La décision de justice (en anglais) qui a permis à la petite Effie, diagnostiquée à tort "bébé secoué" à cause de sa maladie génétique, de retrouver ses parents après neuf mois de placement abusif, a été rendue publique.
Le long document comporte beaucoup de détails intéressants, que ce soit sur le comportement des médecins ou sur la jurisprudence britannique dans des affaires similaires.
Sur les parents
Les parents se sont toujours conduits avec une dignité extraordinaire à chaque audience précédente. Ils ont développé de bonnes relations avec les services sociaux ainsi qu'avec la famille d'accueil. Ils ont été très impressionnés par la manière dont ces jeunes parents se sont conduits et par la maturité grandissante qu'ils ont montrée. Ils ont fait beaucoup de recherche sur la maladie d'Effie et ils souhaitent continuer à se former pour protéger au mieux Effie dans le futur. Les parents ont été très clairs sur le fait qu'ils n'ont rien à reprocher aux professionnels et qu'ils respectent et comprennent le rôle des agences de protection infantile.
La Cour a vu un certain nombre de messages SMS et WhatsApp obtenus par la police. (...) Ils ne révèlent rien d'alarmant. Ils révèlent cependant qu'Effie est un bébé désiré et adoré, que les parents étaient fiers de la grossesse, qu'ils se sont préparés à la naissance dans la joie et la responsabilité, qu'ils étaient ravis de la naissance, qu'ils se sont parfaitement attachés à Effie, qu'ils ont connu des moments très heureux avant et après la naissance.
Il est bien sûr nécessaire que la Cour confronte les témoignages médicaux au reste du dossier. Il paraît clair en considérant la manière dont les parents ont consulté des médecins à de nombreuses reprises avant le malaise qu'Effie était un bébé adoré et chéri de ses parents. Je pense qu'ils ont agi de manière entièrement appropriée au moment de son malaise, en appelant les secours très rapidement. Ils ont travaillé en toute transparence avec les médecins de l'hôpital. (...) Aucun parent n'a d'antécédent criminel. Leurs témoignages à la police sont cohérents et consistants. Tous les professionnels reconnaissent unanimement que ce jeune couple a fait preuve de maturité lors de leurs interactions avec eux, et qu'ils sont décidés à prendre soin de leur jeune et vulnérable fille sur le long terme. Pour toutes ces raisons, qui doivent être considérées à la lumière de mon analyse des preuves médicales, je considère que le malaise d'Effie était probablement dû à sa maladie, soit après le saignement spontané d'une hémorragie de naissance, soit suite à un traumatisme léger et mineur ou même au cours d'une manipulation normale.
Je décide donc de rendre cette petite fille à ses parents.
Sur les experts médicaux
Pour les experts médicaux, ce cas est unique. Dr Saggar n'avait jamais rencontré un enfant atteint de cette maladie dans un contexte médicolégal. Dr Cartlidge et M. Richards ont changé d'avis sur la cause des symptômes d'Effie. Ces derniers pourraient être une conséquence directe du syndrome d'Ehlers-Danlos de type IV. Les deux ont fini par accepter que les signes pouvaient être la conséquence de cette maladie. Le Dr Saggar a considéré que la maladie pouvait expliquer tous les symptômes. M Newman ne pouvait pas exclure la maladie comme étant une cause possible des symptômes, tout comme le Dr Keenan. Je dois me souvenir encore une fois des mots de Dame Elizabeth Butler Sloss que la Cour doit faire particulièrement attention lorsque les experts médicaux sont en désaccord et quand l'un deux n'exclut pas la possibilité raisonnable d'une cause naturelle pour les symptômes.
Dans les cas de traumatisme crânien intentionnel, il y a toujours, comme ici, des expertises médicales provenant de différentes disciplines. Il y a une riche jurisprudence sur le fait que les opinions médicales doivent toujours être considérées à la lumière des autres preuves non-médicales. "Il est important de se rappeler que (1) le rôle de la Cour et des experts sont distincts et que (2) c'est la Cour qui décide d'évaluer le poids de l'expertise médicale et des autres preuves. Le juge doit toujours se souvenir que c'est lui en personne qui prend la décision finale.
Je considère qu'il est important de souligner qu'aucun symptôme généralement présent chez les enfants secoués ou sujets à un traumatisme intentionnel ne sont présents chez Effie. C'est particulièrement important ici puisque Effie a une prédisposition à présenter des ecchymoses et des saignements à cause de sa fragilité vasculaire. Bien que l'absence de signes de traumatismes n'exclue pas la possibilité d'un traumatisme intentionnel, leur présence peut donner à la Cour une plus grande certitude sur un diagnostic positif.
Sur les hémorragies rétiniennes
M Newman accepte qu'il y a tout un groupe respecté d'ophtalmologues qui défendent la position que l'hypertension intracrânienne, et non le secouement, provoque les hémorragies rétiniennes. (...) Dr Cartlidge a parlé de la coïncidence qu'il a observée dans un grand nombre de cas où il y a des hémorragies rétiniennes dès lors qu'il y a un saignement chronique.
Au final, en considérant tous les témoignages dans leur globalité, et en tenant en compte le fait que la fragilité vasculaire affecte les yeux comme le reste du corps, je considère qu'il est probable que le syndrome d'Ehlers-Danlos de type IV soit impliqué dans la survenue des hémorragies rétiniennes.
Sur le radiologue spécialiste du syndrome du bébé secoué
Le Dr Stoodley a une longue expérience clinique et médicolégale.
Il a témoigné dans environ 850 cas, incluant environ 10% de traumatismes crâniens accidentels, 10% de maltraitance répétée, et 80% de cas où la Cour a estimé que c'est une perte de contrôle momentanée et soudaine qui a causé les symptômes.
Il considère que les symptômes d'Effie sont probablement dus à un traumatisme crânien intentionnel incluant un secouement.
Il a confirmé qu'il n'avait aucune expérience clinique d'un enfant atteint du syndrome d'Ehlers-Danlos de type IV. (...) Néanmoins il considère que cette prédisposition ne changerait pas fondamentalement la présentation de l'enfant après un traumatisme intentionnel.
Il admet que personne ne connaît le degré de force nécessaire pour produire les symptômes.
Il est catégorique sur le fait qu'il est impossible que le syndrome d'Ehlers-Danlos de type IV puisse causer les symptômes d'Effie.
Il pense que si des désordres du tissu conjonctif ou des troubles de la coagulation pouvaient conduire à ces symptômes, cela se saurait déjà depuis longtemps.
Ce médecin est catégorique sur le fait qu'une maladie qu'il ne connaît pas n'a pas pu provoquer des symptômes, et que personne ne connaît le degré de force permettant de produire ces symptômes. Comment peut-on être aussi catégorique en présence d'autant d'incertitudes sur des pathologies aussi complexes et méconnues ?