Quels sont les différents dysfonctionnements des services de l'État conduisant aux drames des accusations abusives de maltraitance suite à des erreurs de diagnostic ?
Il y a deux étapes distinctes : avant le signalement, et après le signalement.
Nous avons acquis au sein de l'association une certaine expérience au sujet des signalements abusifs du syndrome du bébé secoué. C'est en effet le cas de figure rencontré par la majorité de nos parents. Autant il est évident qu'un bébé présentant des fractures ou des bleus doit éveiller les soupçons sur une possible maltraitance (« enfants battus », ou syndrome de Silverman), autant le syndrome du bébé secoué se caractérise par l'absence de signes traumatiques dans la majorité des cas [1]. C'est le critère de signalement basé sur la seule présence d'hématomes sous-duraux et/ou d'hémorragies rétiniennes qui nécessite une remise en question fondamentale d'ordre scientifique.
Tout ce qui vient après le signalement, au niveau des services sociaux, de la police, de la justice, et des expertises judiciaires, est rigoureusement identique entre les cas de bébés secoués et les autres (fractures, bleus, ou autres). C'est à ce niveau-là que nous bénéficions aussi de l'expérience des parents qui nous ont rejoint récemment, comme Emi ou Yoan et Sabrina.
Avant le signalement : le « principe de précaution »
Lorsqu'un bébé présente des hémorragies intracrâniennes, des fractures, ou des bleus, le signalement est rapidement envoyé par l'hôpital, parfois avant même l'obtention de tous les résultats d'examen permettant d'éliminer les diagnostics différentiels. Même lorsque des maladies sont identifiées à ce stade, le signalement peut néanmoins partir par « principe de précaution ».
De plus, ces recherches ne sont pas exhaustives. Certains médecins nous confient d'ailleurs qu'un signalement coûte moins cher à la sécurité sociale que des tests pour éliminer les maladies rares. Ce raisonnement ne prend pas en compte le coût pour le contribuable d'un placement injustifié, des enquêtes de police, et des poursuites judiciaires pendant des années. Toutes ces procédures extrêmement coûteuses n'ont pas lieu d'être s'il n'y a jamais eu de maltraitance au départ.
La théorie derrière le diagnostic de secouement basé sur la seule présence d'hématomes sous-duraux et/ou d'hémorragies rétiniennes inexpliqués est controversée dans le monde. Un doute sérieux existe sur le fait qu'un geste violent comme un secouement serait la seule cause de ces saignements si le bébé ne présente aucun signe traumatique.
La loi actuelle oblige les médecins à signaler dans le doute, sans prendre en compte les conséquences dramatiques d'un signalement injustifié pour la famille mais avant tout pour l'enfant. Le « bien de l'enfant » n'est sans doute pas de le priver du bon diagnostic, des soins adaptés, de ses parents, et de son environnement s'il est en fait malade et qu'il n'a jamais subi la moindre violence.
Depuis la loi du 5 novembre 2015, la responsabilité des médecins est engagée en cas de défaut de signalement, mais pas en cas de signalement injustifié.
Toutes ces raisons expliquent l'existence d'un grand nombre de signalements abusifs.
Après le signalement : du doute à la présomption de culpabilité
Le signalement est le moment charnière. Les médecins ont signalé dans le doute, pour respecter leurs obligations. Ce qui survient après le signalement ne les concerne plus.
Selon notre expérience, les services qui interviennent en aval du signalement le prennent quasiment comme la preuve d'un acte de maltraitance. Ils pensent que si l'acte de maltraitance n'était pas avéré, les médecins n'auraient pas signalé. Or, les médecins signalent dans le doute. C'est ainsi que le doute se transforme en certitude. La manière de rédiger le signalement est importante, et cela dépend énormément des équipes et des patients.
Pour les policiers, l'existence de violences ne fait aucun doute, puisque les médecins ont pris la peine de leur signaler l'existence possible d'un danger pour l'enfant. Leur travail consiste avant tout à identifier le coupable. Or, s'il n'y a pas eu de violences, il n'y a pas de coupable ! Les techniques d'interrogatoire ne sont pas adaptées à de tels malentendus : elles conduisent parfois des personnes innocentes à effectuer de faux « aveux » sous la pression, d'autant plus lorsque les circonstances sont dramatiques (enfant hospitalisé, en soins intensifs, voire décédé subitement).
Pour les services sociaux, tout doit être fait pour éliminer le risque certain que présentent les parents pour l'enfant. Très souvent, la réalité des violences ne fait aucun doute pour eux, puisque les médecins ont pris la peine d'effectuer un signalement. Certains parents sont ainsi interdits de toutes visites et de tout contact avec leur bébé pendant des mois. Le fait de clamer continuellement leur innocence serait la preuve de leur « mauvaise foi » et donc du danger qu'ils représentent pour leur enfant. S'ils sont dans le « déni », ils peuvent récidiver. Les juges appliquent souvent le principe du risque minimal : le placement systématique leur permet de ne pas prendre le risque de rendre l'enfant à des parents maltraitants. Malheureusement, le risque inverse qui consiste à priver un enfant malade de son environnement rassurant et de ses parents aimants n'est pas pris en compte.
Pour les experts judiciaires, il semble délicat de revenir sur un diagnostic de maltraitance. Comment remettre en cause leurs confrères dans des situations aussi difficiles ? Les médecins peuvent-ils facilement affirmer que des procédures judiciaires aussi lourdes n'avaient en fait pas lieu d'être ? Que tout est parti d'une erreur de diagnostic ? Dans tous les cas, nous ne pouvons que constater que les expertises confirment trop souvent le diagnostic initial, même lorsque les erreurs sont évidentes. Ainsi, Virginie a été innocentée après des expertises toutes à charge, réalisées notamment par deux spécialistes internationaux du syndrome du bébé secoué. Les expertises ignoraient totalement la maladie génétique rarissime de Hugo favorisant les saignements. C'est exactement la même chose pour Yoan et Sabrina, alors même que des spécialistes de la maladie génétique en question faisaient partie des experts mandatés !
D'autres experts, malheureusement plus rares, admettent néanmoins l'erreur diagnostique et conduisent ainsi à l'exonération des parents (par exemple Marielle ou Bella). Le choix de l'expert mandaté conditionne ainsi la reconnaissance ou non de l'erreur diagnostique initiale. Les expertises privées réalisées par les familles n'ont aucune valeur légale. Cette asymétrie rend leur défense extrêmement difficile. Les experts mandatés sont en effet rémunérés par le Ministère de la Justice, qui joue le rôle de l'accusation dans ces dossiers. Ils ont accès à l'intégralité du dossier médical et du dossier judiciaire. Les moyens de l'individu sont dérisoires face à ceux de l'État, surtout lorsque le dossier médical est saisi par la justice et inaccessible par les parents. Sans ce dossier, impossible pour les parents de retrouver les causes réelles des symptômes de leur enfant !
Les juges ont tendance à suivre l'avis des experts qu'ils ont mandatés. Il semble aussi délicat pour eux de prononcer un non-lieu, ce qui reviendrait à reconnaître que toutes les procédures réalisées depuis le départ n'avaient pas lieu d'être.
Nous nous interrogeons sur l'efficacité des mécanismes d'audit des experts, ou même leur existence. Quels sont les mécanismes juridiques prévus pour signaler les erreurs manifestes des experts judiciaires ?
Le « rouleau compresseur »
C'est ainsi que le signalement réalisé par « principe de précaution », alors même que les équipes médicales auraient pu éliminer l'hypothèse d'une maltraitance avec des examens poussés, met en branle un « rouleau compresseur » quasiment impossible à arrêter. Les dysfonctionnements existent à tous les niveaux : les conditions du signalement par l'hôpital d'abord, mais aussi les procédures d'assistance éducative, les enquêtes de police, les expertises judiciaires, et les décisions de justice qui se basent toutes sur l'existence irréfutable d'actes de violences.
La machine s'emballe et les multiples dysfonctionnements des services de l'État conduisent à la destruction irréversible des familles accusées à tort. Quant aux bébés malades, être brutalement arrachés à leurs parents pendant des mois ou des années leur cause des ravages psychologiques à vie alors qu'ils n'avaient jamais rien demandé à personne, si ce n'est d'être soignés correctement et de grandir auprès de leurs parents.
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