C'est l'histoire d'un couple dont l'enfant a été placé après un diagnostic du syndrome du bébé secoué. Les parents attendent des nouvelles de l'enquête pénale depuis plus d'un an. Ils n'ont pas accès au dossier et ils n'ont que très peu d'informations. Ils clament leur innocence depuis le début, ils se font totalement confiance l'un l'autre, et ils sont convaincus qu'il y a une explication médicale pour les symptômes. Leurs droits de visite sont très restreints.
Un jour, ils reçoivent une convocation pour une garde à vue. Tous les deux. Ils se présentent au commissariat au petit matin. Ils sont interrogés séparément.
Les heures passent.
La mère est libérée au cours de la journée, mais le père passe la nuit en cellule. La mère n'a pas de nouvelles. Elle s'inquiète. Pourquoi peut-elle sortir avant lui ? Elle espère qu'il n'a pas fait de bêtise...
Le surlendemain, elle obtient enfin des nouvelles.
Le père a tout avoué. Il a avoué avoir secoué son enfant et avoir causé les lésions. Après une longue enquête, le coupable est enfin trouvé. La mère est enfin innocentée et elle peut espérer obtenir des droits de visites de plus en plus larges.
Des intervenants parlent à la mère et lui expliquent que les faux aveux n'existent pas dans de telles circonstances, que le syndrome du bébé secoué est toujours bien diagnostiqué et qu'il ne peut pas y avoir d'erreurs. Cette mère qui avait douté du diagnostic depuis le début, qui n'avait jamais cru une seule seconde que son mari avec qui elle vit depuis de nombreuses années pouvait avoir réalisé ce geste, la mère finit par être convaincue en quelques heures de la culpabilité de son mari.
Son mari a secoué son bébé, elle le réalise désormais. Comment a-t-elle pu n'y voir que du feu depuis tout ce temps ? Tant d'efforts passés à se renseigner sur les causes alternatives, ce couple qui paraissait si solide... Ce papa qui était si aimant, si gentil, si doux ? Dévastée, elle n'en revient pas, mais elle n'a pas d'autre choix que de se rendre à l'évidence. "Il a avoué, après tout ! C'est bien qu'il avait quelque chose à se reprocher ! Comment a-t-il pu me mentir pendant tout ce temps ?"
Le père donne alors sa version des faits.
On a été convoqués au commissariat le matin. Le matin, je me défendais car, oui, je n'ai jamais rien fait, rien...
Plus je me défendais, plus les policiers enfonçaient ma femme. Ils essayaient de nous monter l'un contre l'autre. Je disais que je n'avais rien à me reprocher et que jamais, jamais je ne pourrais faire de mal à ma fille... Alors ils me disaient que si ce n'était pas moi, c'était ma femme qui s'était levée la nuit pour la secouer avant de partir au travail !
J'ai vraiment stressé et paniqué, car c'était ma toute première garde à vue...
Vers midi, ils m'ont mis en cellule, menotté, ce qui me faisait encore plus peur...
Puis, en début d'après-midi, ils sont venus me chercher. Quand je suis sorti de ma cellule, j'ai vu ma femme devant la cellule qui était à côté...
C'est là que j'ai craqué et j'ai commis l'irréparable...
J'ai imaginé ma chérie en prison et tout ce qui va avec ! Cela m'a déchiré le cœur. J'ai alors décidé "d'avouer" quelque chose que je n'ai pas fait pour la protéger... Pour moi, c'est à l'homme de protéger sa femme et sa fille, quoi qu'il arrive et quoi qu'il m'en coûte...
J'ai donc passé des auditions supplémentaires où j'ai du expliquer ce que j'avais fait. J'ai dit avoir secoué ma fille. Je crois que je n'ai jamais aussi bien menti de toute ma vie. Quand j'ai "avoué" avoir secoué ma fille, je me suis mis à pleurer tellement cela m'a fait du mal de m'imaginer le faire... Et cela rendait mon histoire encore plus convaincante !
Auparavant, les policiers n'arrêtaient pas de me dire que cela arrive à certains parents de secouer leur enfant et de lui dire en même temps : Il faut que tu manges !, etc. Ainsi, j'ai juste eu à répéter ce qu'il m'avaient dit, en "amélioré" et avec un peu plus de détails...
Ils m'ont demandé des détails sur le geste. J'ai donc déclaré l'avoir secouée une à deux secondes en lui disant qu'il fallait qu'elle mange son biberon...
C'est là que l'on remarque des incohérences dans mes aveux, car cela m'étonnerait beaucoup que une à deux secondes suffisent pour la mettre dans cet état ! Et on ne peut pas faire de mal à son enfant juste parce qu'il ne veut pas manger son biberon ! Quand ma fille ne voulait pas manger, j'attendais 15 minutes et après elle réclamait le biberon.
Ils m'ont demandé de mimer le geste avec mes mains. Ils m'ont aussi demandé comment je la tenais. J'ai répondu la même chose que ce qu'ils m'avaient suggéré auparavant, à savoir que je la tenais par la taille, et que sa tête était partie en avant puis en arrière, deux ou trois fois.
Je suis passé devant le juge d'instruction puis devant le juge des libertés et de la détention qui m'a mis en liberté conditionnelle. J'ai eu tellement peur de me retrouver en prison le jour-même que j'ai dit au à ce dernier que je ne reviendrai pas sur mes aveux et que j'en assumerai les conséquences.
Ma femme est l'amour de ma vie et si je dois passer 20 ans en prison et que cela peut l'aider à récupérer notre fille et vivre tranquillement, alors je ne regrette absolument rien.
Imaginons la suite de l'histoire.
Des policiers qui se font un high five, satisfaits d'avoir conclu une nouvelle enquête et d'avoir arraché des aveux à un bourreau d'enfants.
Un juge qui se satisfait d'avoir pu retirer de la société un dangereux criminel.
Des médecins qui se félicitent de voir un cas de plus qui est validé par des aveux et qui va rejoindre les nombreux autres cas vérifiés de bébés secoués.
Une mère qui fait le deuil de son histoire d'amour qui durait depuis tant d'années, qui se sent tant trahie par un mari en qui elle avait toute confiance. Mais une mère qui désormais se réjouit de pouvoir passer plus de temps avec son enfant, jusqu'au retour à la maison. Elle pourra enfin tourner la page, commencer une nouvelle vie et, qui sait, trouver un nouveau compagnon, plus tard...
Un enfant qui grandira sans son père, à qui on dira que son père lui a fait beaucoup de mal quand elle était petite, un père qui est responsable de son handicap, un père qu'elle haïra toute sa vie...
Un père, enfin, qui passera des années en prison, tranquillement, en attendant patiemment sa libération, mélancolique de sa vie passée, repensant à sa rencontre avec sa future femme alors qu'ils étaient encore adolescents, puis le désir d'enfant, la grossesse, la naissance, les premiers mois d'une vie tant attendue... Ils étaient si heureux... Un père qui, néanmoins, est soulagé d'avoir pu réunir sa fille avec sa maman et qui ne regrette rien de son sacrifice qu'il a fait par amour. Pas une seule seconde.