Le quotidien Le Monde nous a invité à écrire une tribune dans le supplément Sciences & Médecine du numéro daté du mercredi 25 octobre 2017 :
Nous sommes plus d’une centaine de parents accusés à tort de maltraitance sur nos propres enfants suite à des erreurs de diagnostic. Il y a deux ans et demi, l’une d’entre nous a créé un groupe Facebook pour raconter son histoire. C’est là que nous nous sommes retrouvés au fil des mois après avoir vécu la même situation dramatique.
Alors que nous consultons les urgences pédiatriques pour nos bébés qui font un malaise, les médecins décèlent des signes a priori évocateurs de maltraitance. Il s’agit essentiellement de fractures, d’ecchymoses, ou de saignements à l’intérieur du crâne et des yeux (hématomes sous-duraux et hémorragies rétiniennes). Ces deux derniers signes sont typiques du « syndrome du bébé secoué ».
Dans nos cas cependant, nos enfants sont atteints de diverses maladies rares. Par exemple, le fils de Virginie (créatrice du groupe) est atteint d’une hypofibrinogénémie, une anomalie génétique rare de la coagulation sanguine. Comme l’indique le rapport de la Haute Autorité de santé sur le sujet, les troubles de la coagulation forment une classe importante de diagnostics différentiels du syndrome du bébé secoué.
Le fils de Vanessa (présidente de l’association) est l’un des nombreux bébés de notre association atteints d’une hydrocéphalie externe. Des études cliniques suggèrent que cette pathologie pourrait favoriser la survenue d’hématomes sous-duraux. La fille de Marielle est atteinte d’une ostéogénèse imparfaite, ou maladie des os de verre, qui peut causer des fractures. Emi est atteinte d’hypophosphatasie et son fils présente des fragilités osseuses associées à un déficit en vitamine D.
Dans l’urgence cependant, les médecins doivent poser un diagnostic rapidement et agir s’ils estiment que l’enfant est en danger dans sa famille. Ils effectuent un signalement, ce qui conduit au placement quasi-automatique de nos enfants. Ils nous sont retirés tandis que nous sommes mis en garde à vue et interrogés par la police.
Comme si faire face aux souffrances de nos bébés n’était pas suffisant, nous devons en plus subir des accusations injustifiées de maltraitance. Pire, nous devons vivre avec l’idée que nos bébés devront passer les prochains mois ou les prochaines années loin de nous, alors qu’ils sont malades et qu’ils ont besoin de tout notre amour. Leurs premiers pas, leurs premiers rires nous sont volés à jamais. Des liens affectifs soutenus avec les parents sont pourtant indispensables au développement neuropsychologique des bébés, comme la pédiatre Catherine Gueguen l’a bien montré. Nous avons tous eu des pensées suicidaires, mais nous devons absolument tenir bon, pour nos enfants.
Les placements se terminent lorsque les juges pour enfants estiment finalement que nous ne présentons pas de danger. De manière difficilement compréhensible, nous sommes par contre poursuivis pénalement lorsque les expertises judiciaires sont réalisées. Les médecins spécialisés en maltraitance semblent valider les violences de manière systématique, même en présence de maladies rares et méconnues. Nous avons du mal à obtenir que des spécialistes en maladies rares réalisent eux aussi des expertises, encore plus lorsque les dossiers médicaux de nos enfants sont saisis par la justice !
L’exemple du petit Luqman est caractéristique. A 16 mois, il en a passé 13 loin de ses parents. Il y a plus d’un an, il a présenté des hémorragies conduisant à un diagnostic du syndrome du bébé secoué. Un déficit extrêmement sévère en vitamine K (nécessaire à la coagulation sanguine) a été rapidement décelé. Il est apparu plus tard que Luqman était atteint d’abétalipoprotéinémie, une maladie génétique rarissime pouvant causer un tel déficit. Selon plusieurs médecins, cette maladie pourrait expliquer les symptômes.
Aujourd’hui, Luqman est toujours placé, et ses parents sont mis en examen. Pour les experts judiciaires qui ont accès à tout le dossier, les signes présentés sont caractéristiques du syndrome du bébé secoué et le diagnostic de maltraitance est donc certain. Peut-on vraiment avoir autant de certitudes sur le fait que cette maladie, qui touche moins d’un bébé sur un million, ne peut en aucun cas provoquer des hématomes sous-duraux et des hémorragies rétiniennes ?
Nous avons du mal à faire comprendre aux différents intervenants que la parole des médecins et des experts n’a jamais valeur de vérité absolue. Nous devons tous faire preuve de la plus grande humilité devant la complexité du corps humain. Nous ne connaissons pas tout en médecine, loin de là.
Nous avons créé notre association – Adikia – pour soutenir et informer les personnes injustement accusées, pour faire connaître nos témoignages au public, et pour avoir plus de poids devant les tribunaux. Nous souhaiterions que les médecins prennent, dans la mesure du possible, toutes les précautions, et que les juges considèrent tous les éléments des dossiers. Des décisions aussi lourdes de conséquences que des placements de longue durée ou des condamnations à de la prison ne doivent pas se faire exclusivement sur la base d’expertises médicales à charge, aussi claires et catégoriques soient-elles.
Nous voudrions aussi être amenés à participer à l’amélioration des critères de signalement et de diagnostic en cas de suspicion de maltraitance. Notre but est d’éviter autant que possible les accusations infondées et les placements injustifiés tout en respectant le principe sain et indispensable de la protection de l’enfance.