L'organisme suédois chargé de l'évaluation des pratiques en médecine (SBU) est parvenu, après une revue systématique de la littérature sur le syndrome du bébé secoué parue début 2017, à une conclusion opposée à celle de la Haute Autorité de Santé (HAS) française. Tandis que l'organisme français considère le diagnostic de bébé secoué « certain » en présence d'hématomes sous-duraux et d'hémorragies rétiniennes d'origine inconnue, l'organisme suédois estime que les preuves scientifiques de ce critère diagnostique sont de « très mauvaise qualité ».
Plusieurs raisons objectives laissent penser que les conclusions de ce rapport suédois doivent être prises avec le plus grand sérieux. Il est important que les décisions de justice ne se basent que sur les connaissances scientifiques les plus fiables et les plus récentes.
Qui sont les auteurs du rapport ?
Les sept membres du groupe de travail comprenaient quatre médecins et chercheurs de l'Institut Karolinska :
- Göran Elinder, professeur de pédiatrie et consultant senior en pédiatrie,
- Boubou Hallberg, titulaire d'une thèse de doctorat et consultant senior en pédiatrie et en néonatologie,
- Niels Lynøe, professeur senior en éthique médicale et spécialiste en médecine familiale,
- Måns Rosén, professeur adjoint en santé publique,
ainsi que trois médecins et chercheurs suédois :
- Pia Maly Sundgren, professeur de radiologie diagnostique et consultant senior en neuroradiologie à l'Université de Lund et à l'Hôpital universitaire de Lund,
- Anders Eriksson, professeur de médecine légale à l'Université de Umeå, consultant senior en médecine légale, et membre du National Board of Forensic Medicine,
- Björn-Erik Erlandsson, professeur de technologie médicale à l'Institut royal de technologie de Stockholm.
Ces médecins sont des spécialistes indépendants de l'évaluation de la littérature médicale. Au contraire, les auteurs français du rapport de la HAS sont eux-mêmes des experts judiciaires chargés d'appliquer les recommandations dudit rapport dans les dossiers de bébés secoués.
Six autres chercheurs et médecins ont effectué l'évaluation scientifique du rapport :
- Steven Lucas, titulaire d'une thèse de doctorat, consultant senior en pédiatrie à l'hôpital pour enfants de l'Université d'Uppsala,
- Tiit Mathiesen, professeur adjoint de neurochirurgie à l'Institut Karolinska, et consultant senior en neurochirurgie à l'Hôpital universitaire Karolinska,
- Titti Mattsson, professeur de droit public à l'Université de Lund,
- Nils-Eric Sahlin, professeur d'éthique médicale à l'Université de Lund,
- Arne Stray-Pedersen, professeur associé à l'Institut de médecine clinique à l'Université d'Oslo, et consultant senior en médecine légale et en anatomopathologie à l'Hôpital universitaire d'Oslo,
- Ingemar Thiblin, professeur en médecine légale à l'Université d'Uppsala, et consultant senior en médecine légale au National Board of Forensic Medicine.
La SBU
D'après son site Internet et sa brochure, l'agence suédoise de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux « est une autorité indépendante qui, à la demande de l'État, a pour mission d'évaluer les pratiques et les méthodes dans les établissements et services de la santé et de soins dentaires. »
Parmi les projets en cours, on retrouve une évaluation de la littérature médicale sur le diagnostic et traitement de l'épilepsie, de l'endométriose, ou encore sur la prévention de la maltraitance infantile.
La SBU explique le besoin de conduire des évaluations scientifiques systématiques en médecine :
La loi suédoise requiert que les personnels soignants travaillent en accord avec les connaissances scientifiques et les normes de pratique reconnues. Les résultats des recherches et une expérience clinique étendue devraient guider les prestations de santé. Mais comment cela doit être fait ?
Chaque année, des millions d'articles scientifiques sont publiés dans les journaux biomédicaux internationaux. Il est extrêmement difficile pour le soignant individuel de suivre le flux incessant des résultats scientifiques, même au sein d'une discipline spécialisée. De plus, les résultats de recherche ne sont pas toujours clairs, cohérents, et fiables. Il y a un besoin d'examiner tout ce savoir de manière systématique et critique : une évaluation scientifique est nécessaire. (...)
Il est aussi essentiel d'identifier les lacunes des connaissances : des domaines où l'on ne sait tout simplement pas quelles méthodes offrent les meilleurs bénéfices et où plus de recherches sont requises de manière urgente. (...)
En un mot, la santé basée sur les preuves se réfère à un effort délibéré et systématique de mettre en oeuvre des services de santé en accord avec les meilleurs preuves scientifiques possibles, un concept qui a été soutenu par la législation suédoise depuis de nombreuses années. Beaucoup de professionnels du secteur médical considèrent que cette approche est essentielle.
Pourquoi avons-nous besoin d'un concept spécial pour désigner quelque chose d'aussi évident ? La raison est que les bases scientifiques des prestations de santé ne sont pas toujours aussi solides que ce qu'il faudrait. De nouvelles approches sont nécessaires pour rester au fait des avancées scientifiques et pour s'assurer que la pratique maintienne le rythme avec les preuves scientifiques.
De plus, les recherches disponibles ne sont pas toujours appliquées. Par exemple, de nouvelles méthodes peuvent trouver leur chemin dans la pratique clinique sans toutefois avoir été évaluées scientifiquement. D'autres méthodes, dont on a montré l'obsolescence, sont devenues routinières et continuent d'être utilisées. Ainsi, nous avons besoin d'un processus continu de l'évaluation : est-ce que les interventions offertes fournissent les bénéfices attendus ? (...)
Les décisions de santé importantes pour le patient devraient toujours être prises à la lumière des meilleures preuves scientifiques disponibles.
La SBU a aussi publié deux livrets (en anglais) détaillant la méthodologie des évaluations scientifiques systématiques, qui suivent toujours le même schéma :
- Évaluation des méthodes en médecine
- Évaluation et synthèse des études en utilisant des méthodes d'analyse qualitative
L'Institut Karolinska
La plupart des auteurs du rapport travaillent à l'Institut Karolinska à Stockholm. Selon Wikipédia :
Il est l'un des centres de recherche médicale et de groupements universitaires les plus importants et les plus réputés d'Europe et du monde. Il décerne tous les ans le prix Nobel de physiologie ou médecine.
Le classement mondial des universités QS a classé l'Institut Karolinska septième dans la catégorie Biologie et médecine. Au niveau européen, c'est le troisième institut après les universités britanniques de Cambridge et d'Oxford. Dans ce classement, le premier établissement français (l'Université Pierre et Marie Curie), arrive à la 94ème place.
La Suède
Selon Wikipédia, la Suède est considérée comme l'un des pays les plus avancés dans de nombreux domaines :
La Suède a le onzième revenu par tête au monde et elle est classée parmi les meilleurs pays selon de nombreux indicateurs de performance nationale, comme la qualité de vie, la santé, l'éducation, la protection des libertés civiques, la compétitivité économique, l'égalité, la prospérité, et le développement humain.
Selon Eurostat, une direction de la Commission Européenne, « les habitants du Danemark, de la Finlande et de la Suède étaient les plus satisfaits de l'UE à l'égard de leur vie [en 2013] ».
La Suède est aussi un pays très avancé au niveau scientifique et technique :
Combinés, le secteur public et privé en Suède allouent plus de 3.5% du PIB à la recherche et développement (R&D) chaque année, ce qui fait de l'investissement suédois en R&D le deuxième au monde en pourcentage du PIB. Pendant plusieurs décennies, le gouvernement suédois a priorisé les activités scientifiques et de R&D. (...) La Suède dépasse tous les autres pays européens en nombre de publications scientifiques par tête.
Tous ces éléments suggèrent que ce rapport suédois constitue un travail sérieux et de qualité. Il est donc d'autant moins compréhensible qu'il n'ait pas été pris en compte dans les recommandations de la HAS actualisées en juillet 2017.