par principe de précaution, avant que tous les éléments médicaux n'aient pu être étudiés. Mais, une fois le dossier médical expertisé des mois plus tard, l'argumentation des experts judiciaires a un rôle clé dans la suite de la procédure pénale.
L'argument d'autorité, entorse au principe du contradictoire
Pour des raisons mystérieuses, les experts mandatés le plus souvent dans ces situations semblent conclure systématiquement à la maltraitance, en suivant toujours le même raisonnement (présence de signes spécifiques, impossibilité pour les pathologies retrouvées d'avoir pu causer ces signes). Il ne serait pas impossible de découvrir que certains experts concluent formellement à la maltraitance dans 100% des cas qui leur sont soumis.
Très souvent, ces expertises constituent le seul et unique élément à charge dans tout le dossier d'instruction. Nous les savons erronées et nous nous devons donc de les étudier dans les moindres détails. C'est alors que nous retrouvons des erreurs de raisonnement, des citations incorrectes ou incomplètes, des irrégularités dans le report des signes objectivés à l'hôpital, des affirmations qui vont directement à l'encontre de connaissances médicales établies depuis longtemps, ou des affirmations qui peuvent être réfutées par de nombreuses publications médicales sérieuses.
Lorsque nous communiquons ces interrogations aux juges, on nous rétorque généralement que nous ne sommes pas qualifiés pour réfuter le rapport d'un expert judiciaire, seul habilité à faire connaître la vérité. Ses conclusions ne peuvent donc pas, par principe même, être réfutées par des personnes qui ne sont pas elles-mêmes experts judiciaires ou même médecins.
Les magistrats n'ont pas de formation scientifique et leur rôle n'est pas d'étudier de manière critique, ou même de comprendre dans le détail l'argumentation des expertises. Seules les conclusions du « détenteur de l'autorité » comptent pour leur décision. C'est en cela que l'argument d'autorité est si important dans les procédures.
Cet argument d'autorité semble pourtant contraire au principe du contradictoire protégé par le Code de procédure pénale.
Le malentendu des « contre-expertises » qui n'ont rien de contradictoire
Lorsque les parties réclament des « contre-expertises », les juges sollicitent souvent d'autres experts judiciaires qui ont été formés aux mêmes endroits, qui ont élaboré les mêmes recommandations, qui suivent la même littérature, les mêmes raisonnements, les mêmes théories, et dont les rapports souffrent des mêmes biais et des mêmes erreurs. Ces « contre-expertises » ne cherchent donc pas à trouver les failles des expertises précédentes. Il s'agit plutôt de « nouvelles » expertises qui ont toutes les chances d'aboutir aux mêmes conclusions.
Les parties peuvent aussi prendre l'initiative de demander des « contre-expertises » privées, à leurs frais, aux médecins de leur choix. Ces rapports n'ont aucune valeur légale et elles sont mal considérées, surtout lorsqu'elles sont à l'initiative de la défense.
Dans notre expérience, lorsque ces expertises privées vont à l'encontre des expertises judiciaires, les magistrats décident de ne pas les prendre en compte. Certains semblent même penser que l'implication de la défense dans ces expertises privées rend ces dernières suspectes, ce qui renforce encore plus leur « intime conviction » sur la culpabilité des personnes mises en examen.
Des experts liés à l'accusation
D'après le rapport de la Haute Autorité de Santé de 2017 sur le syndrome du bébé secoué, « les experts judiciaires en France sont missionnés et rémunérés par la Justice et sont indépendants des parties. » Cela serait censé être contraire aux pays anglo-saxons où la défense peut engager de manière officielle les experts de son choix.
Nous nous interrogeons sur cette « indépendance » des experts judiciaires français. Ces experts sont effectivement rémunérés par le ministère de la Justice, ministère dont dépend le parquet qui tend à être du côté de l'accusation. Les experts judiciaires ne sont donc pas « indépendants » mais au contraire incités à répondre au besoin de « protéger » la société des personnes présumées maltraitantes. Face aux experts, la défense n'a aucun moyen prévu par la loi pour faire valoir un avis contradictoire.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les expertises judiciaires dans ces dossiers soient aussi souvent à charge.
Une absence de contrôle ou d'audit des expertises
Même les plus grands experts ne sont pas infaillibles, tout simplement parce que l'erreur est humaine. Dans le monde d'aujourd'hui, toutes les entreprises humaines pouvant avoir un impact social ou financier important sont soumises à des procédures de contrôle ou « d'audit ».
Il semble naturel que des organismes indépendants de l'industrie pharmaceutique vérifient la sûreté des médicaments. Il semble naturel que des organismes indépendants de l'industrie aéronautique vérifient la sûreté des avions. Même chose pour l'industrie agro-alimentaire, l'industrie nucléaire... La gestion des conflits d'intérêt et les demandes de transparence sont cruciales sur ces sujets.
On peut donc se poser naturellement la question suivante : qui vérifie les expertises judiciaires ? Lorsque des erreurs factuelles sont constatées dans les expertises, quels sont les mécanismes existants permettant de les corriger ? Quels sont les mécanismes prévus pour empêcher ces erreurs de se reproduire dans le futur ? Les experts peuvent-ils seulement être responsabilisés, surtout lorsque leurs conclusions constituent le seul élément conduisant un juge à prendre une décision ?
Imaginons un organisme chargé de contrôler la sûreté des avions qui souffrirait d'une erreur majeure la conduisant à passer à côté de défauts critiques de certains avions. Incapables de détecter ces défauts, les catastrophes aériennes se succéderaient. Admettrait-on que les autorités n'enquêtent pas sur les raisons ayant pu conduire à ces catastrophes ? Accepterait-on que l'organisme de contrôle ayant failli ne soit pas responsabilisé et ne corrige pas son erreur ? Accepterait-on que rien ne soit fait pour empêcher des catastrophes futures ?
Au fil des années, nous avons pu retrouver les mêmes erreurs qui sont reproduites indéfiniment par les mêmes experts dans les mêmes situations, qui conduisent à des procédures judiciaires inutiles, à des placements abusifs pendant des années, et parfois même à des condamnations d'innocents. Les alertes que nous n'avons cessé de lancer n'ont jamais été suivies d'effets jusqu'à présent, et nous continuons à voir chaque jour des familles détruites. Comment peut-on l'accepter ?
Des experts qui évaluent eux-mêmes leurs propres recommandations
Comment évaluer la qualité et la validité scientifique des recommandations diagnostiques dans les cas de maltraitance, par exemple au niveau du syndrome du bébé secoué ?
En Suède, c'est un institut indépendant qui a demandé à des chercheurs indépendants d'évaluer la qualité scientifique de la littérature médicale sur le sujet. Ces chercheurs ont conclu à la très faible qualité des preuves scientifiques du critère diagnostique utilisé en France pour le syndrome du bébé secoué. Les médecins ainsi mis en cause ont naturellement critiqué ce rapport.
En France, par contre, ce sont les spécialistes du sujet eux-mêmes, ceux qui font « autorité » en la matière, qui ont été chargés d'évaluer la qualité de leur propre littérature et de leurs propres recommandations. Sans surprise, il apparaît dans leur rapport qu'ils évaluent leurs propres travaux comme étant « de grande qualité », tandis que ceux des médecins ayant des avis différents, parfois même traités de « négationnistes de la maltraitance », n'ont « pas le moindre fondement scientifique ».
Trouverait-on normal qu'un industriel pharmaceutique soit le seul chargé d'évaluer la sûreté de ses médicaments ? Qu'un industriel aéronautique soit le seul chargé d'évaluer la sûreté de ses avions ?
L'autorité à l'international ?
Où est la pensée critique, le débat, l'évaluation réelle des experts, de leurs expertises, et de leurs recommandations diagnostiques ? Pourquoi y a-t-il un débat dans tous les pays du monde, sauf en France ? Qu'est-ce que la France a donc de particulier qui empêche toute discussion scientifique sur un sujet aussi grave et lourd de conséquence que celui de la détection fiable de la maltraitance par les médecins ?
En Suède, donc, l'institution ayant conclu à la faible qualité scientifique de la littérature sur le syndrome du bébé secoué est l'équivalent de notre Haute Autorité de Santé. Elle fait donc « autorité » dans ce pays. Quant aux auteurs du rapport, ils travaillent pour la plupart au prestigieux Institut Karolinska. Cet institut décerne le prix Nobel de physiologie ou médecine qui, lui-même, fait « autorité » dans le monde médical.
En poussant l'argument d'autorité jusqu'au bout, pourquoi ne pas décider alors que c'est en fait ce rapport suédois qui fait autorité sur la validité du critère diagnostique du syndrome du bébé secoué ?
L'un des grands commandements de la science est : « méfiez-vous des arguments d'autorité ». Trop souvent, ces arguments se sont avérés douloureusement faux. Les autorités doivent prouver leurs affirmations comme n'importe qui. Cette indépendance de la science, sa réticence occasionnelle à accepter les idées reçues, la rend dangereuse pour des doctrines moins sujettes à l'auto-critique, ou avec des prétentions à la certitude. — Carl Sagan, The Demon-Haunted World, 1995